Il y a 20 ans, on n'imaginait pas une évolution aussi rapide des télécommunications et des hautes technologies, on ne prédisait pas un avenir aussi radieux pour les téléphones portables et internet, on ne présageait pas de courir la planète en naviguant à travers les sites électroniques. En 1989, on ne prophétisait pas la chute du mûr de Berlin, événement majeur qui a refaçonné le monde politique et économique. Dans l'obscurité la plus totale, il faut avoir de la vision, disposer de rayons laser pour dire où nous sommes et où nous nous rendons. C'est ce qu'a déclaré Radhi Meddeb, PDG de Comète Engineering dans sa conférence présentée récemment au CJD, et consacrée aux perspectives économiques de la Tunisie à l'horizon 2030. Une Tunisie dont l'économie inscrite depuis les années 80 dans un processus de réformes et de libéralisation est traditionnellement liée à l'agriculture, au tourisme et aux textile mais qui a su également développer des secteurs tels l'agroalimentaire et l'électromécanique. Le «dragon de la rive Sud de la Méditerranée» comme certains se plaisent à le nommer aurait à faire face à des fléaux comme la désertification, le stress hydrique et l'analphabétisme. «Car comment accéder à la connaissance au 21ème siècle avec le tiers de la population analphabète» ? S'interroge le conférencier. Comment intégrer l'économie du savoir avec 30% de Tunisiens qui ne savent ni lire, ni écrire ? Pour pouvoir se positionner honorablement, le pays doit disposer de nouvelles ressources, renforcer et conforter ses alliances économiques et revoir ses politiques d'investissements. Le Monde redessiné en quartiers d'orange Le Monde a évolué vers des regroupements régionaux appelés quartiers d'orange. L'ALENA, le MERCOSUR rassemblent des pays situés sur 4 à 5 faisceaux horaires et unis par des intérêts économiques. L'ALENA qui regroupe les USA, le Mexique et le Canada a mis en place le conseil de la compétitivité nord-américaine constitué de 30 hommes d'affaires représentant à parts égales les trois pays membres de l'accord de libre échange. Ils se réunissent chaque année avec les présidents de leurs pays respectifs pour engager des réflexions à huit clos sur les nouvelles tendances de l'économie mondiale et proposer les réformes à mettre en place. C'est le premier quartier d'orange. Le deuxième est composé des pays de l'ASEAN associés à la Chine et l'Inde. « Et pendant que les politiques font leurs cirque, les entrepreneurs travaillent ensemble à développer l'économie », précise Radhi Meddeb. Des pays comme le Japon et la Chine, dont les divergences sont historiques, travaillent ensemble sur le plan de relance face à la crise économique mondiale (Avis aux Maghrébins). Le troisième quartier d'orange-on y est-, c'est l'Europe adossée aux pays du Sud de la Méditerranée. L'Europe qui, à l'encontre du bon sens économique, s'est engagée dans une intégration trop rapide des pays de l'Est ce qui a fait dire à Philippe Colombani, chercheur à l'IFRI, que la place de l'Europe dans le commerce mondial au 21e siècle peut être envisagée à travers deux scénarios extrêmes : ou bien elle laisse les tendances actuelles se poursuivre et elle connaîtra un déclin prononcé de sa puissance économique et par conséquent de sa position dans le commerce mondial. Ou elle adopte une démarche volontariste pour réinventer sa puissance économique et commerciale et elle demeurera au premier rang des puissances mondiales. Selon Colombani, l'Europe même élargi à l'Est, sans intégration de la zone Maghreb, verrait son poids aujourd'hui proche des 30% du PIB mondial, descendre à 12% en 2050 en raison, entre autres, d'une courbe démographique défavorable. Par contre, l'économie des pays du Maghreb assurerait un taux de croissance légèrement supérieur quoique insuffisant pour opérer un rattrapage du niveau de vie dans l'Union européenne à l'horizon 2050. Pour que l'Europe pèse 20% du PIB mondial en 2050, il faudrait que le Maghreb, future source de compensation de la dénatalité européenne, réalise une croissance forte en améliorant considérablement la productivité de ses entreprises. Car le principal problème qui se posera au niveau de la Méditerranée, serait