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Le Monde : L'école tunisienne et les raisons d'une désertion
Publié dans Tuniscope le 30 - 01 - 2014

Commencé sous les années Ben Ali, l'abandon scolaire s'est brusquement amplifié dans la Tunisie d'après la révolution. Plus de 100 000 élèves de primaire et secondaire ont quitté l'école pour la seule année 2012-2013, selon le ministère de l'éducation. Le double de l'année précédente.
« Rien que pour ce premier trimestre 2013-2014, nous avons déjà 28 abandons. Même une fille de seconde, première de sa classe avec 14-15 de moyenne, vient d'arrêter », soupire Hamza Hamza, le proviseur du collège de Grawa, gentiment surnommé ici « Hamza au carré ». Dans cette région rurale plantée d'oliviers et de figuiers de barbarie aux confins du gouvernorat de Monastir, à 160 kilomètres au sud-est de Tunis, figée par le froid humide de ce mois de janvier, il faut, il est vrai, une dose de motivation pour venir en classe. « Ils viennent tous à pied dans un rayon de 5 kilomètres car il n'y a pas de moyen de transport, et il n'y a pas de cantine, pas d'activités culturelles ou sportives », énumère Hamza Hamza. « Les jeunes veulent aider les familles, poursuit-il. Beaucoup partent en Libye chercher du travail. »
TOUS SONT DES DECROCHEURS
Ils partent, ou pas. Les uns tentent la périlleuse traversée par la mer pour rejoindreclandestinement l'Italie. Les autres restent, au chômage ou en quête de petits boulots, laissant parfois exploser leur colère, comme à Kasserine, le long de la frontière algérienne, où des émeutes ont éclaté en janvier. Dans cette ville pauvre de l'ouest tunisien, la plus touchée par les abandons scolaires, de jeunes garçons âgés de 14 ou 15 ans ont affronté la police, brûlé des véhicules et tenté desaccager les locaux d'Ennahda, le parti islamiste, comme ils brûlaient hier ceux du RCD, l'ancien parti au pouvoir. Tout près de Monastir, à Ksibet El-Mediouni, six jeunes attendent depuis onze mois de passer en jugement après avoir brûlé un poste de police et attaqué le bureau d'Ennahda. Tous sont des décrocheurs.
D'autres cèdent à la propagande de salafistes venus recruter pour la Syrie. « Ils sont venus en février, l'année dernière, devant le collège de Grawla, assure Amir Choucha, 18 ans. On ne les connaissait pas, ils étaient cinq dans une voiture de location, un sixième à moto. Ils proposaient 2 000 dinars pour aller faire le djihad en Syrie. » Une petite dizaine de jeunes, dans le coin, les ont suivis, transitant le plus souvent par la Libye.
Amir a quitté l'école cette année-là, en classe de 8e (équivalent de la 4e), mais il est resté dans son village. Il n'a guère eu le choix. Le père l'a collé aux travaux de la ferme, dans le grand poulailler qu'il a fait construire, comme ses quatre autres frères aînés, dont pas un n'a terminé sa scolarité. « Je ne l'ai pas incité à partir »,lance le père contre toute évidence. Curieusement, ce dernier, qui possède plusieurs petites affaires, de l'élevage de poulets à la boulangerie, a offert un local pour une association qui tient à la fois lieu de crèche et de soutien scolaire comme s'il voulait se faire pardonner. L'animatrice, Smira Matalah, est titulaire d'une maîtrise en histoire-géographie obtenue à la faculté de Sousse. Huit ans déjà qu'elle ne trouve pas d'autre emploi que celui-ci, payé 200 dinars par mois.
LES CHIFFRES INQUIETANTS DE DESCOLARISATION
Alarmé par les chiffres inquiétants de déscolarisation, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG à l'origine d'un retentissant rapport sur les migrants, s'est lancé dans une vaste étude à travers huit régions pour comprendre les raisons de ce désamour dans un pays où, autrefois, l'éducation avait été érigée en priorité. Et Amir répond scrupuleusement au questionnaire que lui présentent deux enquêtrices, Wafa et Dora. « Ta famille a besoin de toi pourvivre ? Oui. Tu es payé ? Non. Tu as redoublé ? Oui. Tu faisais tes devoirs ? Jamais. Tu trichais ? Toujours. Quelles étaient tes relations avec les enseignants ? Mauvaises. Que font tes camarades ? Au chômage. Quels sont tes passe-temps ? Le café ou la rue. Tu regrettes l'école ? » Sans hésiter, Amir coche la case « oui, beaucoup ».
