La veille du démarrage du « Congrès consensuel » de Nidaa Tounès, un ensemble d'indices a marqué les manœuvres des uns et des autres et a laissé présager de certains aboutissements probables des termes du conflit. Tout a commencé quand Mohsen Marzouk a promis de tenir, le 10 janvier, un meeting populaire au Palais des Congrès à Tunis pour expliquer les fondements de base de son nouveau projet politique annoncé pour la date symbolique du 02 mars. On l'a compris, aucune date n'est choisie de façon arbitraire. Le 10 janvier, c'est aussi le deuxième jour du Congrès consensuel du Nidaa. C'est donc l'épreuve de force entre les deux clans et le show pour qui paraîtra plus mobilisateur. De son côté, le « Congrès des Treize », dirions-nous, se tiendra les 9 et le 10 à Sousse, non à Monastir comme annoncé au début, faute d'indisponibilité de l'hôtel choisi. Cent soixante invitations ont été adressées à plusieurs personnalités, surtout politiques et économiques, sans parler des médias. Parmi les invités, Kamel Morjane, président d'Al-Moubada Al-Watania, qui est reçu vendredi 8 janvier par le Président de la République. Plusieurs commentaires et de nombreuses questions ont succédé à cette audience au terme de laquelle K. Morjane a souligné la concordance des vues entre lui et le Président de la République et son soutien total à sa politique d'unification du pays et de lutte contre le terrorisme. Peut-être le Président de la République voulait-il le charger d'une mission à l'étranger puisque le président d'Al-Moubadara devait partir en voyage samedi 09 janvier ? D'ailleurs, il ne peut, de ce fait, assister au congrès du Nidaa et c'est Mohamed Jgham qui est chargé, à la dernière minute, de le remplacer. Ou alors, le Président cherchait-il à communiquer à son interlocuteur un message à la veille d'une opération de sauvetage du parti du Président ? La première hypothèse est quasiment impossible ; mais la deuxième est fort probable, reste seulement à décrypter le message de BCE quand il est lancé à demi-mot, sans s'impliquer, à coup d'indices disparates dont l'implicite peut échapper à certains politiques. Une donnée est importante pour le déchiffrage de cet entretien, de son contexte et de ses soubassements : c'est que l'audience de vendredi est accordée à M. Morjane sur une demande formulée par ce dernier il y a un bon bout de temps – Entendons « avant le remaniement gouvernemental ». Elle lui a été annoncée à la dernière minute aussi. C'est là qu'on devrait se rappeler l'autre manœuvre de Mohsen Marzouk, celle du choix du 2 mars pour annoncer son nouveau parti dont l'assise déclarée est le « bourguibisme rénové ». Un double clin d'œil, par la date et par le nom, aux destouriens, structurés ou non, mais tous incapables de se repositionner dans un nouveau « rassemblement » adapté au contexte. Marzouk aurait-il l'intention de dire aux destouriens qu'il est des leurs et prêt à combattre avec eux pour la mémoire et le projet civilisationnel du Leader historique ? Ou leur dirait-il, implicitement, que, devant leur impuissance à se rassembler ou trouver un rassembleur crédible, il se proposerait lui pour assumer cette mission ? La manœuvre est peut-être intelligente, mais elle est à double tranchant. Pour l'essentiel, elle replace le conflit au sein de Nidaa Tounes dans sa vraie logique longtemps inavouée : ce conflit ne serait ni entre deux projets ni entre deux clans, mais entre deux personnes. Sauf que ces deux personnes ne sont pas Mohsen et Hafedh, mais bien Mohsen Marzouk et Béji Caïd Essebsi. En contexte de trahison (chacun des deux se sentant trahi par l'autre), c'est le Grand-père (au double sens) qui arbitre, d'outre-tombe, le duel à mort entre un père et son fils politique, celui-ci paraissant, soudain à celui-là, insoumis et comploteur. C'est donc à qui honorera la mémoire de Bourguiba, dont les deux adversaires se revendiquent désormais au même titre, évidemment, que la large famille dispersée des destouriens. Du point de vue historique, c'est évidemment BCE qui aurait l'avantage d'avoir été le disciple de Bourguiba, et non Mohsen Marzouk qui vient du Watad, comme le rappellent aujourd'hui destouriens et nidaïstes. Mais l'Histoire a bien montré que les hommes sont faits pour changer, s'ils ne veulent pas demeurer idiots. Les deux adversaires vont donc recruter dans la même famille et pêcher (pécher ?) sur le même terrain. Et c'est parce que le conflit des deux adversaires est ainsi conçu dans son fond que, même Président, BCE se sent en droit d'intervenir. Intelligemment certes et discrètement, comme il a souvent su le faire. Intervenir auprès de qui ? Auprès de la structure destourienne la plus structurée pour l'instant, malgré l'espace perdu sur le terrain de la fiabilité. Il faut reconnaître que le parti d'Al-Moubadara n'a jamais assez bien compris la stratégie de BCE ou n'a pas voulu s'en accommoder, et ce malentendu semble plus concerner les deux chefs des deux partis, BCE et Morjane, que les partis eux-mêmes. On se souvient du Premier meeting de BCE à Monastir, en mars 2012, où K. Morjane était le premier intervenant, un peu maladroit peut-être mais tout acquis à la cause. Après, il y a eu la tendance à la coalition, voire à la fusion, entre les deux partis. Ce fut un feu vert ayant vite viré au rouge par une hésitation de Morjane que certains de ses partisans ont fini par lui reprocher et même regretter. Il y a eu ensuite le signal tacitement envoyé par BCE à Morjane, dans la foulée des élections présidentielles. Message mal reçu par celui-ci qui, s'il s'était retiré des présidentielles, aurait au moins obtenu le secrétariat général de l'UMA, tout prêt à l'accueillir. Un deuxième feu rouge donc ! Or on dit souvent « Jamais deux sans trois ». C'est pourquoi, l'audience accordée à Morjane le 8 janvier est celle de la troisième « chance ». Au-delà des propos classiques échangés dans pareille circonstance, le non-dit de cette rencontre est que toute alliance des alliés de Morjane avec Mohsen Marzouk sera perçue comme la consommation d'un antagonisme latent et aura les conséquences appropriées. La déclaration du président d'Al-Moubadara semble très éloquente à ce propos : « Message reçu et approuvé ». Taïeb Baccouche est sans doute à alerter aussi. Reste à voir K. Morjane à l'épreuve de ses collaborateurs et ses partisans qui ne décident plus en bloc, totalement. A preuve peut-être, le dernier statut de Mohamed Bensaad qui témoigne, sur sa page facebook, du « choix spontané de Marzouk d'intégrer l'appartenance destourienne et bourguibienne », en 2011, au sein du Parti Réformiste Destourien, renonçant ainsi au Watad, le parti de sa jeunesse. Mohamed Bensaad salue alors le retour aujourd'hui de Marzouk à la « famille bourguibienne », à condition de ne plus désigner son bourguibisme comme « un nouveau bourguibisme », car, dit-il, « le bourguibisme n'est ni ancien ni nouveau, mais une pensée naturellement renouvelable, adaptable à toute les étapes de l'édification de la Tunisie ». C'est dire finalement qu'on n'est pas sorti de l'auberge et que, sur fond de toutes les difficultés que connaît le pays et de toutes les menaces qui le guettent, il y a encore du spectacle dans l'air, de quoi en rire et en pleurer ! En effet, si tous ces gens, et d'autres encore, se disent les enfants de Bourguiba, pourquoi celui-ci ne les réunirait-il pas au lieu de tant les diviser et les disperser ?