l'adéquation entre les besoins et les ressources. Les pays du Nord doivent s'efforcer de trouver des relais de croissance dans les pays du Sud. Mais pour ce, une mise à niveau des pays en question s'impose. Pourquoi pas un Fonds d'Investissement stratégique tunisien ? L'indice de développement humain en Tunisie est en dessous de ses ressources économiques tout comme son degré de liberté économique. A l'instar des autres pays arabes et selon le Wall Street Journal et la « Heritage Foundation » la Tunisie, n'est pas suffisamment ouverte économiquement. Elle a été classée en 2008, « essentiellement non libre ». Avec un score de 59,3%, elle figurait en 84ème position précédée du Bahreïn, du Koweït, d'Oman, de la Jordanie, de l'Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, du Qatar et du Liban. Même si les notations de « l'Heritage Foundation » en matière d'indice de la liberté économique, ne sont pas très fiables selon certains observateurs, elles devraient nous interpeller. Car dès à présent l'Etat devrait orienter ses efforts vers l'amélioration des prestations en matière de santé et de couverture sociale. Il ne faut surtout pas perdre de vue qu'à l'horizon 2030, un nombre considérable de Tunisiens aurait plus de 60 ans. Les mutations démographiques du pays pouvant engendrer de nouveaux phénomènes telles de nouvelles maladies gérontologiques. Pour préserver les équilibres sociaux, une politique sociale saine et rigoureuse devrait être entreprise. D'un autre côté, l'Etat pourrait s'appuyer sur le secteur privé en matière d'enseignement universitaire afin de dégager une partie de ses efforts vers des problématiques beaucoup plus importantes, telle le lancement de programmes de ré-alphabétisation de la population, la recherche de nouvelles sources d'énergie ou la mise en place d'une stratégie conséquente pour le développement de secteurs de services à haute valeur ajoutée. La crise économique actuelle est morale et politique. Un pays comme la Tunisie peut se repositionner de manière extraordinaire s'il engage les réformes nécessaires. Tout d'abord en boostant l'investissement, en développant les programmes de partenariat public/privé, en renforçant les réformes financières des entreprises privées et en mettant en place des mécanismes plus efficients en matière de financement et de garantie des prêts bancaires contractés par celles-ci. La France a mis en place un Fonds d'Investissement stratégique de 20 milliards d'euros, pourquoi la Tunisie ne se doterait-elle pas d'un tel fonds ? A condition, bien entendu, de lui concéder une grande gouvernance afin qu'il ne serve pas « à renflouer les canards boiteux » dixit Radhi Meddeb. Mais plus important, si l'on doit entamer des réformes économiques, il faudrait le faire en concertation avec le secteur privé, principal acteur de l'économie nationale. La Tunisie devrait également selon M. Meddeb, adhérer à l'Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) et réviser le code de l'Investissement complètement dépassé et ne répondant plus au modèle actuel de développement. La crise a prouvé que les modèles économiques suivis à ce jour ne sont pas aussi efficients que tout le monde avait l'air de penser. La Crise a également eu le mérite d'amener un grand nombre d'entreprises à se relocaliser et à s'internationaliser. Les opérateurs privés en Tunisie, devraient de plus en plus penser international mais ce qu'il faut aujourd'hui et dans l'urgence, est reconquérir le marché national et se tourner ensuite vers le régional : l'Algérie et la Libye qui représentent des marchés potentiels pour la Tunisie. En 2030, 9 milliards d'habitants peupleraient la planète terre, 65% de la population mondiale serait urbaine, tous les pays du monde s'y préparent. La Tunisie s'y met également. Pour réussir les défis du développement, du savoir et de la connaissance, il est peut être temps de tempérer nos tendances à magnifier nos réalisations et à nous lamenter sur nos échecs, quelqu'un a dit : « Tout va bien, non pas parce que nous savons gérer mais parce que nous ne sommes pas citoyens du monde ». Il est grand temps d'apprendre à bien gérer et à devenir citoyens du monde.