Comme lui, Nadia a quitté l'école en 2013, à l'âge de 15 ans, bien que la scolarité en Tunisie reste obligatoire jusqu'à 16 ans. Un sage foulard sur la tête, cette mince jeune fille brune se dandine d'un pied sur l'autre, et répond par monosyllabes, articulant à peine le mot « confection » en guise de projet d'avenir. « Il n'y a rien à faire, elle ne veut plus aller à l'école, l'interrompt sa mère, dans la cour au sol en terre battue de la maison. Elle voulait aller travailler dans la confection, mais on lui a dit “tu es trop jeune”, alors elle reste à la maison. » Nadia s'occupe de ses grands-parents, ou aide aux tâches ménagères ou agricoles, faute de mieux. Dans la région, les usines textiles, sous-traitants pour la plupart de marques internationales, sont légion. Les jeunes filles s'y précipitent. « Nous avons constaté que certaines d'entre elles, âgées de 16 ans, avaient parfois deux ou trois ans d'ancienneté, soupire Mounir Hassine, président de la section de Monastir-Ksibet du FTDES. Et aujourd'hui, 56 % d'entre elles viennent d'autres régions. »
Les racines de cette situation dégradée sont profondes. Pour tenter de pallier les abandons scolaires qui se sont multipliés à partir des années 2000, l'ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali avait créé des centres de formation professionnelle fourre-tout, sans pouvoir endiguer le phénomène. D'autres, tout au contraire, se sont vus propulsés vers les études supérieures, avec le gonflement, voulu par le régime, du taux de réussite au bac. Résultat : une explosion de jeunes diplômés chômeurs qui a agi comme un puissant facteur de démobilisation, entraînant le délitement, année après année, du système scolaire. Si les aînés sont au chômage avec des diplômes, à quoi bon continuer ?
UNE EXPERIENCE PILOTE
Petit à petit, dans les régions déshéritées, les parents, parfois eux-mêmes illettrés, ont cessé de répondre aux convocations pour les évaluations trimestrielles de leurs enfants, au point que le ministère de l'éducation vient de lancer une expérience pilote dans trois lycées et dix écoles primaires de plusieurs régions, dont Monastir, pour tenter de prévenir par SMS les familles de l'absentéisme de leur progéniture. Il suffit de vingt et un jours d'absence consécutive d'un élève pour qu'il soit radié de l'école, sans que personne ne cherche à discuter avec lui. Comme tant d'autres, la famille Khalifa Zemali, installée dans un hameau d'Amira Fhoul, a baissé les bras.
La fille aînée a quitté l'école il y a deux ans pour travailler à l'usine, le fils, Walid, a suivi en 2013. A 17 ans, il est dans un centre de formation, à Moknine, dans l'espoir de devenir apprenti forgeron, payé 30 dinars par semaine. « Les autres sections étaient saturées, il ne restait plus que le fer forgé, dit le père, un bonnet de laine enfoncé sur son visage émacié et las. J'ai tout fait pour que mes enfants aillent à l'école, mais ils ne veulent plus. » « Oui, oui, ça me plaît », affirme Walid, les mains enfoncées dans les poches de son jean. Son ami Seif Eddine Othmane avoue « un peu regretter », mais, s'empresse-t-il d'ajouter, « j'avais trop de difficultés en maths ». Il travaille dans un garage, 40 dinars par semaine, il en donne la moitié à son père, ouvrier, et garde l'autre moitié pour lui. Dès qu'il le pourra, il partira travailler en Libye, comme son frère.
Après la révolution, les choses se sont aggravées. La crainte qu'inspirait l'ancien régime a disparu, et avec elle l'autorité. « Je suis gentil avec les élèves, ils ont dégagé mon prédécesseur ! », lance, mi-figue mi-raisin, Lotfi Ben Salem, surveillant général du lycée de Menzel Hayet, en lisière du gouvernorat de Kairouan. Sourcils froncés, il ajoute : « En 2012-2013, nous avons eu 85 abandons, rien que depuis la rentrée de septembre, nous en sommes déjà à 40. Mais c'est normal, les conditions sont insupportables. Les élèves se lèvent à 5 h 30, la plupart parcourent plusieurs kilomètres à pied avant d'attraper le bus, ils arrivent ici à 7 heures, commencent à 8 heures et ne rentrent chez eux que vers 18 heures-18 h 30. » Pas d'infirmerie. Deux surveillants pour 590 élèves. Pas de cantine, en réfection depuis 2011. L'entrepreneur a promis de finir les travaux dans deux mois, mais le monceau de gravats laisse planer un gros doute.
Loin des débats sur la Constitution à Tunis, les décrocheurs ne sont représentés par aucun parti. « On a voulu dégager Ben Ali, il a dégagé, maintenant c'est Ennahda qui dégage, je ne comprends pas tout », dit Amir. « C'est une situation explosive qui continue de se développer, souligne Abderrahmane Hedhili, président du FTDES et vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Marginalisés, les jeunes se révoltent sans coordination entre eux, sans relais politique, ce qui donne lieu à des flambées de violence. » Comme en décembre 2010, lorsque, désespéré, un autre décrocheur, Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant de fruits et légumes, s'était immolé par le feu à Sidi Bouzid. Trois ans après les émeutes qui ont abouti au renversement de l'ancien régime, la question sociale reste, en Tunisie, la grande oubliée.


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