La menace des changements climatiques planent Plusieurs études ont prouvé que la Tunisie est menacée par la perte de ses ressources naturelles, puisqu'elle est confrontée à une grande pénurie de céréales à cause de la sécheresse et la perte de 30% des superficies consacrées aux grandes cultures qui atteindront un million de hectares en 2030, contre 1,5 million ha actuellement. Cette régression engendrera une baisse du PNB agricole qui variera entre 5 et 10%. En cas de recrudescence des périodes de sécheresse, les superficies de culture des céréales, en particulier dans les régions du centre et du Sud, seront réduites de 200 mille ha et les arbres fruitiers de 800 mille ha. Toujours à l'horizon 2030, le nombre de bétail diminuera de 80% dans le centre et le sud, contre 20% dans le nord à cause de la dégradation des pâturages. A l'horizon 2030, aussi, les bassins de pisciculture en Tunisie seront confrontés aux risques de la hausse du taux d'acidité des eaux de mer et de l'amplification du phénomène de la pêche anarchique, en plus des risques des changements climatiques. Ainsi, en 2030, les deux frères Houcem et Wissem, âgés actuellement de trois ans, auront 14 ans, âge de la croissance nécessitant une alimentation équilibrée basée essentiellement sur des produits (pates, viandes, lait) qui seront des denrées rares à cause de la sécheresse induite par les changements climatiques. En terme de consommation annuelle de pâtes, la Tunisie est classée deuxième, avec 16 kg par habitant, alors que les viandes représentent 21% de l'alimentation du tunisien qui consomme environ 110 litres de lait chaque année. Des impacts palpables Le coordinateur du comité sectoriel des changements climatiques au ministère de l'agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, Rafik Aini, a indiqué que la Tunisie » est l'un des pays africains qui subissent de plein fouet les impacts négatifs des changements climatiques ». Et d'ajouter que la majorité des études stratégiques élaborées de 2005 à 2013 pour évaluer la fragilité de l'économie tunisienne (dont en particulier le secteur agricole), des villes, des zones côtières et des écosystèmes, ont démontré que le pays a déjà subi et subira encore les impacts des changements climatiques. La Tunisie sera confrontée à la hausse des températures, à la rareté des pluies ainsi qu'à la hausse du niveau de la mer en plus des phénomènes climatiques extrêmes qui seront plus nombreux dans les années à venir à cause du réchauffement. On prévoit, selon un scénario international optimiste, une hausse des températures en Tunisie de 1,1 degré en 2020 et de 1,2 degré en 2050, ainsi qu'une baisse de la moyenne des pluies d'un taux variant entre 5 et 10% en 2020 et entre 10 et 30% en 2050. Selon ces études stratégiques qui ont comporté la mise en place de plans d'action d'adéquation, le changement climatique sera amplifié avec des incidences importantes aux niveaux du stress hydrique et de la détérioration des écosystèmes agricoles, avec une possibilité de baisse du PIB agricole à un taux de 10% en 2030. Le cout des dégâts causés par la hausse du niveau de la mer est estimé à 6,3 milliards de dinars en 2050, selon le même scénario optimiste, lequel détermine la hausse du niveau de la mer à un niveau qui ne dépasse pas les 50 centimètres à la fin de ce siècle. Rien qu'en observant les dernières inondations survenues dans les régions de Bizerte, Nabeul et les zones côtières, on réalise que les impacts des changements climatiques en Tunisie sont palpables. En effet, le dernier rapport d'évaluation du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du climat (GIEC) révèle que le gouvernorat de Kairouan a enregistré une hausse de la moyenne des températures de deux degrés, contre une moyenne mondiale d'un degré, indique Rafik El Aini. Importantes fluctuations de la production agricole Selon le directeur général des études agricoles Halim Kasmi, la production agricole, notamment, les cultures pluviales, a connu, au cours des dernières années, d'importantes fluctuations expliquées par la variabilité pluviométrique. Ce déséquilibre est observé dans le secteur des oliviers qui enregistré en 2011 une production de 600 mille tonnes, contre 900 mille tonnes en 2012, un million 100 mille tonnes en 2013, 370 mille tonnes en 2014, 1 million 700 mille tonnes en 2015, 700 mille tonnes en 2016, 500 mille tonnes en 2017 et un million 600 mille tonnes en 2018. Cette fluctuation de la production est également visible au niveau de la production céréalière qui a enregistré en 2011 et 2012, environ 23 millions de quintaux, 13 millions de quintaux en 2013, environ 12 millions de quintaux en 2016, 16 millions de quintaux en 2017 et 14 millions de quintaux en 2018. S'agissant de la pêche, la production a atteint en 2011, 109 mille tonnes, contre 117,6 mille tonnes en 2012, 122,2 mille tonnes en 2013, 126,5 mille tonnes en 2014, 126,5 mille tonnes, 131,6 mille tonnes en 2015, 126,5 mille tonnes en 2016, 130 mille tonnes en 2017 et 132 mille tonnes en 2018. Les données de l'Institut national de la météorologie, révèlent une recrudescence du nombre des journées chaudes d'environ 7 jours chaque décennie, de 3,5 jours dans le sud et de plus de 14 jours dans le nord et l'est du pays, contre une baisse du nombre de jours froids en moyenne de 10 jours chaque décennie. Le ministère de l'agriculture œuvre, en coopération avec la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et l'AFD (Agence française de développement) à la mise en place d'un plan national d'adéquation avec les changements climatiques. L'objectif du plan est de fixer une stratégie et des projets prioritaires visant à lutter contre les changements climatiques en Tunisie. La première phase qui démarrera au cours du mois de septembre 2019, permettra de passer en revue la situation actuelle et identifier les points faibles et le taux de hausses des températures prévus. Le