TUNIS (Rédaction TAP) - Un regain de tension sociale est perceptible en Tunisie, avec de nouveau, la multiplication des grèves et des sit-in. Pour l'homme d'affaires et Président-Directeur général du groupe de transport international "SINDBAD", M. Maher Kchouk "le tissu entrepreneurial national composé, en majorité, de PME, nécessite un engagement de long terme des hommes d'affaires, sinon la faillite et la mortalité scelleront le sort de ces entreprises". Selon lui, le climat social est dans l'ensemble "mauvais". "Il a été ruiné par le copinage et la corruption, certains exploitent leurs connaissances pour écraser les ouvriers", ajoutant que la sous-traitance, à l'origine de conflits permanents entre les contractuels et les responsables des entreprises, n'a fait qu'aggraver la situation. "L'ancien régime a réussi à détériorer et à créer des disparités qui ont affecté le climat social dans l'entreprise", a-t-il encore lancé. "Mieux gérer le climat social" Le climat social est défini par les experts en consulting comme étant "le degré de satisfaction qui règne dans l'entreprise et agit sur son activité, indépendamment de sa taille". D'après eux " la bonne gestion de ce climat permet de juguler les mouvements sociaux par anticipation et d'entretenir de bonnes relations avec les représentants syndicaux et les responsables de l'entreprise". Pour le secrétaire général adjoint de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), Mouldi Jendoubi l'amélioration du climat social exige tout d'abord une véritable concrétisation des accords entre les partenaires sociaux (augmentation salariale, primes, promotion…) et ensuite le développement d'une confiance mutuelle entre le chef d'entreprise et les employés. Il faut aussi, a indiqué le responsable de l'UGTT à la TAP, que les employés aient leur part des gains de l'entreprise et ne récoltent pas que des miettes, précisant que les travailleurs, doivent être tout autant conscients de leurs droits que leurs devoirs. Pour sa part, le président de l'Association tunisienne de sociologie, M. Abdessatar Sahbani a expliqué les tensions sociales par "le passage de la Tunisie, après le 14 janvier 2011, par des moments difficiles. La révolution s'est transmise du macro-social au micro-social". "Au début de la révolution, les protestations, les manifestations et les confrontations avec les forces de l'ordre avaient pour scène l'espace public. Ces mouvements se sont développés ensuite pour produire un autre comportement qui a investi les institutions et les administrations", a avancé le sociologue. "On employait à tort et à travers le slogan "Dégage", qui n'est plus adressé à la junte mafieuse (la famille et les proches du président déchu), mais à tous ceux soupçonnés d'avoir des liens avec cette junte", a-t-il encore ajouté. Les choses se sont aggravées "mettant à mal le fonctionnement des entreprises et des administrations un peu partout. Des ouvriers, des fonctionnaires et même des hauts cadres revendiquent désormais le départ d'un tel responsable ou de tel autre. C'était la seconde floraison du slogan "Dégage" mais dans un cadre micro-social", a précisé le sociologue. Pour remédier a la détérioration de la situation, Maher Kchouk a estimé que "la garantie d'un climat social sain demeure tributaire de l'environnement et de la transparence de la gestion de l'entreprise, d'autant plus que certains chefs d'entreprises ne pensent qu'à leurs propres profits, au détriment de l'entreprise et des employés". L'homme d'affaires a évoqué, parmi d'autres problèmes, le manque d'encadrement au sein de l'entreprise, le recrutement arbitraire outre les conditions imposées par le système bancaire qui exige des garanties énormes dépassant, la plupart du temps, les capacités de l'entreprise. Sur le plan institutionnel, M. Kchouk a relevé que l'administration (ministères, douane…) ne respecte pas en général la notion du temps et ne répond pas, dans les délais, aux demandes exprimées par les entreprises. Elle ne leur facilite pas, par conséquent, le travail, d'où le recours de certains hommes d'affaires à des moyens détournés, tels que la corruption et le copinage. "En absence de visibilité concernant la conjoncture économique, on ne peut pas avoir une stratégie de développement social pour l'instant", a-t-il déclaré, relevant que "l'entreprise doit, quand même, réaliser des bénéfices pour qu'elle puisse améliorer le climat social et