La démission de Hamadi Jebali est incontestablement un fait marquant, pour la dynamique interne et pour l'image extérieure du mouvement Ennahdha. C'est une démission qui a été dilatée dans le temps, qui a progressé en épisodes ou par à-coups, mais qui a été finalement confirmée par son auteur comme une décision irrévocable, maintenant cependant le lien idéologique aux valeurs communes et aux objectifs partagés, ce qui n'est pas sans compliquer la nature des relations futures : H. Jebali cherche-t-il ainsi à dynamiter Ennahdha de l'intérieur en en reprenant éventuellement les rênes quand il l'aurait réorganisée de l'extérieur ? Ou vise-t-il un nouveau positionnement autonome dans l'action politique, fondé sur la même plateforme de base, ce qui ne pourrait aboutir qu'au même résultat ? L'avenir seul le dira. Au final, Hamadi Jebali s'inscrit dans la continuité de la pensée et des principes qui ont été à l'origine de son engagement, mais il chercherait à leur donner un autre habit que celui que leur fait porter Rached Ghannouchi auquel il doit en vouloir d'avoir, à partir d'un certain moment du parcours de la troïka, freiné l'élan et l'ambition de Hamadi Jebali pour un rôle premier dans le paysage politique tunisien sur la voie de la construction de la Seconde République. Cela a été aggravé par le renoncement d'Ennahdha à présenter un des siens comme candidat consensuel à la présidence de la République, un profil dans lequel Hamadi Jebali a tout fait pour se présenter à l'opinion publique à coups de flashs médiatiques, de démarcations spécifiques et de stratégies relationnelles plus ou moins étudiés et plus ou moins bien gérés. Il reste évident alors que Hamadi Jebali ne sait pas trop où il va, aujourd'hui, dans son parcours politique ; il est beaucoup plus dans la gestion à chaud, dans la passion et la spontanéité, avec des corrections au pif, d'un parcours qui hésite entre différentes formes d'un nouvel engagement politique dont il n'aurait pas conçu encore la configuration et la démarche. Il est parti d'une idée de défense des libertés, autrement dit d'engagement dans la vie associative et la société civile ; mais très tôt, il déclare ne pas exclure l'éventualité de constitution d'un nouveau parti qui reprendrait les assises civilisationnelles et les valeurs du MTI, au début de sa carrière, et d'Ennahdha ensuite. C'est à se demander si le projet du VIème califat reste encore dans ses perspectives ! L'évolution politique de tout citoyen est légitime et il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas, M. Jebali l'a lui-même rappelé une fois au moins ; mais l'évolution n'est pas le retour à la case départ, sinon, il faudrait s'attendre, en cas de besoin, à un retour des épisodes de violence meurtrière auxquels l'ancien chef du gouvernement de la troïka est associé, qu'il le veuille ou non et qu'il s'en défende à tout prix ou qu'il en modalise l'effet et la perception. Surtout que cela a été reconnu et attesté de l'intérieur du mouvement. De ce fait, H. Jebali peut se présenter, maintenant, en défenseur des libertés, mais pour cela, il est redevable d'une juste et franche évaluation de son parcours passé, non pour se mettre en quelconque posture de culpabilité, car la Tunisie a besoin de dépasser les rancoeurs de l'Histoire (les malades seuls n'en guérissent pas), mais pour apporter une petite pierre au besoin de vérité dans l'esprit des Tunisiens, sans le souci obstiné de se donner une virginité difficile à recoudre. Disons, une sorte de catharsis individuelle et collective pour asseoir de nouveau les règles de la conversation citoyenne. Du coup, son projet de défense des libertés ne saurait se fonder, obligatoirement, en termes de positionnement passionné en faveur d'un candidat contre l'autre, dans la course finale à la présidence de la République, ni en termes d'obligation partisane imposée aux militants d'Ennahdha dans une course où leur parti n'est pas engagé. La défense des libertés lui donne le droit de toutes les positions personnelles, avec ce que cela suppose de relatif et d'aléatoire, mais cela ne l'autorise guère à s'immiscer dans la libre décision des autres (partis ou individus) ni à diriger le vote à un moment crucial de sa conduite. Autrement, et c'est ce qui nous paraît le plus probable, M. Jebali serait en train de régler ses comptes avec certaines personnes et/ou tendances politiques, avec très peu de réalisme et de rationalité, ce qui laisserait tout un chacun sceptique quant à la sincérité de son prétendu engagement en faveur des libertés et surtout quant à la conduite sereine et paisible, sincèrement démocratique, d'un tel engagement. Et dire qu'à un certain moment de son parcours gouvernemental, Hamadi Jebali a pu paraître effectivement comme une solution dans la résolution du conflit entre l'islam politique et l'Etat civil ! Il en a malheureusement raté l'intelligence des tenants et des aboutissants. Quel gâchis ! Force est cependant de constater que certaines voix d'Ennahdha commencent à percevoir clairement cette voie. Tant mieux sans doute pour la Tunisie, au mins celle de la Seconde République, et pour ses projets d'avenir.