développement de projets agroforestiers comme solution Deux jeunes, un tunisien Fayçal Boulkout et un français Edouard Jean, ont lancé le Collectif d'Acteurs pour la Plantation et la Transition Environnementale (CAPTE) qui comporte une entreprise Solidaire d'Utilité Sociale et deux associations de développement international, en Tunisie et en Colombie. CAPTE propose de cofinancer des projets de compensation carbone volontaire via les agroforesteries et la reforestation. Ces projets de plantation d'arbres sont installés par le collectif, en symbiose avec les agriculteurs partenaires et plusieurs acteurs de la société civile, en France, en Tunisie et en Colombie. Les projets sont suivis sur une durée allant de 15 à 30 ans, selon les standards. L'objectif de CAPTE est de lutter contre les changements climatiques et de développer la relation entre les agriculteurs à travers la mise en place de l'agroforesterie qui constitue une solution très efficace pour répondre aux enjeux de notre siècle notamment en terme de sécurité alimentaire et de régénération des écosystèmes pour les générations futures. En Tunisie, la CAPTE a participé à la dépollution intégrée de la Lagune de Bizerte par l'installation de vergers de caroubiers et de figues de barbarie dans un système de semis direct, et d'arboriculture biologique. Boisements d'oueds et haies mixtes pour contribuer à limiter l'impact de l'érosion hydrique et éolienne. Il s'agit, également, de la réalisation de corridors environnementaux autour de l'oued Tine, et ce, à la frontière entre les zones humides et les lisières forestières et le soutien à l'agriculture vivrière par l'installation de vergers familiaux composés d'essences natives et couverture des sols par des méteils. Un 3ème projet concerne la réalisation de projets pour assurer la lutte contre l'érosion par l'arborisation au gouvernorat de la Manouba. A l'oasis de Kébili(gouvernorat de Kébili) , l'association a conclu des partenariats avec des agriculteurs oasiens cultivant en agriculture biodynamie, (forme de l'agriculture biologique) en vue de renforcer l'arborisation des plantes pour contribuer à améliorer la biodiversité et l'efficacité de l'irrigation. De même, au niveau des ruines de Dougga au gouvernorat de Béja (nord-ouest du pays), le collectif d'acteurs pour la plantation et la transition environnementale(CAPTE) réalise des projets pour soutenir l'installation de vergers mixtes (caroubiers, amandiers, oliviers), de haies fourragères et implémentation d'une mini pépinière. En attendant l'engagement Refusant de commenter la position du gouvernement tunisien en matière de lutte contre les effets du changement climatique, Boulkout, co-fondateur de la CAPTE, a néanmoins rappelé que seulement 20 pays ont respecté les engagements pris lors de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (COP 21). « La Tunisie ne figure pas parmi ces pays, bien que le pays a signé l'Accord de Paris sur le climat, lors de sa participation à la COP 21 », a-t-il encore expliqué. Idem pour l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat(UTICA) qui a signé à l'instar des organisations membres de l'Union du Maghreb Arabe (UMA), la déclaration maghrébine sur l'énergie et le climat et la déclaration de Marrakech, et ce, lors de la tenue de la Conférence de Marrakech de 2016 sur les changements climatiques (COP 22). La Tunisie s'est engagée avec 50 pays à accélérer sa transition énergétique par l'utilisation des énergies renouvelables pour réduire les gaz à effet de serre et a adopté, en 1993, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, outre le protocole de Kyoto (2002). De même, le ministère des Affaires Locales et de l'Environnement a bénéficié de la présence des représentants d'organisations opérant dans le domaine de l'environnement à l'instar de l'Agence allemande de coopération internationale (GIZ) et la fondation Friedrich-Ebert Stiftung pour la réalisation d'une stratégie nationale relative aux changements climatiques. Il ya lieu de rappeler que la constitution tunisienne a intégré la protection de l'environnement d'une manière claire et globale tout en privilégiant certaines composantes de l'environnement , en mettant l'accent sur les liens indissociables entre environnement et développement durable et en mettant en place certaines garanties législatives et institutionnelles . Concrètement, la constitution a instauré une instance de développement durable et de protection des droits des générations futures. Une lueur d'espoir Un projet de loi relatif à la création de cette instance est en cours d'examen, au niveau du parlement. Cette institution indépendante vise à mettre en place les fondements du développement durable et à assurer le respect de ses mandants aux niveaux national, régional et local, en équilibrant les impératifs économiques, sociaux et environnementaux de la transition lors de l'élaboration des politiques publiques (économique, sociale et environnemental) à court, moyen et long termes. L'objectif recherché est d'atteindre un développement intégré et d'assurer une utilisation rationnelle des ressources et des richesses. En cas d'adoption, cette initiative législative contribuera à faire renaitre l'espoir dans l'avenir alimentaire de la Tunisie « verte « , connue depuis l'antiquité comme étant « le grenier de Rome » et devenue actuellement importateur de ses besoins alimentaires de base, notamment, les céréales et les maïs pour couvrir la demande croissante en denrées alimentaires et fourrages. L'Instance du développement durable ouvre, également, de nouvelles perspectives pour relancer le principe de » sécurité alimentaire « , un concept qui été très en vogue avant la Révolution, mais devenu aujourd'hui la dernière préoccupation du tunisien qui réclame maintenant » la sécurité du transport « , » la sécurité individuelle » et se bat pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires.