M. Charles Saint-Prot, Docteur en sciences politiques, habilité à diriger des recherches en sciences juridiques et directeur de l'Observatoire d'études géostratégiques, s'intéresse notamment aux questions du monde arabe et islamique a effectué une intervention par Skype, lors d'une précédente émission du journal « L'Expert », sur la chaîne TV TOUNESNA. Voici une reproduction des principaux axes de son intervention et ses réponses aux questions qui lui avaient été adressées Question : Que pensez-vous d'une éventuelle intervention militaire en Libye ? Réponse : La Tunisie est légitiment inquiète du chaos qui règne en Lybie et des risques d'une intervention militaire, étant donné qu'en 2011 la révolution et l'intervention occidentale en Libye avaient gravement déstabilisé l'économie tunisienne qui est encore ébranlée par ces événements. Après la chute de Ghaddafi, des centaines de milliers de Tunisiens ont dû rentrer dans leur pays et des centaines de milliers de Libyens ont été obligés de s'exiler en Tunisie. Cet exode n'a fait que détériorer encore plus la situation économique. La Tunisie est ainsi victime de sa situation géographique puisqu' elle se trouve coincé entre d'un côté la Libye et, de l'autre, l'Algérie, menacée par des perturbations en matière de terrorisme. Vue sous cet angle, une autre intervention militaire en Libye risque d'engendrer un nouveau mouvement de masse de réfugiés. Par ailleurs, il n'est pas exclu que des groupes radicaux s'immiscent parmi eux ce qui aura un effet néfaste pour la Tunisie, notamment dans le domaine économique. Question : Certains présentent aujourd'hui l'intervention militaire comme une clé pour rétablir la sécurité en Libye, ce qui entrainerait une certaine stabilité en Tunisie. Qu'en pensez-vous ? Réponse : On peut supposer qu'à long terme l'intervention militaire permettrait peut-être de mettre fin au chaos qui règne en Libye et de rétablir un état stable qui pourrait relancer l'économie et dans ce cas la Tunisie en serait bénéficiaire à terme. En somme, à court terme, la Tunisie peut être inquiète mais si cette intervention se traduit par la restauration de l'autorité de l'Etat en Libye et sa stabilité, la Tunisie pourrait y gagner à long terme. Question : Est –ce que vous pensez que cette frappe aura lieu ? Réponse : Nous savons qu'il y a des plans pour que cette frappe ait lieu, et ce seront les Italiens qui seront curieusement à la manœuvre avec le soutien des Etats-Unis et de la France. Personnellement, j'ai des doutes sur les capacités opérationnelles de l'armée Italienne, seulement les plans sont là, et probablement on va s'orienter vers une intervention. Ceci pour ne pas laisser le groupe terroriste « Daech » s'installer en Libye et pour que le chaos ne s'y perpétue pas. Maintenant il faut aussi que les deux parlements et forces Libyennes s'unissent dans un mouvement d'unité nationale et démontrent aussi leur sérieux. Je comprends que la presse et l'autorité tunisiennes soient inquiètes, vu que jusqu'ici les interventions occidentales dans la région n'ont pas donné des effets percutants ou positifs. La Tunisie a peur des répercussions au cas où l'opération serait mal menée et durera trop longtemps. Dans ce cas elle n'entrainerait qu'un accroissement du chaos en Libye. Donc, les inquiétudes tunisiennes sont fondées. Question : Vous parlez de notre position géopolitique, de nos voisins Libyens et Algériens mais j'ai l'impression que vous avez omis nos voisins du nord de la Méditerranée, nos voisins Européens qui, selon nous, ne font pas assez pour aider la Tunisie. Réponse : Vous savez, les pays de l'Union Européenne sont eux -mêmes en crise et n'ont pas une situation économique aussi bonne que cela. Selon moi, la Tunisie ne doit pas attendre son salut de l'Europe, il faut que les Tunisiens se prennent en main et là c'est le rôle de l'Etat. Ce que je trouve très dangereux, c'est de voir que l'Union Européenne diffuse une idéologie ultra-libérale qui consiste à promouvoir le libre-échange. Il y a eu un accord de libre-échange entre la Tunisie et l'Union Européenne en 1995 qui a été uniquement au profit de l'Union Européenne et très peu au profit de la Tunisie. En tout cas, il n'y aura pas de solution miracle venue d'ailleurs , c'est à la Tunisie de s'organiser et c'est au gouvernement tunisien de mettre un plan très précis de redressement économique et de réforme pour combattre le principal problème de la Tunisie qui est le chômage. Je cite le proverbe « Aide toi et le ciel t'aidera ». Je pense que ce ne sont pas les Européens qui relanceront l'économie tunisienne. Question : Comment un pays sans ressources pourrait-il faire une croissance en abstraction avec les échanges européens ? Réponse : Il ne s'agit pas de faire abstraction mais de faire les efforts nécessaires. Regardez le Maroc : c'est le seul pays de la région qui progresse. Il a une stratégie, une vision claire du Roi pour relancer l'économie, pour aller vers les énergies innovantes, vers les énergies renouvelables, il y a une volonté. Je pense que ce qui manque à la Tunisie c'est un plan, une volonté politique pour aller de l'avant. Bien entendu, ça ne suffira pas, car il faudrait des investissements étrangers qui peuvent être européens ou provenant des pays du Golfe mais d'ores et déjà il faut que le gouvernement tunisien montre sa détermination.