Gestion des biens confisqués Le grand scandale ! L'EXPERT – Juste après la Révolution, les nouveaux responsables politiques avaient promis monts et merveilles au peuple tunisien, avec l'argent des biens spoliés, récupérés ou qui le seront, par la suite. Toutefois, aujourd'hui, tout le monde déchante et le constat est des plus amers. Les biens récupérés sont devenus un fardeau, pour lesquels on dépense plus qu'on en gagne, alors qu'on s'est, aussi, permis le luxe de lever le gel sur les biens de Marouane Mabrouk qui, bien que faisant l'objet de nombreux procès, continue à s'enrichir et à fructifier son argent, au vu et au su de tout le monde. Certaines entreprises florissantes du temps de Ben Ali et qui rapportaient beaucoup d'argent à leurs détenteurs sont, aujourd'hui, pratiquement en faillite, ne trouvant, même pas, d'acheteur potentiel, au vu de leurs dettes, biens qu'elles disposent, parfois, d'un patrimoin imposant. Les représentants du peuple au parlement ont été unanimes, lors d'une plénière, tenue pour l'examen du dossier des biens spoliés, en ce qui concerne l'échec du système de la confiscation, de la gestion et de récupération et ont dénoncé ses défaillances et la corruption. Certains députés ont indiqué que ce dossier est transformé en une surenchère politique par les partis au pouvoir et est utilisé pour l'extorsion, appelant à la nécessité de trancher sur cette question et de demander des comptes à tous les responsables des dépassements. Ils ont mis l'accent sur la régression de la valeur des biens et des voitures spoliés, en raison de leur abandon. Le député Hassen Laamari a souligné qu'il existe des entreprises spoliées qui ont été intentionnellement mises en faillite, alors que le député Ghazi Chaouachi a fait savoir que la commission de la gestion est exposée à l'extorsion. La députée HélaHammi s'est interrogée sur la limitation de la confiscation à la famille au pouvoir, sans évoquer d'autres noms, tandis que le député Ammar Amroussia a qualifié le système de la confiscation d'échec politique et juridique. Le député Imed Khémiri a imputé l'échec de ce système à l'absence de législations, expliquant que ce système est compliqué au point d'être devenu un tremplin pour la corruption. Un nombre de députés ont dénoncé la levée du gel sur les biens de l'homme d'affaires Marouane Mabrouk, affirmant que cette étape s'inscrit dans le cadre d'un dossier de corruption pour le système de pouvoir. Réponses peu convaincantes Comme pour calmer la colère des députés, le ministre des Finances n'a pas tari de promesses, sachant, toutefois, qu'elles ne seront, jamais des réalités. Il a affirmé qu'en 2019, l'Etat cédera 30 sociétés confisquées dans le cadre du programme de cession. Intervenant en plénière, Ridha Chalghoum, ministre des Financesa ajouté que sur un total de 646 sociétés concernées, 54 petites entreprises seront cédées au cours de cette année, précisant que nombreuses d'entre elles sont en faillite. Il aurait pu, aussi, expliquer pourquoi ces entreprises sont en faillite, alors qu'elles étaient en plein essor, avec leurs anciens propriétaires. 2335 décisions de confiscation ont été émises par la commission nationale de confiscation, jusqu'à fin 2018, a rappelé le ministre, ajoutant que 1007 décisions de confiscation ont été prises à l'encontre de 646 sociétés appartenant à des gendres du président déchu et sa famille . Le ministre a également rappelé que 630 biens immobiliers ont été saisis, outre 242 comptes bancaires et postaux et 211 voitures, motos et des YACHTS. Chalghoum a également indiqué que le taux de capital de l'Etat dans les biens confisqués ne dépasse pas 21,3%, ce qui rend plus difficile le règlement de ce dossier. Par ailleurs, le gouvernement propose la création d'une agence ayant le caractère d'une entreprise publique dirigée par un conseil d'administration et chargée de gérer les fonds confisqués, a déclaré le ministre de la Justice, Mohamed Karim Jamoussi. Dans sa réponse aux interventions des députés Jamoussi a reconnu l'existence de « la difficulté de coordination entre les acteurs de la gouvernance des fonds confisqués ainsi que l'existence de vides législatifs ». La levée du gel vaut mieux ? D'autre part, le ministre a précisé que la demande de gel des fonds des personnes objet de confiscation en dehors du territoire tunisien ne pouvait dépasser 10 ans au maximum. Il a indiqué que le gouvernement « avait décidé de lever le gel des fonds des personnes impliquées dans cette procédure