«Plus d'un million d'armes circuleraient en Tunisie C'est un vrai business. Il ne s'agit pas de terrorisme mais d'un gros trafic ». Ces propos que balancent nonchalamment Zyed Ladhari, député Ennahdha à l'ANC, sur le plateau d'une émission télévisée, sont alarmants surtout au vu d'un contexte marqué par la guerre au Mali, l'effondrement de la Libye voisine par où transitent principalement les armes, sans oublier les fortes tensions qui traversent la Tunisie depuis la mort de Chokri Belaid, assassiné par 3 balles tirées à bout portant. En été 2012, différentes vidéos ont circulé sur Internet et montrant des armes vendues dans des marchés hebdomadaires, notamment à Sfax. Entre les amis des uns et des autres qui ont acheté un «Beretta» et les enquêtes de «Nawaat» ou celle du journal Le Maghreb sur les trafics d'armes, il est incontestable que le trafic d'armes est en train de se banaliser en Tunisie. Depuis quelques semaines, les faits divers où des civils sont tués à coups de fusils se multiplient. Khemaïes Mejri, membre de la «Jamaa islamique en Tunisie», a déclaré au cours du mois je juillet dernier que les différents courants politiques possèdent des armes et que celles-ci «circulent dans tout le territoire». Si de nombreuses armes ont été volées durant les événements du 14 janvier et sont toujours introuvables, il ne fait aucun doute pour Aleya Allani, chercheur en histoire politique du Maghreb et spécialiste de la question salafiste, que c'est la Libye qui en est la principale source. Il précise: «qu'après la chute du régime de Kadhafi, près de 800.000 pièces d'armes se sont évaporées en Libye. Une grande partie a été exportée au Mali et le reste a été disséminé dans les pays d'Afrique du nord. Un million d'armes par-ci, 800.000 par-là Qui dit mieux? Quelle est l'ampleur de la prolifération des armes qui circulent en Tunisie? Difficile de répondre à la question. Les autorités tunisiennes ont commencé par mettre du temps pour reconnaître les dégâts ou le fléau. Elles ont mis du temps à reconnaître l'existence de camps d'entraînement dans les régions isolées du pays, mais ont fini par admettre les trafics depuis la saisie de Médenine et plus récemment celles de Mnihla (Ariana) où les armes découvertes sont impressionnantes. On y voit des Kalachnikov, des RBG, L'avocat Abedenasser El Aouini parle aussi de cocktails Molotov. Plusieurs arrestations ont été faites, selon le ministère de l'Intérieur, et l'enquête est en cours. Du côté de ministère de la Défense, on reste discret sur la question. Mohamed Boussnina, représentant dudit ministère, avoue, lors d'une conférence d'Amnesty International tenue en juin 2012, ne pas connaître le degré de prolifération des armes qui circulent dans le pays. Il y dit: «On n'a pas d'informations concernant le nombre d'armes retenues mais elles seraient quelques dizaines». La découverte de la cache d'El Mnihla s'est faite de façon accidentelle (voiture volée de la STEG et munie d'un GRPS) et suscite une cascade de questions: Quelle stratégie est-elle appliquée pour retrouver les armes? Y a-t-il un plan de sécurisation région par région? Où sont les contrôles qui ont permis à une telle quantité d'armes de se retrouver en plein cur de la capitale après avoir fait probablement plus d'un millier de kilomètres du sud du pays? Quels sont vraiment les moyens dont disposent les forces de l'ordre et l'armée pour faire face à ces gros trafics et pour anticiper les actes terroristes? Au fil des mois, les dizaines d'armes se sont transformées en milliers puis en dizaines de milliers et centaines de milliers, et il semble que les armes se découvrent un peu par hasard! Etrange au vu de la situation dans la région et de la vigilance qu'elle impose ou devrait imposer! Si la criminalité et les histoires des gros sous prolifèrent en temps de guerre, de révolutions et d'instabilité, ce sont bien entendu les menaces terroristes qui retiennent toute l'attention. La Tunisie a enregistré le retour de nombreux djihadistes au lendemain du 14 janvier et de nombreuses amnisties décidées par le président Moncef Marzouki. Nous citerons par exemple celle d'Abou Iyadh, condamné à 43 ans de prison et relaxé en mars 2012. Selon un récent rapport de Cris group, «il existe bien des groupuscules armés dans le pays mais pour le moment ces groupes croient au succès de la prédication pacifique sur le sol tunisien. Mais le désordre qui agite le Maghreb, la circulation d'armes, la porosité des frontières avec la Libye et l'Algérie ainsi que le retour éventuel de ces djihadistes au pays risquent d'accentuer le péril». Mais pour combien de temps? Pour le moment et à l'heure où tous les regards se tournent vers eux, les désignant sans les nommer dans l'assassinat de Chokri Belaid, ce sont surtout les retours des djihadistes tunisiens de Syrie qu'appréhendent les Tunisiens. Sous le choc des milliers de jeunes envoyés à la mort et dont on voit les images et vidéos circuler sur les chaînes de télévision du monde entier, les Tunisiens sont mitigés entre leur colère de voir ces jeunes gens embrigadés et leur peur de lendemains bien incertains.