Au moment où tout le monde s'attendait à ce que le pays trouve une sortie de la crise politique, la situation ne fait que s'aggraver et se compliquer davantage depuis plusieurs semaines et la crise politique actuelle menace de faire replonger l'économie du pays dans de profonds obstacles. L'instabilité politique et son impact sur l'économie nationale L'instabilité politique, qui sévit depuis plus de 7 ans, provoque un ralentissement important de l'économie tunisienne. Et malgré le progrès du taux de croissance enregistré de 2,5%, au premier trimestre 2018, l'instabilité politique a impacté immédiatement l'économie du pays. Ainsi, dans une note datée du dimanche 27 mai 2018, l'agence de notation « Fitch Ratings » a révisé les perspectives sur la note de défaut de l'émetteur à long terme en devises étrangères (IDR) à Négatif par rapport à Stable et a confirmé l'IDR à « B + ». Cette décision était motivée par le fait que «la note de la Tunisie est alourdie par une forte croissance de la dette publique et extérieure, et reflétait par de larges déficits jumeaux, une croissance économique modérée et un élan de la réforme atone dans un contexte de tensions sociales et politiques». « Fitch Ratings » a mis en relief certains chiffres clés de l'économie, notamment une inflation record non atteinte depuis 26 ans et des réserves de change de 72 jours d'importation en mai 2018 contre 111 jours fin 2016 et 93 jours fin 2017. L'agence s'attend à ce que le déficit courant se situe en moyenne à 9,5% et que la dette extérieure nette atteindra 75,6% du PIB en 2019, soit presque le double de son niveau il y a cinq ans. Elle prévoit aussi que la croissance du PIB va augmenter graduellement pour atteindre en moyenne 2,7% en 2018-2019. Par ailleurs, le document de la BAD met en exergue les réformes que la Tunisie devra entreprendre et réussir, très rapidement, pour espérer un sursaut de l'économie à moyen terme.
Un accès au crédit plus difficile Par rapport à la norme internationale, un pays ne doit pas descendre en-dessous des 90 jours d'importation car l'accès au crédit devient nettement plus difficile. En effet, les réserves de change de la Tunisie se situent actuellement aux alentours de 72 jours d'importation et sachant que la Tunisie est appelée à mobiliser dans le cadre du budget 2018 quelque 9,5 milliards de dinars de crédits nouveaux, la situation s'accroît davantage. L'agence de rating Moody's a dégradé la note souveraine de la Tunisie, la faisant passer de « B1 » à « B2 ». Et à un moment où la Tunisie envisage de solliciter les milieux financiers internationaux pour un crédit d'un milliard de dollars, ces derniers ne vont plus se focaliser sur les résultats macroéconomiques et les réformes économiques du pays uniquement, mais d'évaluer aussi la stabilité politique qui y règne. Certes, la crise politique que connait le pays aura des conséquences importantes et, à des degrés divers, sur l'économie et sur la souveraineté financière. Cependant, le recours à l'endettement extérieur devient un danger lorsqu'il est utilisé abusivement au point de laisser penser que les dettes accumulées sont devenues insoutenables et la décision souveraine devient menacée.
Accord suspendu ....investissements suspendus En présence d'instabilité politique, l'incertitude économique et les difficultés de financement actuelles ou à venir vont rendre les investissements retardés ou suspendus, alors que l'économie, l'investissement et la création d'emplois nécessitent un minimum de stabilité politique. D'un autre point de vue, l'instabilité politique affecte la croissance économique parce qu'elle augmente l'incertitude politique qui, à son tour, influe négativement sur les principales décisions des agents économiques comme l'épargne et l'investissement. Une probabilité élevée de changement gouvernemental implique une incertitude sur les politiques publiques futures. Ce qui conduit les agents économiques confrontés au risque à adopter une attitude attentiste en reportant ou en annulant toute initiative susceptible d'accroître le volume des activités économiques. Toutefois, l'Accord suspendu de Carthage 2 requiert de 4 à 5 ans pour un nouveau gouvernement qui serait chargé de réaliser les objectifs et autres mesures contenues dans ce document. Ainsi, le gouvernement prochain aura besoin de plus de temps afin d'accomplir sa mission. Par ailleurs, une réaction de prudence est prévue de la part des investisseurs étrangers qui préfèreront attendre avant d'investir sur un territoire dont ils ne connaissent pas l'avenir juridique. Tout cela peut avoir un effet négatif sur la croissance de l'économie tunisienne.
ENCADRE 1 Ezzedine Saidane : "l'Accord de Carthage II " est une perte de temps !!! Dans une interview accordée à « Africanmager », l'expert en économie Ezzedine Saidane, a déclaré que : « l'Accord de Carthage II est une perte de temps, qu'il en a pris plus qu'il ne faut pour aboutir à un document qui ne vaut rien du tout. "Cet accord est un mélange de mesures, de mesurettes et de réformes, marqué par une absence totale de démarche, de compréhension et de l'évaluation de l'état des lieux de la situation économique et financière du pays. Lister des mesures de cette façon prouve une mauvaise compréhension de l'urgence de la situation. Le pire c'est qu'on n'en a pas encore fini puisque ce document va être encore soumis à des sous-commissions", a-t-il précisé. Il a en outre indiqué qu'en parallèle de ce qui se passe avec le Document de Carthage 2, les indicateurs économiques, sans exception, continuent de se détériorer, considérant cela comme une forme d'inconscience volontaire ou involontaire face à la gravité de la situation : "Chaque partie à son agenda caché alors que le pays nécessite une véritable opération de sauvetage et d'arrêt de l'hémorragie", a alerté l'expert en économie. Interrogé sur les solutions, Saidane a suggéré une évaluation réelle de la situation économique et financière du pays signée par les parties prenantes du Document de Carthage 2 et la mise en place d'un programme de réformes structurelles dont le principal objectif est d'arrêter l'hémorragie et faire sortir l'économie tunisienne de l'impasse dans laquelle elle se trouve aujourd'hui. "Ce plan d'ajustement structurel", ajoute-t-il, nécessite entre 18 et 24 mois pour son implémentation. Une fois ce programme de réformes structurelles finalisé, nous devons, selon Saidane, engager les réformes profondes qui nécessitent une clarification de la perception politique : "Il y a une crise de gouvernance très claire en Tunisie et on est appelé plus que jamais à reconnaître la gravité de la situation économique et financière", a-t-il dit.
ENCADRE 2 Sadok Belaïd : un sombre avenir
Le Doyen Sadok Belaïd, spécialiste en droit constitutionnel, a déploré que des mois de tractations entre les partenaires du Document de Carthage II aient mené à une impasse. Dans un entretien accordé au quotidien « La Presse », il a souligné que : « la conception exclusive de la démocratie" qu'ont les partenaires de Carthage II, ajoutant qu'il est à déplorer que leurs manœuvres, tractations et surenchères politiciennes se traduisent par un dramatique blocage de la vie politique du pays et par l'aggravation de l'incertitude quant aux chances de la relance de l'activité économique nationale et de la sortie de la crise profonde dans laquelle le pays se trouve plongé... » L'expert en droit constitutionnel a souligné aussi que ce processus « extraconstitutionnel" censé débloquer la situation économique, déjà très inquiétante et contourner les blocages politiques au niveau des institutions, a débouché sur un échec en raison de l'incapacité de toutes les formations partisanes de transcender leurs interminables et vaines querelles de clochers ». ENCADRE 3 Des partis politiques s'expriment El Joumhouri : « limiter la détérioration de la situation socio-économique » "La Tunisie a besoin aujourd'hui d'un gouvernement restreint se fixant pour objectif de limiter la détérioration de la situation socio-économique, préserver la sécurité, assainir le climat politique et préparer le pays aux prochaines élections avec un engagement du pouvoir exécutif bicéphale de se consacrer aux affaires de l'Etat sans se porter candidat aux prochaines élections et de réunir les conditions politiques propices à une sortie de crise loin des luttes de succession qui se profilent à l'horizon et dont la Tunisie a lourdement pâti dans sa récente histoire politique"
Harak Tounes : « Une crise politique grave qui reflète l'irresponsabilité du système de gouvernance » « La suspension du Document de Carthage II représente une fin naturelle à un parcours illégal fondé sur des équilibres fragiles, des calculs étroits et des accords frauduleux, aboutissant à une gestion insuffisante des dossiers économiques et sociaux et à la préservation de l'image et de l'équilibre juridique de la Tunisie »