Le débat sur l'Open Sky, organisé par l'Association des Tunisiens des Grandes Ecoles (ATUGE), le 6 avril 2010, a été passionnant à tous les points de vue, avec comme principaux "acteurs-invités" MM. Nabil Chettaoui, P-dg de Tunisair, Mohamed Cherif, P-dg de l'Office de l'aviation civile des aéroports, Halük Bilgi, P-dg de TAV Airports Holding Tunisie. Entre risque et opportunité, les intervenants n'ont pas la même vision sur cette question. En effet, si elle présente un risque pour les compagnies aériennes nationales, elle est perçue comme une opportunité par les professionnels du tourisme. La libéralisation du ciel permettra à toutes les compagnies aériennes d'accéder au marché tunisien. Aucune restriction et plus d'autorisations d'accès. L'enjeu est plus de concurrence, un trafic supplémentaire et une baisse des prix, ce qui n'est pas toujours profitable pour les compagnies aériennes publiques. Concrètement, la Tunisie est à deux pas de l'Open Sky. Plusieurs accords de libéralisation ont déjà été signés avec le Maroc, la Libye et certains pays européens. Des négociations sont en cours avec les Etats-Unis d'Amérique. Le délai de deux ans mentionné dans le programme électoral du président de la République est jugé suffisant pour entamer les principales démarches de cette libéralisation. En premier lieu, un accord unique va remplacer tous les accords en vigueur actuellement. En deuxième lieu, il faudrait que les 27 Parlements des pays membres de l'Union européenne ratifient cet accord. Une fois ces deux processus achevés, les compagnies aériennes n'auront plus besoin d'autorisation pour desservir les destinations de leur choix. Elle n'aura besoin que de déposer une demande d'information. Un risque pour les compagnies publiques M. Nabil Chettaoui, PDG de Tunisair, qui nous a livré la réflexion d'un gestionnaire d'une compagnie aérienne publique, estime que l'expérience du Maroc est révélatrice. «Je sais que tous les hôteliers tunisiens sont pour l'Open Sky. Malheureusement, tous les pays qui s'y sont apprêtés ont eu une expérience contrariée. Je peux citer l'exemple du Maroc. C'est que la croissance du trafic est à deux chiffres, depuis l'ouverture de l'Open Sky. Toutes les compagnies low cost desserrent le Maroc actuellement. Mais les nuitées d'hôtels ont baissé et les grandes compagnies ont quitté», a-t-il affirmé. Il ajoute que les compagnies low cost se sont concentrées sur les grandes plateformes de Casablanca et de Rabat et ne se sont pas aventurées sur les villes intérieures. «La compagnie nationale marocaine a, de ce fait, enregistré 100 millions d'euros de pertes en 2009. Il y a eu les grèves des pilotes et la guerre tarifaire a impacté très lourdement l'exercice de la compagnie», a-t-il précisé. A l'inverse de M. Chettaoui, M. Jallel Bouricha, hôtelier et représentant de la Fédération Tunisienne de l'Hôtellerie (FTH), ne voit que du positif dans l'Open Sky pour le tourisme tunisien, et affirme même que cela constitue une bonne opportunité... «L'Open Sky va développer l'activité au sein de nos hôtels, mais il faut préparer une bonne structure d'accueil. En tout cas, les hôteliers l'attendent avec impatience». M. Mohamed Chérif, PDG de l'Office de l'Aviation Civile et des Aéroports (OACA), abonde dans le même sens tout en précisant qu'il est prématuré de mesurer l'impact de l'Open Sky. Et s'appuyant sur des statistiques de l'Union européenne, M. Chérif indique que l'augmentation du trafic est une réalité dans l'Union Européenne (estimée à 11 -14%). «Il faut maintenir le pavillon tunisien» Comme il fallait s'y attendre, M. Chettaoui ne pouvait qu'appeler à maintenir le pavillon tunisien. «En période de crise et il y en a eu-, les compagnies nationales essaient de garder leurs parts de marché alors que les low cost , en cas de difficultés, quitteront le pays et vont chercher d'autre marchés plus rentables», a-t-il souligné. La plus grande crainte pour le patron de Tunisair est que la compagnie perde sa part de marché puisqu'à l'échelle internationale, le low cost représente 25 à 26% du trafic (et en Europe, il représente déjà 33%). Cette crainte est d'autant plus grande qu'il est presque impossible pour une compagnie nationale de se transformer en low cost, estime-t-il en réponse à une question d'un participant. Le low cost est un modèle économique et une culture d'entreprise. «Nous sommes une compagnie qui a beaucoup d'avantages de point de vue historique et de savoir-faire. Mais nous ne pouvons jamais nous transformer en low cost. l'Open Sky va représenter plusieurs opportunités tels que l'accès au marché européen. Mais la menace consiste en l'arrivée de compagnies qui n'ont pas notre taille mais sont très bien structurées. Nous ne pouvons pas nier que nous sommes capables d'affronter cette concurrence, mais ce sera avec beaucoup de sacrifices», a-t-il lancé, en ajoutant que la compagnie aérienne marocaine a trouvé une solution en créant un hub et len lançant l'ouverture de 100 lignes desservant l'Afrique de l'Ouest. Il estime que cette approche peut constituer une bonne stratégie pour Tunisair mais qui demande une bonne préparation. Il s'agit, donc, de miser sur la restructuration de la compagnie. M. Chettaoui affirme que l'obtention du droit d'agir en tant que compagnie commerciale a permis à Tunisair d'être plus compétitive. Est-il utile de rappeler que le plan de restructuration englobe le renforcement de la flotte, la modernisation des outils de gestion et la compression des coûts. Au chapitre de la communication, Tunisair vise à transformer son image d'une compagnie chère en une compagnie à prix plus abordable. D'ailleurs, elle compte déstocker près de 10.000 sièges dans les prochains jours. Elle table aussi sur l'augmentation du nombre des billets à prix bas. D'un autre côté, M. Chérif a confié ses craintes quant à l'application des accords de libéralisation du ciel avec l'Union européenne, surtout au niveau de la déréglementation tarifaire. «Est-ce que nous allons vraiment accepter cela ? Et puis, on se pose des questions sur la réaction de certains pays voisins, comme l'Algérie avec laquelle nous avons déjà des problèmes : est-ce qu'ils seront prêts pour cette libéralisation ?», s'est-il interrogé. Entre craintes et incertitudes, l'Open Sky devient de plus en plus une réalité. Les compagnies low cost constituent désormais l'avenir, au risque de menacer les compagnies aériennes nationales.