Shanghai.12h30. Température: 22°. Ciel couvert. J-3 de l'Exposition Universelle. Il règne dans la ville une certaine effervescence. Habillée aux couleurs de l'exposition, Shanghai s'est refait une beauté. En moins de deux ans, tout y a changé ou presque et très vite. Même si quelques quartiers sont restés en dehors des transformations qu'a subies la ville, l'ensemble y est grandiose. A l'image de ce qui se fait dans le pays. Shanghai est-elle pour autant la Chine ? Loin de vouloir répondre à cette question, il est incontestable qu'elle en est la vitrine et le laboratoire. Désormais des gratte-ciels incalculables ont surgi de la terre. On y compterait plus de 3.000 tours qui dépassent les 30 étages. Une sorte de Las Vegas a bel et bien surgi au pays de Mao. Shanghai est-elle désormais prête à vivre la fête ? Elle semble en tout cas prête à exposer et s'exposer. Durant les 184 prochains jours que durera l'évènement, elle ambitionne de recevoir 70 millions de visiteurs. Dans la cité, les indications concernant l'exposition universelle sont très nombreuses. Son logo est partout et sa mascotte omniprésente. On a toutefois oublié de traduire cette généreuse signalétique dans d'autres langues. En anglais, tout au moins. Etrange pour un pays qui veut bâtir une vie meilleure avec le reste du monde ! Alors que la presse chinoise relève ce point, qui sera résolu dans les jours à venir, d'autres remarquent que le visuel du pavillon chinois se substitue un peu trop souvent à celui de l'exposition. La Chine a changé. Elle est aujourd'hui la nouvelle puissance économique mondiale mais pas seulement. La Shanghai transformée est à la fois l'occasion et l'instrument pour afficher la force d'aujourd'hui et la puissance de demain. L'exposition universelle a été dotée de moyens hors normes. Des moyens à la hauteur des ambitions et des possibilités de la Chine. Une image résume parfaitement la démarche: les moyens, la rigueur et la suprématie. Celle du pavillon chinois qui trône majestueusement sur l'exposition et sur la ville. Un pavillon qui toise du haut de ses 70 mètres de hauteur le reste des pavillons. Dans l'enceinte du site de l'exposition, on l'aperçoit de loin et de partout. En se promenant, on enregistre le succès de ce pavillon mais remarque aussi le mouvement des foules qui se dirigent vers les régions Asie et Europe. Les files sont longues. Elles n'en finissent pas de se faire et se défaire. Le spectacle des jardins, des ponts, et des surprenantes façades de certains pavillons valent à elles seules le détour. L'hérisson britannique avec ses tiges d'acryliques capteurs de lumière rivalise avec la splendide façade en osier de l'Espagne qui est inspirée du musée Guggenheim de Bilbao. L'oasis abstraite des Emirats Arabes Unis donne la réplique au modernisme du pavillon de l'Arabie Saoudite. Le pavillon français défend quant à lui la ville sensuelle. Recouvert d'une résille de béton, il opte pour une scénographie dynamique où se déclinent les cinq sens sous forme de vidéo, d'expériences olfactives et gustatives. Les pavillons thématiques ne sont pas en reste. Ils concurrencent de beauté et d'ingéniosité. La palourde géante qui fait office de salle des spectacles est l'autre clou de l'exposition. Sans parvenir à retenir plus l'attention que le pavillon de la Chine, elle devient simplement la plus grande salle polyvalente du monde et peut accueillir jusqu'à 18 000 spectateurs. S'étendant sur 5 km2, l'exposition inscrit sérieusement son souci environnemental. Elle n'accueille que des véhicules propres, ses systèmes de climatisations sont refroidis par le fleuve voisin et abrite le plus grand toit de panneaux solaires du monde. Alors que certains pavillons sont encore en train de parfaire des petits détails, d'autres ont ouvert leurs portes durant ce jour d'essai. Les pavillons suscitent les curiosités d'un public frappé par autant d'ingéniosité et de privilèges. Pour ne citer que le Danemark en exemple, sa fameuse sirène trône désormais dans son pavillon prête à accueillir des millions de visiteurs qui la découvriront en faisant du vélo. Comme le Danemark, de nombreux pays ont pris l'option de sortir des pièces uniques de leurs territoires. Histoire