La nouvelle a été communiquée depuis quelques semaines par la presse économique française : Airbus, l'avionneur européen relevant du groupe EADS, entend délocaliser certaines de ces activités en Tunisie. Elle a été reçue attentivement et reprise avec tant de réserve, notamment suite aux fausses promesses d'un autre avionneur, Latécoère en l'occurrence, quelques mois auparavant. « L'Expert », soucieux d'aller au-delà de la simple information et d'éclairer des lecteurs avides pour une vision analytique, a creusé dans le bilan, les résultats et les divers documents institutionnels et stratégiques d'Airbus, et du groupe EADS en général, pour en déduire les motifs d'une éventuelle délocalisation en Tunisie. Pour commencer, il convient de préciser que la décision est intervenue en plein processus de transformation d'Airbus. Les difficultés techniques et industrielles rencontrées sur les grands programmes au cours des deux dernières années ont lourdement pesé sur les résultats 2007. La défaillance, reconnue par la direction même du groupe, dans la gestion de ces programmes a, non seulement, entraîné des retards susceptibles de faire perdre des clients à Airbus, mais a surtout pesé sur sa rentabilité.
En 2007, l'action EADS a suivi une évolution parallèle à celle du dollar. La dépréciation du billet vert qui a perdu plus de 10 % face à l'euro, a alimenté les craintes des investisseurs sur la compétitivité d'Airbus et sa capacité à renouer avec la rentabilité en cas de nouvelles baisses du dollar qui pèseraient sur les marges de l'avionneur. En aggravant la faiblesse du dollar, la fragilité de l'économie américaine pénalise ainsi fortement la compétitivité de l'industrie européenne en général.
L'annonce en octobre 2007 de retards concernant le programme A400M (avions de transport militaire) a également pesé sur le cours. Ceux-ci résultent principalement du retard pris dans le développement des moteurs et des systèmes. Par voie de conséquence, la perte opérationnelle (EBIT) s'est creusée, à 881 millions d'euros (contre -572 millions d'euros en 2006). Ni le dynamisme commercial du groupe, ni l'amélioration de sa gouvernance n'ont permis de restaurer la confiance. Le 31 décembre 2007, l'action EADS clôturait à 21,83 euros, en baisse de 16 % par rapport à fin 2006, alors que le CAC 40 progressait de 1,3 %. Le chiffre d'affaires s'est finalement situé à 25.126 milliards d'euros en 2007 en légère régression par rapport à 2006.
Un Comité stratégique a été d'ailleurs mis en place, au niveau de l'ensemble du groupe, pour faire face à une telle situation. Au-delà des décisions industrielles prises pour assurer une croissance durable et rentable, du rééquilibrage de portefeuille et de l'optimisation des coûts, les premières fonctions de ce comité consiste à préserver les intérêts du groupe à plus longue échéance.
Ce comité a adopté un document stratégique intitulé « Vision 2020 », tenant lieu de feuille de route pour l'ensemble du groupe EADS, qui prévoit comme étant indispensable la prise de mesures supplémentaires pour surmonter la faiblesse persistante du dollar ou encore l'amélioration de la gestion des programmes. En vertu de cette feuille de route, EADS a l'intention d'abandonner relativement son « eurocentrisme » et l'ambition de devenir une entreprise industrielle véritablement internationale, dont 20 % des salariés et 40 % des approvisionnements se situeront hors d'Europe. Des objectifs qui attestent d'une véritable détermination à renouveler EADS en profondeur.
Synonyme de cette stratégie explicite d'internationalisation, l'avionneur européen a récemment inauguré en Chine sa première chaîne d'assemblage non européenne. Il s'agit vraiment d'un nouveau chapitre de l'histoire d'Airbus, car c'est la première fois que l'avionneur ouvre une chaîne d'assemblage entière hors d'Europe. Tous les appareils du constructeur étaient jusque là assemblés à Toulouse ou Hambourg.
Simultanément la direction du groupe a lancé un large processus de transformation, destiné à sécuriser la compétitivité d'Airbus, sérieusement ébranlée par la chute du dollar. Baptisé Power8, ce programme de restructuration (qui n'est rien d'autre qu'un plan de redressement de l'entreprise), lancé en février 2007, commence déjà à produire ses premiers résultats. D'ici à 2010, la direction entend ainsi réduire les coûts de 2,1 milliards d'euros par an et réaliser des économies cumulées de trésorerie de 5 milliards d'euros. Des actions de délocalisation de certaines activités dans des pays proches géographiquement (faible coût de transport) et qui offrent des incitations fiscales encourageantes et une main d'œuvre qualifiée bon marché, comme la Tunisie, permettent d'atteindre ces objectifs. C'est la finalité même de Power8 qui se fixe comme ambition de donner naissance à un « nouvel Airbus », entièrement intégré, plus rationnel, plus efficace et plus productif. Cette nouvelle organisation, recentrée sur le coeur de métier d'architecte et d'intégrateur d'avions, favorisera un cycle plus court de développement des avions.
Airbus se trouve, d'autre part, devant l'impératif de gérer les hausses attendues de production. En effet, l'afflux considérable de commandes pour Airbus, mais aussi pour Eurocopter et Astrium (autres divisions de EADS), annoncées en juin 2008, a déclenché une modeste reprise du cours de l'action EADS. L'annonce de la simplification de la gouvernance et de la mise en oeuvre d'une structure de management et de direction uniques a aussi renforcé le sentiment favorable.
En somme, c'est justement dans le cadre du plan power8 qu'une délocalisation d'Airbus en Tunisie trouverait donc sa justification. Outre ses atouts traditionnels, la Tunisie présente d'autres avantages qui semblent particulièrement intéresser Airbus. D'abord la proximité de la Tunisie du continent européen en comparaison à d'autres destinations compétitives. Cela est important, car EADS continue à réaliser la grande part de son chiffre d'affaires (45%), soit 17 milliards d'euros, en Europe, largement devant l'Asie pacifique (23%) et l'Amérique du Nord (20%).
La Tunisie demeure également proche géographiquement et culturellement du marché en montée spectaculaire et très prometteur du Moyen-Orient, véritable réservoir de croissance où EADS réalise déjà 6% de son chiffre d'affaires. Un taux qui connaîtra certes davantage une croissance exponentielle au bout des prochaines années, suite aux commandes historiques de valeur astronomique émanant notamment des pays du Golfe, Emirats arabes unies et Qatar en tête.
Enfin, pour la Tunisie, la nouvelle ne peut être que bien reçue. Airbus est incontestablement l'un des leaders de l'aéronautique mondiale. L'attention portée à ses clients, son savoir-faire commercial, sa position de leader technologique et ses capacités de production permettent à cet avionneur européen de remporter entre 40 et 60 % de l'ensemble des commandes d'appareils de plus de 100 sièges.
Le choix de notre pays, parmi d'autres sites concurrents, ne pourrait que réaffirmer l'attractivité du site Tunisie dans un secteur de haute technologie. Il s'agit également d'une grande référence qui va encourager les groupes de taille similaire, que ce soit dans le domaine aéronautique ou dans d'autres branches, de délocaliser leurs activités en Tunisie.