chaque fois que la personne concernée répondait à la demande de fournir une garantie bancaire équivalent ou dépassant la valeur des fonds gelés à l'extérieur de la Tunisie, ainsi que d'un engagement et d'autres mesures ». Sur le retour de fonds tunisiens pillés à l'étranger, le ministre de la Justice a déclaré que le résultat de ces efforts « n'était pas à la hauteur des espoirs et n'a pas dépassé la restitution de deux yachts, deux avions et une somme d'argent ne dépassant pas 4 millions d'euros ». Il a attribué ce « modeste bilan », après plusieurs années de révolution, à « la complexité des procédures judiciaires, à la durée des procès et au jugement par contumace par la justice tunisienne des personnes impliquées », des procédures jugées par la législation de nombreux pays, « contraires aux fondements d'un procès équitable ». La restitution des fonds « reste tributaire du degré de la coopération des pays avec lesquels la Tunisie est associée à des accords de coopération judiciaire ». En ce qui concerne les biens confisqués en Tunisie, le ministre de la Justice a indiqué que seules 278 entreprises des 646 confisquées en vertu des décrets émis en 2011 sont actuellement sous le coup d'une décision de justice, ce qui représente une intervention judiciaire de l'ordre de 52% environ du total. La gestion immobilière, par le biais de gérants commis d'office, ne représente que 17%, soit 180 biens sous la responsabilité de gérants judiciaires, sur un total de 578 biens confisqués. La faute au système judiciaire ! Jamoussi a reconnu devant les députés du peuple que le système judiciaire tunisien « n'est pas adapté à traiter le système de confiscation », soulignant que de nombreuses affaires sont toujours en instance devant la justice la qualifiant d'impartiale et jouant son rôle dans le règlement des affaires dont elle est saisi ». Il a passé en revue à cet égard les procédures judiciaires dans l'affaire des biens de l'homme d'affaires Mohammed Marouane Al Mabrouk. Un certain nombre de députés, notamment Mongi Rahoui, Chafik Ayadi (Front populaire), Samia Abbou et Salem Labiadh (Bloc démocratique) ont focalisé une partie importante de leurs interventions devant les trois ministres pour évoquer le dossier controversé de Marouane Al Mabrouk. Samia Abbou a estimé que « l'Etat qui est responsable de la sauvegarde des deniers publics était partie prenante d'une escroquerie menée par Al Mabrouk ». De son côté, Ayadi a affirmé qu'il s'adresserait à l'Union européenne et soumettrait à ses collègues de l'ARP une pétition parlementaire demandant le maintien du gel des fonds. « Il n'y a aucune volonté politique de la part du gouvernement de lutter contre la corruption », a-t-il déclaré à ce propos. Pour sa part, la députée du groupe parlementaire de la Coalition nationale, Laila Hamrouni, a estimé que la question des biens confisqués « est devenue un dossier réquisitoire contre le gouvernement ». Des bénéfices pour l'Etat ? Pour sa part, Hédi Makni, ministre des domaines de l'Etat et des affaires foncières a affirmé que lacession de 16% des actions de l'homme d'affaires Marouane Mabrouk au sein de la société Orange Tunisie fournira au budget de l'Etat 160 millions de dinars qui serviront à rembourser les dettes de 4 banques tunisiennes. Le ministre a expliqué que la société Orange Tunisie est dans une situation « catastrophique » et peut même quitter la Tunisie. Pour Makni, le gouvernement n'est pas derrière la demande de levée du gel sur les biens de Marouane Mabrouk, expliquant que l'intéressé (Mabrouk) est parvenu à obtenir une décision de justice attestant de l'arrêt de la décision de confiscation de ses biens, ce qui lui a permis d'obtenir une décision du juge du registre de commerce lui accordant le titre de représentant légal de la société. Le ministre a également souligné que Mabrouk s'est basé sur ces décisions pour obtenir la levée du gel de ses avoirs à l'étranger et le retrait de son nom de la liste noire qui comporte 48 personnes concernées par la confiscation à l'étranger. Makni a également précisé que la levée du gel sur les avoirs de Mabrouk ne veut en aucun cas dire qu'il ne sera pas poursuivi en justice en Tunisie ou à l'étranger. A rappeler que l'Union européenne (UE) a, officiellement, levé le gel sur les biens de l'homme d'affaires tunisien Marouane Mabrouk. Le nom de Marouane Mabrouk a été supprimé d'une liste de 48 personnalités de l'ancien régime déchu, qui font l'objet de gel de leurs avoirs, depuis 2011.