Jamais la Galerie Saladin n'a été par le passé aussi pleine de gens comme samedi dernier ! Serait-ce par passion, par curiosité ou par nostalgie ? Il parait que toutes ses raisons étaient valables pour faire le déplacement et assister au vernissage de l'exposition posthume du grand artiste-peintre, feu Zoubeir Turki, disparu en 2009, laissant derrière lui un important héritage pictural très riche. Outre les passionnés des arts plastiques, d'éminentes personnalités y étaient présentes dont son Excellence l'ambassadeur de Suède à Tunis, M. Frederik Floran qui nous a fait la déclaration suivante : « C'est un grand plaisir d'être ici aujourd'hui dans la Galerie Saladin qui a fait il y a quelques mois une exposition en hommage à Olmo Palm, l'ancien premier ministre suédois. Aujourd'hui, c'est une exposition d'un grand maître. Zoubeir Turki a passé une bonne partie de sa vie en Suède, dans les années 50, à l'époque où nous avons fondé le Musée de l'Art Moderne. Il a joué un grand rôle, tout comme Ali Ben Salem, à faire un rapprochement culturel entre la Tunisie et la Suède. » C'était plus qu'une exposition ordinaire, mais plutôt une grande rencontre entre les artistes-peintres, parmi lesquels il y avait les disciples de Zoubeir Turki et fidèles à l'Ecole de Tunis, mais aussi d'autres artistes qui se rangent contre cette vieille école artistique qui, selon eux, avait le monopole de la création artistique aux dépens des autres talents de l'époque ! Lors de ce vernissage, nous avons recueilli les témoignages des uns et des autres aussi bien sur l'artiste que sur ses œuvres. Ce que les artistes en pensent : Olga Molakhova (artiste-peintre russo-tunisienne) : C'était un grand dessinateur. Chez lui, on voit déjà la préciosité de la ligne et de la couleur à travers les mains, le visage, le maintien, le regard...C'est mon peintre préféré et qui le sera pour toujours. C'est un peintre cent pour cent tunisien parce qu'il a su exprimer l'âme tunisienne dans les costumes et les traditions... Mohamed Zaouali (artiste-peintre) : A vrai dire, c'est difficile de formuler un jugement sur ce grand peintre de l'Ecole de Tunis. C'est sans doute l'un des grands artistes de l'après-indépendance, abstraction faite de contexte politique de l'époque ; qui avait besoin de se bâtir une peinture qui reflète la bourgeoisie de l'époque, encore séduite par les mœurs beylicales et les valeurs ancestrales. Sa peinture traduit la tradition, l'histoire et la société, notamment celle de la Médina .Pourtant, à la même époque, l'Occident a fait un pas de géant dans les arts plastiques ! Disons que la peinture de Zoubeir Turki avait une valeur sociale. De plus, la conjoncture politique de l'époque lui était favorable, de même à l'Ecole de Tunis ! Sami Ben Ameur (artiste-peintre et professeur d'arts plastiques) : C'est un grand artiste qui a marqué son époque, l'un des pionniers des arts plastiques en Tunisie. Il a vécu dans un contexte assez particulier, dans une Tunisie nouvellement indépendante qui voulait se construire culturellement et artistiquement, d'où la naissance de l'Ecole de Tunis dont il faisait partie. Il avait son propre style, une approche typiquement tunisienne. Indépendamment du côté idéologique, il reste un grand artiste tunisien qui s'est persévéré dans son style personnel et qui, aujourd'hui, a ses adeptes et ses admirateurs. Cependant, entre la génération de Zoubeir Turki et la mienne, il y a eu certes des querelles, mais aujourd'hui, avec un peu de recul, je suis convaincu que les travaux de l'Ecole de Tunis soient remis en valeur ! J'aurais souhaité voir ces œuvres exposées dans son propre musée pour lequel il a travaillé toute sa vie à le préparer, mais qui n'a pas vu le jour ! Béchir Lakhdhar (peintre et ancien ami de Zoubeir Turki) : C'était vraiment un bon ami, nous avons travaillé ensemble afin de réaliser tant de chose pour la culture et les arts en Tunisie, comme l'Union des Artistes Plasticiens Tunisiens, la Commission Nationale d'achat, les Droits des artistes (dont la loi de 1%), nous avons créé également le Centre d'Art Vivant au Belvédère. C'était une période merveilleuse. Nous avons baptisé la rue où il habitait « Rue du musée », mais malheureusement, il est parti sans pouvoir réaliser son rêve ! » Mohamed Ayeb (artiste-photographe et galeriste) : C'est déplorable de voir des œuvres pareilles, ces trésors, ces merveilles, que Zoubeir n'a pas voulu vendre de son vivant car il voulait les laisser aux Tunisiens dans un musée qui portait son nom. Le fait qu'on les découvre dans une galerie me fait mal au cœur, quoique cet évènement contribue à mieux connaitre l'homme et ses œuvres ! Mais, le malheur est que Zoubeir a gardé ces perles durant toute sa vie car il y tenait comme à la pupille de ses yeux, pour les exposer un jour dans son musée personnel, mais malheureusement la mort était plus rapide ! En effet, que ces toiles soient exposées dans un musée est tout è fait différent, car c'est là où les passionnés de l'art pourraient les voir et les revoir chaque fois qu'ils en auront envie ! C'est un bel héritage qu'on est en train de perdre, car ces toiles vont être vendues à des particuliers et jamais on ne les verra ! L'on se demande pourquoi le Ministère de tutelle n'intervienne pas pour sauvegarder ces œuvres en aidant à réaliser ce musée d'arts dont l'artiste a toujours rêvé ! » Hassan Turki (fils de Zoubeir Turki) : L'idée de faire une exposition est venue grâce à l'initiative de M. Ridha Souabni, propriétaire de la Galerie Saladin. Ces œuvres étaient chez moi, entassées pêle-mêle, depuis le décès de mon père en 2009, ma femme et moi les avons remises en état. Il est vrai que ces toiles et d'autres encore plus nombreuses étaient destinées au Musée que feu mon père voulait créer. Franchement, la famille n'a pas pu achever ce projet pour des raisons financières, car la création d'un musée coute d'énormes sommes d'argent ! Et nous n'avons trouvé aucun soutien dans ce sens !