Fins tacticiens et sachant qu'ils ne pouvaient qu'être les vainqueurs du scrutin des 28 et 29 novembre 2011, les Frères musulmans, regroupés sur les listes du PLJ (Parti de la Liberté et de la Justice), ont joué le jeu de la junte militaire qui a souhaité que les élections législatives se tiennent aux dates prévues. Comme en Tunisie et au Maroc, les Islamistes égyptiens viennent, à leur tour, de conquérir le pouvoir au pays du Nil. Les élections des 28 et 29 novembre 2011 donnent vainqueur la liste du Parti de la liberté et de la Justice (PLJ), émanation de la confrérie des Frères musulmans, suivi par le parti Al Nour (salafiste). Certes, nous sommes là au niveau de la première phase d'un scrutin qui devra se terminer en janvier 2012 et qui n'a concerné, pour le moment, que le tiers des 27 gouvernorats du pays. Mais tout porte à croire que les Islamistes devront sortir vainqueurs de toutes les étapes d'une élection pour laquelle ils se sont du reste bien préparés depuis longtemps et bien avant l'éclatement de la révolution du 11 février 2011 qui a emporté le régime du président Hosni Moubarak. «Lutter contre l'emprise laïque occidentale» Les islamistes égyptiens constituent, certes, comme ailleurs dans de nombreux pays arabes, une force avec laquelle il faut compter. Mais, en Egypte, sans doute un peu plus qu'ailleurs. Les Frères musulmans sont pour ainsi dire à la source du mouvement islamiste dans le monde arabe. La confrérie des Frères musulmans a été créée, en 1928, par Hassan Al-Banna, un instituteur égyptien dont la doctrine se résumait en ceci: «lutter contre l'emprise laïque occidentale et l'imitation aveugle du modèle européen afin de créer un grand califat». Ses militants «capitalisent», à ce titre, une expérience des plus redoutables en matière de lutte contre les régimes politiques. Ils ont de ce fait notamment une légitimité politique et une grande aura. Les Frères musulmans ont été ainsi de tous les combats contre tous les présidents de la République égyptienne (Jamal Abdennasser, Anouar Essadate et Hosni Moubarak). A commencer par le leader charismatique panarabe, Jamal Abdennasser, membre de la junte qui a renversé le 23 juillet 1952 le roi Farouk. Premier président d'Egypte, Jamal Abdennasser fera pendre, le 26 août 1966, son leader Sayid Qotb, accusé de comploter contre l'Etat. Surfer sur des thématiques populistes de l'identité arabo-musulmane Les Frères musulmans ont de ce fait connu la torture, la prison et l'exil. Ils n'ont pas, par ailleurs, néanmoins été totalement absents de l'«Establishment» égyptien et des allées du pouvoir. En effet, s'ils ont boycotté les élections législatives de 2010, pour raison de fraude, ils ont participé aux élections de 2005, sous l'étiquette d'«indépendants» et ont obtenu 20% des sièges. Non reconnus, ils ont pourtant toujours été tolérés. Cette connaissance du terrain leur a sans doute aidé à mieux gérer la transition démocratique dont les élections des 28 et 29 novembre 2011 ne sont qu'une étape. Ils se sont en effet abstenus de rejoindre la place Ettahrir au cours des jours qui ont précédé les élections et qui ont fait quelque 37 morts, suite aux affrontements entre des manifestants et les forces de l'ordre. Comme ils n'ont pas appelé au départ du CSFA (Conseil Suprême des Forces Armées), dirigé par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, maître du pays depuis le départ du président Moubarak. Fins tacticiens et sachant qu'ils ne pouvaient qu'être les vainqueurs du scrutin, ils ont joué le jeu de la junte militaire qui a souhaité que les élections législatives se tiennent aux dates prévues. Ici comme ailleurs, ils ne pouvaient que gagner les élections: proches des masses déshéritées, ils surfent excellemment sur des thématiques populistes de l'identité arabo-musulmane et vilipendent les maux d'une société égyptienne surpeuplée: pauvreté, déséquilibre régional, mauvaise répartition des richesses, chômage, précarité de l'emploi, auxquels ils estiment avoir des remèdes. Mais là aussi ils auront, le moment venu, à gérer des dossiers épineux pour lesquels il faudra mobiliser toutes les énergies du pays; et ce dans un contexte économique mondial des plus difficiles dans lequel l'Europe rentre dans une réelle récession et les Etats-Unis d'Amérique ne pensent qu'à résoudre leur déficit budgétaire. A cela s'ajoute sans doute un contexte national fort compliqué. Les Frères musulmans qui évoquent, là aussi le «califat», devront compter avec les modernistes qui se sont regroupés au sein du Bloc égyptien (coalition de partis libéraux), troisième force du pays, qui ont de solides assises au sein de la société civile égyptienne. Ce sont ces forces modernistes qui ont mobilisé la rue au cours des jours qui ont précédé les élections des 28 et 29 novembre 2011. Les Frères musulmans devront compter aussi avec les Coptes, chrétiens d'Egypte, qui constituent jusqu'à 10% de la population, jaloux de leurs droits, et dont l'aile droitière de la confrérie des Frères musulmans conteste jusqu'à la présence dans le pays. Les événements du 8 mars 2011, lorsque 13 personnes sont tuées lors d'affrontements entre musulmans et coptes dans le quartier déshérité de Moqattam au Caire, où un millier de chrétiens s'étaient réunis pour protester contre un incendie d'une église du sud de la capitale, ou ceux survenus deux mois plus tard et qui ont fait douze morts et plus de 200 blessés dans le quartier populaire d'Imbaba au Caire où une église est attaquée et une autre incendiée, sont là pour le prouver.