Ceux qui ont accordé le préjugé favorable à Béji Caïd Essebsi tant pour sa crédibilité que pour ses compétences et sa longue expérience dans la gestion des affaires de l'Etat, ont été soulagés par la nomination de Habib Essid à la tête du département de l'Intérieur. Non que le précédent hôte de la grande maison de l'Avenue Habib Bourguiba ait manqué le coche ou qu'il ait failli à son devoir d'homme d'honneur. Mais que la nouvelle phase délicate et transitoire que traverse le pays exige un commis de l'Etat plus «équilibré». Le nouveau ministre de l'Intérieur qui est le troisième à assumer cette charge depuis le 14 janvier répond aux exigences de l'heure. Alors que le premier, Ahmed Friaâ, en plus du fait qu'il était mouillé sous l'ancien régime, a brûlé ses cartes dès sa première apparition. Une intervention télévisée, dans des conditions délicates, qui a déçu un grand pourcentage de téléspectateurs tunisiens. Fiers des premiers signes de libéralisation du système, voire enivrés par une mauvaise compréhension des fondements de concepts et encouragés par des groupes qui ont pris à leur compte les fruits de la révolte, des manifestations aboutirent à la chute de Ahmed Friaâ qui n'aura duré à son poste que peu de temps. Contrastant avec son prédécesseur, Farhat Rajhi avait bénéficié dès sa première apparition à la télé d'une sympathie inégalée. Sobre, jovial et spontané, ce magistrat peu connu des Tunisiens a pu, sans peine ni recherche, retenir l'attention des citoyens et gagner le préjugé favorable. Deux mois de travail assidu, de grands sacrifices et de mesures énergiques ont permis d'engager une délicate opération d'assainissement du département de l'Intérieur dans le but de le réconcilier avec le Tunisien d'une part et d'amorcer le rétablissement de la paix et de la stabilité dans le pays en traquant les hors-la-loi qui sèment la terreur, d'autre part. Autant d'acquis à son actif, mais qui laissent des questions posées sans réponses réelles. Par contre la personnalité de Habib Essid pourrait y répondre. Cet agroéconomiste né à Sousse qui traîne derrière lui une expérience vieille de près d'une quarantaine d'années dans les secteurs du développement régional et national, de la gestion et de la protection de la nature et de l'environnement. Pragmatique, grand bosseur et discret, Habib Essid cache jalousement sa méfiance et son penchant naturel pour l'information et le recoupement. C'est à Bizerte qu'il a été découvert et apprécié tant pour le sérieux de son travail, pour ses compétences que par ses qualités humaines, par Mohamed Ben Rejeb alors gouverneur de la région. Nommé ministre de l'Agriculture, ce dernier n'hésita pas à le prendre comme chef de cabinet. Quatre années plus tard, il suivait Ben Rejeb au département de l'Intérieur. Après la fuite de Ben Ali, le Premier ministre provisoire Mohamed Ghannouchi eut recours aux services de Habib Essid. Béji Caïd Essebsi ne tarda pas, après sa nomination à son poste actuel d'apprécier les qualités professionnelles et humaines de ce grand commis de l'Etat qui occupe le poste de Conseiller auprès du Premier ministre. Sera-t-il l'homme de la situation et pourra-t-il prendre la relève d'un Magistrat qui a eu l'avantage d'avoir bousculé un département où trône le secret et où le clientélisme, l'esprit d'appartenance, les luttes intestines et la recherche des méthodes les plus dures ont récompensé l'apparatchik? Tout porte à croire que, grâce à sa discrétion qui a été profondément cultivée depuis son séjour à la maison de verre de l'Avenue Bourguiba, sa connaissance des réalités du pays et sa formation sociale, Habib Essid constitue l'une des figures les plus aptes à assumer la lourde responsabilité de ce département.