d'être à la hauteur de l'évènement. Comme abasourdis, les visiteurs chinois avancent avec calme et ne savent plus où donner de la tête. Parmi les stands à l'honneur ce jour là, on retient le pavillon africain qui ne désemplissait pas. Coloré, multivitaminé, il est surtout ludique et très animé. On y organise des spectacles à longueur de journée. Juste en face, entre l'Algérie et l'Egypte, le pavillon tunisien est situé dans sa zone géographique. Seul le Maroc s'échappera du continent et ira se nicher entre la Jordanie, les Emirats Arabes Unis, le Liban et Israël. Ce jour-là, du côté du pavillon Tunisie, l'ambiance était bien calme. Fermé, on s'activait à finir quelques derniers détails mais déjà cela augurait d'une platitude certaine. Un volume sans relief est habillé de photos assemblées sans harmonie. Des images juxtaposées les unes aux autres contribuent, par leur aspect «vieillot», à bloquer le pays dans une image archaïque, désolée et désolante. Le comble de ce rideau d'images pâles atteint son paroxysme lorsqu'on accroche à sa façade arrière trois climatiseurs, alors que ceux des pays voisins sont tout simplement juchés au sol. Vu de l'extérieur, le pavillon tunisien n'attire aucune curiosité. Vu de dedans, il ne traduit en rien le modernisme et le dynamisme qui caractérisent le pays. Statique, certains éléments architecturaux et décoratifs tentent de rehausser le tout. En vain. Pour l'aménagement du pavillon national, on a tenté de composer au mieux avec tous les éléments décoratifs existant. Tout y est passé : les dorures, les carreaux de faïence, une frise de mosaïque au sol, le bleu de Sidi Bou Saïd, le fer forgé des lanternes de Hammamet, les poufs creusés dans le bois de palmier, les «mergoums» de mauvaise qualité, les «foutas» de mauvaise qualité On s'est même essayé à une fresque murale qui représente la saison des cueillettes des oliviers. Un dessin naïf qui reprend une scène typique d'un autre temps. Pour parfaire le tout, on a pensé à un olivier en plastique et à un palmier qui produit des noix de coco. Bien léger tout cela ! Cependant, il est nécessaire de retenir le chic épuré du petit théâtre inspiré du colisée d'"El Jem". Une vraie beauté ! Reposant et élégant, il saura être un havre de paix dans le tumulte de l'exposition. Espérons seulement que la qualité des contenus qui seront diffusés sur le grand écran dédié à cet effet saura retenir l'attention des visiteurs qui se rendront dans notre pavillon national. A l'étage, une exposition de groupe de peintures est accrochée aux murs. Un café traditionnel servira assurément des boissons bien de «chez nous». Au terme d'une visite décevante, on est en droit de se demander comment cette exposition pourra retenir une foule qui ne saura plus où donner de la tête par toute la créativité des autres pavillons qui brillent par autant d'originalité que de simplicité. Des pays qui même avec des moyens limités ont su faire dans le simple, le ludique et le participatif. Pour Shanghai 2010, il s'agissait de séduire, de s'inscrire dans un thème et de susciter de l'émotion. Il s'agissait de traduire la vérité d'un pays moderne pour qui les nouvelles technologies, le développement durable ou encore les énergies renouvelables sont une priorité nationale et un quotidien vérifié. Ils sont en fait au cur même d'un pays qui innove et qui se trouve desservi par un stand passéiste. Un stand qui n'arrive pas à traduire la réalité du pays en y inscrivant toutes ses vérités. Au terme de cette visite, il semble que le pavillon Tunisie rate un rendez-vous important pour se présenter au mieux. On repart de l'exposition Universelle 2010 la déception aux yeux et la colère au ventre. Notre pays aurait mérité mieux ! A l'exposition universelle de Shanghai, notre Tunisie millénaire ne paraît que l'ombre d'elle-même. Au delà de cette participation, il est urgent de repenser l'image que nous voulons, devons et pouvons vraiment donner de notre pays. Cela mérite bien plus qu'une question. Cette interrogation est essentielle à la lumière de cette manifestation. Elle nous oblige à donner des réponses précises en ces temps où la singularité doit être un atout pour avoir une longueur d'avance sur les concurrents.