Le Mouvement Appel de la Tunisie (MAT) n'a pas manqué de susciter les réactions les plus contradictoires, attendues par ailleurs. Ce qui est certain, c'est qu'il y a foule autour du projet, même si, pour certains, certains détails restent à préciser, des interrogations restent à éclaircir et surtout des appréhensions à dissiper. Mohsen Marzouk parle déjà de 130 mille personnes désirant y adhérer : prometteur, mais insuffisant. Un point est clair, au moins, Béji Caïd Essebsi ne reste pas en dehors de l'équipe constitutive du mouvement pour se contenter d'en être l'inspirateur et la référence ; il est bel et bien dans l'équipe avec un statut de fondateur, à côté de dix autres membres : Lazhar Karoui Chebbi, Taieb Baccouche, Lazhar Akrimi, Slim Chaker, Boujemaa Rmili, Mohsen Marzouk, Wafa Makhlouf, Anis Ghedira, Sameh Damak et Salma Rekik. Maintenant, il restera à l'équipe de faire l'omelette sans casser des œufs, ou au moins en en cassant le moins possible. D'un autre côté, on sait maintenant qu'il s'agit d'un parti qui cherche à fonctionner comme un mouvement. Un peu comme Ennahdha, sauf que celle-ci, hier (encore aujourd'hui, pour certains), voudrait rassembler sous sa bannière les adeptes d'un islam politique, ce qu'on appelle l'islamisme avec toutes variantes, malgré certaines divergences ; quant au mouvement MAT, il s'agirait pour lui de tenter de rassembler les forces modernistes, dites centristes, qui, tout en se reconnaissant des fondamentaux identitaires partagés (l'Islam, l'arabité, l'Etat tunisien), plaident et militent pour la République dans le sens et l'esprit que le progrès civilisationnel et le développement de l'intelligence humaine ont pu finir par lui donner au fil de l'Histoire. Le nouveau parti affirme qu'il lutte contre toute forme d'exclusion appelant à un large consensus et au renforcement de la démocratie et de la participation citoyenne. Ajoutons à cela l'ensemble de l'extrême gauche (regroupé ou non), foncièrement ancré dans la configuration orthodoxe de l'utopie révolutionnaire et constituant de ce fait une alternative politique en bonne et due forme, nous avons ainsi les grandes composantes du paysage politique tunisien tel qu'il sera condamné à se présenter s'il aspire à un équilibre démocratique. Est-ce à dire que les autres composantes politiques sont appelées à disparaître ? Loin s'en faut ! La logique voudra, sans doute, que ceux qui seront les plus agissants, doivent se positionner par rapport à cette configuration triangulaire : droite, gauche, centre. Si les choses paraissent plus ou moins claires pour les deux premières tendances, souvent dites « les deux extrêmes », les choses risquent de se compliquer avec l'apparition du MAT, contrairement à l'intention même du mouvement. On a déjà un avant-goût des rapports prévisibles dans les déclarations de Yacine Brahim, au nom d'Al-Joumhouri, qui a qualifié de « concurrent » le nouveau parti et ajouté que le parti républicain est lui-même, le fruit de fusion de plusieurs partis et peut, aujourd'hui, prétendre qu'il est le cadre politique le mieux indiqué pour trouver des solutions adéquates à tous les problèmes socio-économiques du pays. Du coup, les cartes sont à redistribuer et le plus déplorable, ce serait, qu'une fois encore, aux prochaines élections, la grande panoplie des formations politiques centristes (gauche centriste ; centre-gauche ; centre-droite ; droite centriste, et leurs périphéries ou sous-produits), se perdent dans des considérations de primauté, de légitimité et de culte de la personnalité, à peine déguisé par une fausse modestie, laissant la voie grande ouverte devant leurs concurrents. Il est vrai qu'on envisagerait tout aussi raisonnablement deux ailes centristes, l'aile gauche et l'aile droite : le MAT se voudrait ainsi à la frontière des deux, capable tout autant de les unir que de les séparer. Le grand enjeu du MAT est là, son principal pari et son plus grand défi : comment gérer les différentes susceptibilités des formations les plus proches de lui, plutôt que d'aller, lui aussi, se perdre dans des conflits et des fausses querelles provoqués, au mieux mieux, par les adversaires les plus touchés par l'initiative, en l'occurrence les partis de la troïka. C'est d'ailleurs pour cela qu'il nous paraît oiseux que M. Mohsen Marzouk cherche à relancer la querelle avec M. Ben Jaafar sur l'appartenance ou non, des uns ou des autres, au Destour, puisque le principe du MAT est la citoyenneté. Cela me rappelle certains journalistes qui, dès que quelqu'un leur reproche d'avoir été proche de l'ancien régime, au lieu de défendre le principe d'obligation professionnelle ou de liberté de pensée et d'appartenance, se pressent de chercher à se disculper en criant à qui voudrait les écouter qu'ils n'avaient pas exhorté l'ancien président et… et… etc. Il faut savoir où l'on va, et dès qu'on a balisé le chemin de certains principes de base, on n'a plus d'autre repère et d'autre argument que dans l'esprit de ces principes. Ce concentrer sur l'essentiel, car tout le reste est bavardage, comme les propos de M. Ben Jaafar taxant l'initiation de BCE de « trahison nationale ». Ça parle de trahison, au nom de la démocratie ! Il est vrai que le ridicule ne tue pas. Autant parler de trahison de la démocratie ! Dès lors, un coup d'œil rapide sur les nombreuses réactions enregistrées sur les réseaux sociaux ne laisse plus de doute sur l'essentiel. C'est difficile à supporter, par respect de l'instance constitutionnelle et du statut de sa présidence.