Beaucoup de Tunisiens l'ont clairement dit à maintes reprises: tant que la Tunisie gardera Baghdadi Mahmoudi, l'ancien Premier ministre libyen, nous ne pourrons jamais prétendre à ce que la Libye nous aide à employer une large part de nos 800 mille chômeurs! Alors, son extradition remettra-t-elle sur la table les retombées économiques que nous espérons de la nouvelle Libye? Nous avons posé la question au Dr Moez JOUDI, président de l'Association tunisienne de gouvernance (ATG), universitaire et administrateur de sociétés. David Ricardo, célèbre économiste anglais du XIXe siècle, a montré que tous les pays, même les moins compétitifs, trouvent dans certaines conditions, un intérêt à rentrer dans le jeu du commerce international en se spécialisant dans la production où ils détiennent l'avantage relatif le plus important ou le désavantage relatif le moins lourd de conséquences. C'est l'essence même de la théorie des avantages comparatifs de Ricardo! Mais au delà, cet économiste autodidacte a confirmé l'idée qu'aucun pays ne peut vivre et se développer en autarcie! Les échanges économiques et commerciaux sont vitaux et doivent se développer en permanence pour garantir la croissance et le progrès, nous répond-t-il en guise de préambule. Dans cette perspective et dans ce contexte de morosité économique, la Tunisie a intérêt donc à dynamiser au mieux ses échanges et ses partenariats avec d'autres pays, notamment ceux limitrophes, afin d'optimiser, entre autres, les coûts logistiques. Ainsi, des avantages comparatifs seront tirés, et le commerce extérieur, considéré comme l'un des moteurs de la croissance (avec l'investissement et la consommation) sera bien boosté. Ces échanges peuvent être encore plus intéressants dans la situation actuelle, notamment avec la Libye, un pays frère voisin en pleine construction et avec lequel la Tunisie partage une culture et une langue commune. Aplatir toute divergence politique et retrouver un niveau d'entente maximal deviennent donc une urgence aujourd'hui, afin que la Tunisie puisse accéder au rang de partenaire privilégié d'une Libye en pleine relance économique et riche en ressources pétrolières! Et sans aucun opportunisme, au-delà même de la cupidité décrite par Balzac dans la Comédie humaine, c'est là où se traduiront les avantages comparatifs de chaque pays dans le cadre d'un partenariat gagnant-gagnant!, poursuit-il. Puis Dr Joudi va au fond du sujet: La Tunisie, avec une main-d'uvre en abondance, dotée d'un minimum de qualification et avide de se retrouver dans des processus de création de valeur industrielle et financière, pourrait bien profiter à la Libye qui tirerait elle-même des avantages conséquents de cette main-d'uvre qui lui serait mieux insérable et plus bénéfique à moyen-long terme que celle provenant de l'Inde ou d'autres contrées asiatiques! Outre la problématique des ressources humaines, la Tunisie pourrait également bénéficier d'un rapprochement avec la Libye, à travers la valorisation de ses entreprises, grands groupes et PME également, qui seront en mesure d'exporter leur savoir-faire et leurs produits. L'agroalimentaire, les industries électromécaniques mais également le secteur bancaire et financier pourraient bien investir le terrain et profiter à la Libye qui trouvera bien son compte avec des coûts logistiques réduits et une qualité de produits et de services bien reconnue. Selon Dr Joudi, un projet de marché commun et d'union économique pourrait être envisagé également à terme et serait le couronnement de l'ensemble des échanges et des partenariats engagés au préalable, appuyant cette dynamique entre les deux pays et relatant l'ensemble des avantages tirés qui donneront certainement un nouvel élan et une autre dimension au développement et au progrès durable de la Tunisie et de la Libye. A travers le prisme Ricardien, il est évident ainsi de montrer que la spécialisation fondée sur les avantages comparatifs permet une augmentation simultanée de la production de chaque pays. Il revient au modèle de Ricardo, où il existe toujours une combinaison de prix, tel que le libre-échange soit profitable à chaque pays, y compris le moins productif; là où il s'agit d'un jeu à somme positive; un modèle qui réussirait dans le cas de la Tunisie et de la Libye! En même temps, nous ne pouvons pas occulter que la Tunisie (mais aussi la Libye) est en pleine construction démocratique! Une démocratie qui, elle-même, doit être bénéfique pour le progrès économique et social. Toutefois, cette démocratie ne peut bien se construire et se consolider dans le temps qu'avec un système de valeur qui sera un pilier fort d'un système politique tourné vers la bonne gouvernance et l'esprit de l'équilibre des pouvoirs et de la place du citoyen dans la détermination de son destin. Ainsi, des valeurs comme l'éthique, la justice, l'intégrité, la compétence mais aussi le respect de la dignité humaine et des valeurs universelles des droits de l'homme, doivent s'ériger et se traduire en valeurs opérationnelles! Au-delà de l'affichage, nous avons surtout besoin d'application, afin de bien amorcer le processus, négocier le virage et basculer définitivement dans la démocratie et la bonne gouvernance, analyse-t-il. L'extradition de Baghdadi Mahmoudi, ex-Premier ministre de Kadhafi, déroge à notre avis à cette construction de valeur et ne peut être une mesure bénéfique ni pour la Tunisie ni pour la Libye dans l'état actuel des choses! Elle n'est pas mûrie et sa manière prêche par un manque de vision et par un opportunisme ambiant qui est plus que contre-productif! Les questions économiques et celles relevant de la souveraineté et des valeurs de chaque pays ne doivent en aucun cas se mélanger et se confondre au risque de se trouver dans des situations de conflits d'intérêts et de destruction massive de valeurs dans tous les sens du terme! La Libye a intérêt à développer ses échanges et ses partenariats économiques avec une Tunisie souveraine et démocratique! En dehors de tout intérêt confus et sans forcément vouloir monnayer, à tout prix, des contrats d'approvisionnement ou de collaboration qui seraient entachés d'indignité et à la limite déshonorants, nous prônons une coopération économique de haut niveau, bénéfique et valeureuse dans le cadre d'un respect mutuel et d'une démocratie en perpétuelle évolution et adaptation à l'ancrage historique et culturel de chaque pays, conclut-il.