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« Si on ne règle pas la question de l'impunité, tout finira par s'écrouler »
Publié dans Le Temps le 30 - 10 - 2016

Quelques mois nous séparent de la commémoration de la quatrième année de l'assassinat de Chokri Belaïd et le dossier continue de ramer au niveau de la Justice. Le comité de défense du martyr ainsi que sa famille continuent à mener cette ultime bataille qui vise à lever le voile et à dévoiler toute la vérité au sujet de cette affaire qui a constitué, rappelons-le, un tournant dans l'Histoire du pays. Une nouvelle audience vient d'être reportée par la Cour. Toutefois, il semblerait que ce report a été demandé par le comité de défense. C'est dans ce cadre que nous avons été reçus par Basma Khalfaoui, présidente de la Fondation Chokri Belaïd contre la violence et membre du Comité de défense.
-Le Temps : Nouvelle audience, nouveau report mais, surtout, nouvel incident ce vendredi au Tribunal. Que s'est-il réellement passé ?
Basma Khalfaoui : Le jour de l'audience, j'ai ramené mes filles avec moi par obligation puisqu'elles sont en vacances et que je n'ai pas trouvé où les placer. A ma grande surprise, un agent leur a formellement interdit d'accéder à la salle. Neyrouz a essayé de négocier en lui expliquant qu'elle voulait juste voir la salle de l'intérieur. De mon côté, je suis allée voir l'agent qui m'a expliqué qu'il est formellement interdit de faire entrer les filles. C'est là que je lui ai expliqué qu'il s'agit, tout d'abord, d'un droit légal et que tout le monde a le droit d'entrer et d'assister aux audiences – les audiences sont publiques comme le stipule la Constitution – et que, de deux, il s'agit des filles du martyr. A cela on m'a répondu qu'il fallait qu'il demande l'autorisation à ses supérieurs. On est entré dans un débat assez musclé. Cet incident m'a provoqué parce que je l'ai senti comme une humiliation à l'encontre des filles du martyr, de sa famille, de lui et de ce pour quoi il a payé de sa vie. Cet incident représente, aussi, une humiliation aux institutions de l'Etat qui considèrent que Chokri Belaïd est le symbole de la Révolution. Après une telle considération, que l'une de ces mêmes institutions humilie le martyr, ses filles et toute son affaire, cela ne peut que nous provoquer et nous choquer. Pour tout vous dire, la Cour me donne l'impression de gérer une simple affaire semblable à celle d'un accident de la route. Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais demandé à ce que la loi soit enfreinte. Au contraire, je fais tout ce que je peux pour que la loi soit appliquée. Si la loi interdisait l'accès à la salle, j'aurais, au pire, demandé une exception pour mes filles.
-Pensez-vous qu'il existe des parties qui ont tenté d'exercer une certaine tension pour affecter l'atmosphère de l'audience? Si oui, lesquelles ?
Oui certainement. Je pense qu'il s'agit du procureur de la République en personne, puisque c'est lui qui a été derrière les blocages de l'affaire depuis son début : je tiens à rappeler qu'il a non seulement enfreint l'article 50 mais qu'il a, en plus, défier le comité de défense en refusant de lui procurer le rapport de la clôture de l'enquête . Il a défié la loi, les institutions et l'Etat. A la première occasion, il a refait la même chose en sa qualité de procureur de la République. L'interdiction a influencé toute l'atmosphère et c'est ce qu'il voulait. Nada et Neyrouz n'ont pas été les seules à avoir été empêchées d'accéder au bâtiment : les militants du Front populaire, les militants de la société civile et tous ceux qui étaient venus devant le Tribunal ont eu le droit au même traitement.
-Pour revenir à la décision du report de l'audience. En quoi représente-elle une avancée positive pour vous ?
Parce que c'est le comité de défense qui a demandé le report. Cette requête survient suite à quelques points et je vais essayer de vous exposer. Ce report est devenu, tout d'abord, une obligation après que nous ayons constaté que la composition de la Cour, à qui nous avons relevé le point, n'est plus dans la légitimité : celui qui été juge d'instruction – contre qui nous avons déposé trois autres plaintes et une autre plainte auprès du Tribunal administratif contre sa nomination – devient, lui-même, procureur de la République dans la même compétence territoriale. La légitimité de la Cour, de ce fait, est devenue incertaine de part de la présence de cette personne.
