Nous venons de rencontrer le Cheikh Abdelfattah Mourou alors qu'il se joignait à des personnalités tunisiennes indépendantes dans une initiative qui vise à sortir le pays de la crise dangereuse qui s'en est emparée. Et nous lui avons posé une seule question ; celle qui taraude aujourd'hui tous les esprits : Après la quasi terreur qu'ont exercé les Salafistes (événements au CinemAfricArt, devant le Palais de la Justice, contre des meetings de partis...), le parti Ennahdha a-t-il pris l'initiative d'ouvrir le débat avec les courants extrémistes alors que, pour le citoyen moyen, les islamistes sont en gros la même chose ? Le Cheikh Abdelfattah Mourou prend soin de nous signifier qu'il est indépendant mais reconnaît qu'il est sympathisant d'Ennahdha et c'est donc à ce titre qu'il nous répond de manière directe : ''Il y a une donnée de base à pendre en considération, c'est que le courant islamiste est constitué de plusieurs courants dont beaucoup sont nommés mais où beaucoup d'autres sont anonymes. En vérité, il existe des divisions entre tous ces courants mais le fait est que des comportements sont automatiquement prêtés aux islamistes alors qu'Ennahdha et même Hizb-ut-tahrir s'en lavent les mains. Tel est, par exemple, le cas en ce qui s'est passe au cinemAfricArt !'' Le Cheikh poursuit son explication en soulignant qu'en plus des membres qui appartiennent à des courants islamistes, il y a les musulmans ''normaux'' que sont quasiment tous les Tunisiens. ''Certains portent le 'qamiss' et la 'barbe' pour signifier une appartenance particulière, mais sont-ils convaincus de ce qu'ils font ? Ou bien n'est-ce que de la politique ? J'ai récemment rencontré le penseur Mohamed Talbi lors d'une émission radio et, quand nous sommes sortis, nous avons découvert devant le bâtiment des gens qui étaient barbus, habillés de 'qamiss' et criant ''winoo'' pour signifier qu'ils voulaient donner une leçon à Mohamed Talbi. C'est irrationnel et passionnel'', ajoute-t-il. Que faire alors pour rétablir le rationnel ? Selon le Chaikh Mourou, ''nous devons laisser Ennahdha parler aux Salafistes ! Bien sûr, Ennahdha doit avoir une position claire quant à tout cela et ouvrir un débat constant avec les autres courants. Certains m'ont dit que tout le monde avait peur qu'une 'fitna' éclate au mois de ramadan et je pense qu'il est du devoir d'Ennahdha de débattre avec ces courants. En tant qu'islamistes, nous sommes dans le devoir d'avoir des relations sur la scène islamique de manière à ponctuer la cohérence et ramener la sérénité qui ne peut avoir lieu que par la création d'un débat constant.'' Pourtant, notre interlocuteur attire l'attention sur une dérive majeure qui peut fausser totalement le jeu : ''Quand, à l'initiative d'Ennahdha, une rencontre a réuni les Salafistes, Hizb-ut-tahrir et Ennahdha, certains journalistes ont immédiatement affirmé qu'Ennahdha était en train d'encadrer ces deux courants à son bénéfice. C'est grave, nous demandons à Ennahdha de peser pour les convaincre puis nous crions à l'outrage ! Nous avons les mêmes références sur le texte que ces courants et nous pouvons agir sur eux plus que les autres. Ennahdha n'a pas cessé d'affirmer qu'elle est contre la violence et nous avons le devoir de lui donner une chance et de lui permettre de nouer des contacts avec les autres courants islamistes pour les amener aux pratiques démocratiques.''