Je suis franchement étonné de l'extrême optimisme exprimé par nos concitoyens en Tunisie à l'égard du (pré)accord signé, chez nous, par des représentants des deux autorités rivales en Libye, celle reconnue par la communauté internationale et celle non reconnue. L'accord est annoncé le 6 décembre et, le jour-même, les deux délégations sont reçues par le président Béji Caïed Essebsi, « sur leur demande », tient à préciser la présidence. Précaution importante qui échapperait mal à un vieux loup de la diplomatie qui se sent comme acculé à un geste qu'il ne peut refuser mais auquel il ne saurait donner plus de crédit qu'il ne faudrait. Disons-le clairement et sans détours, tout Tunisien doit soutenir par tous les moyens les démarches à même de conduire vers l'entente et la stabilité en Libye, non seulement par un sentiment de solidarité avec nos voisins, nos frères, mais aussi parce que leur paix est la nôtre et leur prospérité aussi, tellement nos destins sont interdépendants. C'est sans doute pour cela qu'il conviendrait de raison garder et de relativiser un optimisme que se fonderait sur des bases fragiles. D'ailleurs, on le sait maintenant, et c'était prévisible, cet accord est déjà contesté et on verrait mal comment il atteindrait son objectif de dépassement des conflits, sur un fond de nouveau conflit venant s'ajouter à d'autres non encore résolus et, apparemment, difficiles à résoudre puisque l'ONU y travaille depuis une année sans résultat. En effet, des membres des deux instances, supposées parvenues à un accord prometteur, ont exprimé leur désaccord quant à une procédure qui n'avait pas été concertée et à laquelle ils n'avaient pas été consultés. On est donc en droit de se demander si, avec ces réserves internes, il est possible de demander à toutes les composantes du conflit libyen de se fédérer autour de lui pour réaliser l'union nationale du pays. Sans parler de toutes les composantes qui n'ont pas été associées à cette démarche. De fait, c'est vraiment trop simplifier les divergences libyennes, par trop complexes, en les réduisant à un accord entre deux sous-groupes des deux parlements rivaux. Sur un autre plan, le texte de l'accord de Gammarth (Tunisie) invite tous les pays, surtout les voisins géographiques, à aider à la concrétisation de cet accord, et y invitent l'ONU aussi. Or celle-ci a été bel et bien doublée par cette démarche qui lui a coupé l'herbe sous les pieds après de longs et pénibles efforts sans aboutissements. Est-ce donc une manœuvre contre l'ONU ? Et celle-ci accepterait-elle, quelle que soit les bonnes intentions qui l'animent, ce « coup bas » qui vient de lui être joué ? Pire encore, une carte de grande gravité n'a pas été prise en compte, celle de la réalité du terrain. La réalité libyenne aujourd'hui est un état de guerre et de prolifération terroriste. L'accord conclu a-t-il rentré cette composante dans l'évaluation de la situation et dans la conception de l'issue supposée la meilleure ? Rien n'a été dit à ce propos et ce n'est pas par des mots que l'on démantèlerait les réseaux daéchiens et les composantes similaires en terre libyenne. Il ne s'agit pas pour nous d'opposer un tableau noir au beau ciel optimiste que ce (pré)accord dit avoir dégagé. Il s'agit plutôt d'inviter à une conscience plus alerte et plus réaliste des justes éléments en action en terre libyenne. Eviter aussi que toute déception, qui surviendrait, ne débouche sur une violence accentuée par le dépit et l'amertume. Pour réussir, un accord doit d'abord mettre à son appui et fédérer, à la base, autour de son projet le maximum d'éléments constitutifs de sa matière. C'est sans doute pour cela que, sans le crier sur les toits, notre président de la République n'a pas manqué, à signes couverts, de laisser percevoir son scepticisme, sans rien perdre de son optimisme.