Par ailleurs, le dossier est toujours divisé en deux : la partie la plus importante est encore au niveau de la Chambre d'accusation qui va décider de sa continuité ou pas. Nous voulons que le dossier soit poursuivi parce que nous considérons que les enquêtes ne sont pas encore achevées. On ne peut donc pas tranché dans une affaire dont une partie est encore au niveau des enquêtes. De plus, nous avons besoin que l'audience soit reportée parce que le procureur général et le comité de la défense ont formulé des demandes conformes à l'adresse de la Chambre d'accusations pour que l'enquête soit être poursuivie. Tout cela sans oublier notre autre requête qui requiert du juge d'instruction d'entendre de nouveaux accusés.
-Si on voulait simplifier encore plus les choses, est-ce que vous estimez que l'affaire est sur la bonne voie ou êtes-vous plutôt dans une logique, que partagent certains, qui dit que le dossier finira par être ‘perdu' ?
Chaque affaire bien défendue n'est jamais perdue. L'affaire de Chokri Belaïd est un crime d'Etat : les institutions de l'Etat sont impliquées et elles feront donc tout pour cette implication ne soit pas révélée. Je suis consciente du fait que l'on ne connaîtra probablement pas les commanditaires demain. Toutefois, et il ne s'agit pas d'un simple slogan, on ne s'arrêtera pas et on est en train d'avancer malgré tout ce qu'a fait Béchir Akermi pour bloquer l'affaire. Les décisions de la chambre d'accusation et de la Cour de cassation qui nous ont donné en raison en ce qui concerne le blocage, l'ambigüité et l'effraction de l'article 50, représentent un réel espoir. La deuxième décision de la clôture de l'enquête est en train d'être revue, et cela est, aussi, un bon signe. Si déception il y a, elle provient plutôt de la part des institutions de l'Etat qui n'ont tenu aucune de leur promesse en ce qui concerne le dévoilement de la vérité. On ne veut, par cette demande, pousser vers aucune effraction de la loi contrairement à ce que prétendent certains. L'affaire de Chokri Belaïd connait plusieurs violations et nous nous y opposons fermement. Nous sommes pour l'indépendance de la Justice et estimons que cette affaire est une occasion en or pour que la Justice prouve son indépendance. Ni la loi ni son essence ne sont appliqués et respectés dans le traitement de cette affaire. Je ne demande pas la vérité absolue mais si on n'arrive pas à voir que les institutions sont réellement en train de déployer des efforts, les citoyens finiront par perdre toute confiance. Si on ne règle pas la question de l'impunité, tout finira par s'écrouler. Je ne parle pas uniquement de l'affaire Chokri Belaïd mais de tous les autres dossiers qui concernent le pays et qui, je pense, sont condamnés par cette confiance. La seule solution qui nous reste c'est la réhabilitation de la confiance entre les citoyens et l'Etat et il n'y a pas mieux que le dossier des assassinats politique pour le faire. Tout ce qu'on est en train de faire à côté – les changements des gouvernements etc – ne sert absolument à rien tant que cette confiance n'est pas restaurée.
-Votre réponse nous renvoie au dossier de la corruption qui est devenu un vrai fardeau en Tunisie.
Tout d'abord, je pense que l'expansion de la corruption est un peu ‘logique' après une révolution, un grand changement politique, une importante instabilité et neuf gouvernements. C'est relativement normal que l'Etat et ses mécanismes se déstabilisent après tout cela. Il n'existe plus d'équipe qui détient un vrai projet à long-terme et cela a amené les agents de l'Etat à ne plus se sentir sérieusement impliqués. Dans une situation de peur de l'inconnu, tout le monde a tendance à chercher ‘des réserves'. Pour contrer tout cela, il nous faut une vision claire : un gouvernement homogène ayant une réelle alternative à long terme. La corruption n'a pas été contrée sérieusement et via des manœuvres transparentes et efficaces. C'est pour cette raison que je reviens toujours aux dossiers des assassinats, parce qu'ils représentent un parfait exemple de la manière avec laquelle il faut lutter contre l'impunité qui représente le vrai pilier pour la corruption.
Jusqu'à présent, nous n'avons vu aucun symbole de corruption passer par le mécanisme de la Justice. L'Instance vérité et dignité, par exemple, s'est réconciliée avec Slim Chiboub. La réconciliation en soit ne peut, en aucun cas, porter atteinte à la société mais quand elle n'a pas été conforme aux procédures de la justice transitionnelle (raconter ce qui s'est réellement passé, archiver les réalités pour l'Histoire du pays, les excuses publiques pour qu'il n'y a pas de rancunes) on peut estimer que l'affaire a été bafouée. Pourquoi cette instance ne travaille pas dans la transparence et ne suit pas toutes les procédures de la réconciliation ? La réconciliation de tous les concernés ne doit pas se faire avec l'IVD mais avec toute la société tunisienne et cela n'a pas été le cas pour l'affaire en question. Slim Chiboub n'est évidement qu'un exemple et il y a d'autres cas qui se passent loin du public, dans les coulisses. Si je cite Chiboub c'est parce qu'il représente le cas qui a été le plus médiatisé.
