A quelques mois près, une dizaine d'années séparent les attentats du 11 septembre d'avec la mort de leur instigateur, Oussama Ben Laden. Dix ans et pourtant rien n'a changé sauf peut-être l'inversion des rôles: en 2001, Al-Qaïda se pavanait d'avoir frappé l'Amérique dans ses symboles, plans économiques, idéologiques, militaires et civilisationnels, à savoir les Tours jumelles et le Pentagone. En 2011, c'est l'Amérique qui frappait le terrorisme dans la personne qui l'incarnait jusqu'à en être, auprès de certains, un objet de légende, à savoir Ben Laden. Rien n'a changé parce que, ici et là, on nage dans un clair-obscur qui nous laisse sur notre faim. Et comme nous sommes en Tunisie, où se déroule un vif débat sur la liberté de l'information et, notamment, sur l'accès de l'information comme une des conditions incontournables de la démocratie, l'Amérique nous offre généralement l'exemple d'un art consommé du blocage de l'information, de sa manipulation, de son tripatouillage. Le phénomène ne date pas d'hier. Souvenons-nous: l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, n'a pas encore été élucidé, un demi-siècle après sa survenue. Dans un autre registre, celui non plus politique mais culturel (peut-être y a-t-il eu, après tout, une convergence, ou mieux une connivence entre les deux registres), la mort de Maryline Monroe, comporte, jusqu'à aujourd'hui, des zones d'ombre troublantes.
De nombreuses interrogations Les attentats du11 septembre, n'ont pas, à tout le moins pour certaines personnes sourcilleuses en matière de véracité des faits, révélé leur véritable réalité. Que d'analystes, commentateurs, homme politiques, folliculaires de tout acabit s'en sont donné à cœur-joie pour détricoter le crime et en exempter Ben Laden et Al-Qaïda, jugés incapables, technologiquement et logistiquement de le commettre. La thèse est difficilement crédible mais cela n'empêche pas ses tenants d'y croire dur comme fer. Persuadés d'un soi-disant complot à l'encontre du monde arabo-musulman, et de l'existence de forces occultes gérant le gouvernail du monde au profit de certains lobbies. Onze ans après, c'est le même topo. Avec à la clé de nombreux points d'interrogations. Ils concernent l'acte lui-même. Comment le commando américain s'y est-il pris pour tuer Ben Laden sans éveiller, jusqu'à la dernière minute, les soupçons? Voilà des hélicoptères qui s'invitent à une forteresse, qui se positionnent calmement au-dessus du bâtiment ciblé, et qui se mettent à le canarder jusqu'à ce que mort s'ensuive chez ses occupants. Où étaient ceux qui protégeaient Ben Laden? Les autorités pakistanaises étaient-elles au courant? Encore mieux étaient-elles de mèche alors que Washington avait déclaré qu'elle avait agi de son propre chef sans mettre dans le vent Islamabad. Bref, des informations qui brinqueballent. Certains sont même allés plus loin jusqu'à en attribuer la responsabilité aux Pakistanais eux-mêmes.
Commedia dell'arte Ceci en ce qui concerne la liquidation physique de Ben Laden. Mais ce qui est plus étrange, c'est ce qui s'est passé après-mort. Le monde entier et, surtout, le monde arabo-musulman a été estomaqué, abasourdi par une étrange information: les Américains se sont défait du cadavre en le jetant à la mer. Et l'explication donnée est encore plus étrange: il ne fallait pas l'inhumer en terre ferme pour ne pas faire du lieu de son enterrement un lieu de mémoire et de pèlerinage. Ce qui serait susceptible de maintenir vivace la flamme du souvenir et de donner de mauvaises idées à ses thuriféraires. On aurait pu trouver un carré de verdure bien à l'abri des regards curieux et l'y enterrer calmement, sans recourir à de tels subterfuges dignes de la commedia dell'arte, chère aux Italiens. A moins qu'il faille balayer d'un revers de main toutes ces remarques et se dire que, peut-être, a-t-il été mis sous terre comme le veut la tradition musulmane et que l'annonce de l'évacuation du corps par voie maritime était en réalité destinée à dissuader ses adeptes d'aller fouiner dans tous les recoins de la planète. Autre non-dit concernant cette affaire et que certains affirment péremptoirement. Le chef de Al-Qaïda a été en réalité abattu il y a pas mal de temps. Il vient d'en être ressorti pour les besoins d'une cause. Mais quelle cause? Il n'y a pas lieu de se tromper. C'est la cause électoraliste. En effet, le président-candidat à la prochaine investiture présidentielle vient de partir en guerre pour assurer sa réélection. Et, il en avait d'autant plus besoin que les clignotants de son parcours étaient presque au rouge. Peu de réussites au plan national comme au plan extérieur. Rien n'allait plus sauf un mince espoir qui réside dans le fait que dans les rangs du parti rival aucune personnalité charismatique n'émergeait du lot pour lui barrer la route. Réaliser un grand coup d'éclat effacerait d'un trait tous les couacs enregistrés jusque-là et qui ont fortement entamé sa côte de popularité. Le dernier en date de ces couacs étant le manque d'audace dans le traitement du soulèvement de la rue arabe et du conflit qui déchire la Libye. Une valse hésitation que certains ont mise sur le compte d'une faiblesse de caractère, comparativement notamment à l'engagement tonitruant d'un Nicolas Sarkozy ou d'un David Cameron. Ainsi va le monde. Ainsi les grandes puissances le gèrent-ils. A coup de cachotteries, de sournoiseries, de dissimulations, coups machiavéliques. Espérons que la révolution tunisienne arrive à semer le bon grain, celui de la dignité, de la liberté, de la solidarité chez eux qui n'auront pas encore compris la leçon.