répondre aux attentes des salariés (augmentation salariale, promotion…)". Deuxième vice-président de la CONECT (Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie), deuxième patronat, né après la révolution du 14 janvier, M. Karim Garnaoui abonde dans ce sens "un chef d'entreprise doit être au courant de ce qui se passe dans son entreprise. Il doit motiver ses employés, en vue de développer chez eux un sentiment d'appartenance à la société". Pour Mme Mongia Amara, chef d'entreprise et membre de la CONECT, le climat social dépasse le cadre de l'entreprise, pour inclure plusieurs facteurs extérieurs dont l'environnement, la conjoncture économique, les conditions de vie des employés... D'où la nécessité pour un chef d'entreprise de "veiller à créer une ambiance favorable à la production et à la promotion sociale des salariés". "Sans l'être humain, aucun décollage de l'activité économique n'est garanti", a-t-elle relevé, ajoutant que "des rapports humains respectueux ne peuvent qu'améliorer la rentabilité et la productivité". Mme Amara a plaidé, à cet effet, "pour un changement de la notion du travail et pour une réforme du code du travail, lequel protège, pourtant, l'ouvrier au détriment du patron». Mauvaises conditions de travail A Sfax, deuxième pôle économique et industriel du pays, environ 200 entreprises ont vu leurs employés observer, depuis la révolution, des grèves et des sit-in. Au sein du laboratoire "Galpharma", usine de fabrication de médicaments génériques, dont l'activité est gelée depuis 5 mois, les employés en grève, se sont divisés en deux groupes. Certains réclament la reprise de travail "pour préserver leur unique source de revenu et ne pas faire payer le prix de ce sit-in aux personnes malades", selon Ahmed, un des ouvriers de la fabrique. D'autres donnent la priorité à leurs revendications et réclament, pour reprendre leurs activités, des conditions de travail "décentes" et conformes aux lois en vigueur (titularisation, versement de la prime de rendement pour l'année 2010…). "Nous voulons reprendre notre travail mais à certaines conditions", a déclaré Omar, l'un des grévistes, se récriant "comment travailler dans des conditions qui ne garantissent pas à l'être humain le moindre de ses droits? ". Dans un contexte de crise sociale, le PDG de l'entreprise Cogitel, spécialisée dans les emballages souples, M. Hédi Zghal, a dénoncé "la persistance des grèves et des sit-in qui signifient la faillite de l'économie et la perte de postes d'emploi". Le responsable accuse l'UGTT de Sfax de "semer la zizanie et de créer une atmosphère de mésentente". Il a d'autre part, qualifié de "négative et ambiguë", la position des autorités régionales dans la mesure où "elles n'interviennent pas en tant "qu'arbitre" pour mettre fin aux désaccords et "ne garantissent pas à ceux qui désirent travailler, la sécurité et la liberté de travail". "S'il est important d'établir un dialogue sérieux entre employeur et employé, il doit être soumis à un cadre réglementaire bien défini", a-t-il insisté. A Sousse, Sofiane Hammami, 24 ans, ouvrier contractuel, depuis deux ans, dans une usine de fabrication de pâtes, s'est plaint des mauvaises conditions qui règnent au travail "les salaires sont faibles, les équipements sont vétustes et nous ne bénéficions ni de primes, ni de couverture sociale". Dans cette usine, "le patron est presque invisible. En son absence, les cadres font la loi et traitent les ouvriers avec arrogance", a lâché, mécontent, Sofiane. "J'ai été victime d'un accident de travail et ma jambe s'est cassée, malgré cela j'ai été hospitalisé à ma charge. Les responsables se sont contentés de m'autoriser à prendre un congé non payé, de 25 jours". "C'est le cas de toutes les victimes d'accidents de travail parmi les ouvriers", a-t-il renchéri, révolté, jurant de "vider son sac" le jour où il rencontrera le patron "je lui parlerai de tout et incriminerai les responsables de l'entreprise, pour la manière dont ils nous traitent". Employée depuis 4 ans dans une usine de confection à Sousse, Nadia Chourabi, 25 ans (niveau 4ème année secondaire), a critiqué la loi 72 qui "lèse les ouvriers dont les salaires ne sont pas adaptés aux tâches effectuées (travail à la chaîne)". Tous lancent un appel pour le développement d'une véritable communication au sein de l'entreprise et interpellent les responsables pour qu'ils prêtent une oreille plus attentive à leurs problèmes...