Les premières élections post-révolution en 2011 ont été remportées largement par Ennahdha. Qui a voté pour ce mouvement ? Leurs sympathisants en premier lieu, les salafistes ensuite qui sautaient sur l'aubaine en attendant mieux et une bonne partie des tunisiens conservateurs et qui n'ont jamais accepté l'idée même de la laïcité terme qui signifie pour eux athéisme (كفر). Après huit années d'exercice plus ou moins direct du pouvoir, les dirigeants d'Enahdha ont tout fait pour s'auto-détruire et perdre tous ceux qui les ont soutenu en 2011: Le butin de guerre (الغنيمة) en premier lieu dont les sources demeurent mystérieuses, le blocage des instances constitutionnelles, notamment la non mise en place de la Cour Constitutionnelle, la faillite de la politique économique et sociale du pays et pour les salafistes, la non application de la Chariâa pure et dure. Pour résumer, trois factions de déçus : – Les partisans « honnêtes » de la Nahdha (non bénéficiaires de la Ghanima) – Les sympathisants « réellement » honnêtes qui se sont ralliés depuis 2011 – Les salafistes. Tout ce beau monde n'attendait pas mieux qu'un messie tombé du ciel pour raviver en chacun d'eux la flamme qui anime sa conscience politique et sociale.Et voilà qu'apparaît un homme donnant l'impression de répondre à leurs attentes, chacun de l'angle de vue qu'il souhaite : le phénomène Kaïs Saïed. Après avoir écouté et analysé une bonne partie des déclarations et des positions de Kaïs Saïed et notamment son interview avec Hamza Belloumi, qui me paraît le mieux exprimer ses orientations politiques, j'en ai déduit ceci : Kaïs Saïed est un idéaliste utopique. Il propose une démocratie au sens « primaire » du terme à savoir la gestion de la chose publique directement par le peuple et contrôlée par le même peuple. Partir de la base vers le sommet en laissant la latitude à la base de révoquer ses élus s'ils ne réalisent pas les objectifs qui leur ont été assignés. Tout ceci sans recourir à des partis ou autres moyens de rassemblement autres que le cercle restreint de la délégation. Cette approche était mon rêve quand j'étais l'étudiant en droit constitutionnel de Sadok Belaid et feu Abdelfattah Amor. Mais entre-temps, j'ai vu Gueddafi et les dérives qui ont suivi l'application de cet idéal noble. Kaïs Saïed saura-il échapper à la tentation du pouvoir absolu que semblent vouloir tapisser devant lui certains de ses partisans d'aujourd'hui ? Kaïs Saïed a par ailleurs, et je le crois personnellement, déclaré n'appartenir à aucun clan, qu' il a des convictions religieuses mais quil ne compte pas remettre en cause notre modèle de société. Je continue de le croire. Mais ce qu'il n'a pas compris, c'est qu'il a ébranlé une machine qui risque de tout emporter y compris lui même. A cause de l'aubaine qu'il leur a offert sur un plateau, les représentants de 147000 salafistes (ceux qui ont voté pour Makhlouf) vont entrer à l'ARP et avec eux des pseudo-révolutionnaires qui ne vont pas forcément modifier les règles du jeu dans le sens souhaité par Kaïs Saïed. Alors que faire ? Et la question est posée à tous les tunisiens tolérants qu'ils soient modernistes ou conservateurs. Il nous reste une chance à ne pas rater indépendamment du choix du Président de la République qui, pour moi, n'a plus aucune importance. Nous devons participer massivement aux élections législatives et élire tous ceux qui ne sont pas pour une approche rétrograde de la société même au nom de la révolution. Et surtout n'élire aucun député sortant ayant trahi la volonté de ceux qui l'ont élu. Je pense qu'il y a suffisamment de candidats jeunes et nouveaux sur lesquels nous pouvons peut-être compter pour sauver Tounes El Habiba. Belhassen Chennoufi – Cadre bancaire à la retraite