-On dit que la liberté de presse est notre plus grand acquis postrévolutionnaire. Mais aujourd'hui, ce secteur est accusé de corruption et on a même vu Chafik Jarraya s'en féliciter à la télévision. Ce fléau finira-t-il par remporter la partie ?
Vous ne posez pas la bonne question : il faut se demander jusqu'à quand tout cela va durer ? Qu'est ce qui a poussé Jarraya à défier toutes les institutions de l'Etat ouvertement et publiquement ? Quant quelqu'un le fait comme il l'a fait lui, pour moi, cette personne ne peut être qu'un traître de la Patrie et de l'Etat. Dans cette condition où l'Etat est affaibli de l'intérieur, une personne qui vient renforcer l'absence de confiance entre l'Etat et les citoyens en affichant, fièrement, ce défi (il a surtout défié l'institution judiciaire) devient une sorte d'incitation aux autres pour défier la loi. Allez voir aujourd'hui un vendeur ambulant et demandez lui pourquoi il ne respecte pas les lois, il vous demandera d'aller demander des comptes à Jarraya. Il faut chercher qui est derrière cette personne, qui la protège pour qu'elle puisse défier l'Etat de la sorte. Ce genre d'incident approfondit l'atmosphère de l'absence de confiance. Il y a une volonté pour détruire l'Etat et la question c'est où est la stratégie pour répondre à ce genre de plans.
-Après le clivage identitaire, nous vivons aujourd'hui le clivage entre les différents corps et secteurs. Qu'en pensez-vous ?
En Tunisie, nous avons une crise au niveau des représentants des instances, des partis et des structures. Il faut se rappeler que tous les avocats ne sont pas contre la réforme de l'impôt et j'en fais moi-même partie. J'estime qu'il faut que l'on paie nos impôts correctement. Négocier oui, mais pas de la sorte. Payer nos impôts et donner des sacrifices nous donnera le droit après d'être parmi ceux qui demandent, en premier, des comptes. Pareils pour les médecins, les pharmaciens etc. Mais, ceux qui représentent ces secteurs ne sont pas des représentants de toutes les tendances des mêmes secteurs. Ils suivent la minorité influente qui nous impose des prises de position qui ne sont, généralement, pas les nôtres. C'est quand on affronte des questions matérielles que l'on peut réellement démontrer notre patriotisme. L'atmosphère générale du pays nourrit cette crise de confiance : personne n'a confiance en personne. Ce problème de confiance englobe tout et tout le monde. Les instances, les partis politiques, les institutions de l'Etat, les différents secteurs professionnels et, surtout, les secteurs organisés. Qui est derrière cette crise de confiance ? Il faut trouver la réponse pour pouvoir y remédier.
-Cela nous renvoie au fameux ‘diviser pour mieux régner' ?
Oui c'est possible. Diviser et dire que tout est chaotique. Que ce soit les islamistes qui gouvernent sans apparaître ou encore les Trabelsi qui, dit-on, sont en train de se préparer pour revenir au devant de la scène. Il existe probablement des parties derrière ce chaos. De toute manière, tout est possible et le constat est le même : le pays nage en doutes, la confiance est brisée et la faillite existe sur tous les plans : plus rien ni personne n'a de la valeur en Tunisie.
-Donc c'est plutôt un tableau noir que vous dressez ?
Ce n'est pas moi qui le dresse, je ne fais que reprendre la réalité. C'est un tableau surréaliste. Ceci dit, même les dernières manœuvres politiques, dont celle du changement du gouvernement, représentent quand-même la lueur d'une volonté de renouvellement. Les citoyens sont toujours dans la volonté de changer leur situation.
On doit mener notre combat pour que la citoyenneté, la société civile et l'Etat soientt instaurés. Il faut que l'on combatte l'impunité pour que la confiance soit rétablie. Il faut que l'on soit conscient qu'il s'agit d'un long combat et il faut que tous les efforts se conjuguent afin que l'on puisse remporter la partie. Je pense qu'il faut commencer par instaurer la vraie indépendance de la Justice pour arriver justement à battre l'impunité et à instaurer la confiance.
S.B


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