1000 vaccins. Soit de quoi vacciner 500 personnes. Chiffre dérisoire mais gros scandale. Les deux sont ridicules. Pendant que les Tunisiens attendent, depuis des mois de se faire vacciner, le président de la République, chantre de l'intégrité et de la sauvegarde de l'intérêt collectif, reçoit un don de vaccins et décide de garder l'information pour lui. On ne sait pas ce qu'il en a fait, les versions divergent et chacun nous dit clairement « ce ne sont pas vos oignons ! ». Oui car nous ne sommes ni majeurs pour mériter la vérité, ni vaccinés pour mériter la vie. En attendant, les Tunisiens plaisantent (amèrement) sur le fait que la Tunisie fait partie des dernières nations n'ayant pas encore reçu le fameux sésame susceptible, au mieux, de sauver leurs vies, au pire, de leur permettre de retrouver un soupçon de vie normale. Mais, dans l'immédiat, ils n'auront droit ni à ce vaccin...ni à la vérité. Il y a vaccin et vaccin parallèle.
La présidence de la République réagit 24 heures après que l'information ait été ébruitée par les députés... mais quatre fois après qu'elle ait été publiée dans la presse. Dans l'un de ces communiqués si habituels à notre président, qui pourrait très bien commencer par un « ah en fait, je ne vous avais pas dit », Carthage affirme laconiquement que oui, nous avons bien reçu les vaccins, faites-nous confiance pour gérer leur administration et n'essayez pas d'en savoir plus. En attendant, on ne sait pas qui a été vacciné et qui ne l'a pas été et on apprend même que d'autres dons ont été faits et de hauts cadres ont été vaccinés…dans le flou total. Suite à quoi, la présidence du gouvernement, dit ne pas en avoir été informée. Le ministère de la Santé et la commission Covid disent eux-aussi, ne pas avoir été informés de l'arrivée de ce lot de vaccins. L'Etat ouvre une enquête contre l'Etat. En attendant, chacun accuse l'autre d'être un vulgaire menteur et le peuple, tel le triste enfant d'un couple en plein divorce, attend de savoir qui aura sa garde. Carthage n'a pas jugé bon d'en référer à la Kasbah, qui est pourtant seule habilitée à gérer ce lot. Histoire que l'ennemi ne s'en attribue pas le mérite ? Histoire de ne pas avoir affaire à celui dont on ne doit pas prononcer le nom ? Peu importe, les petites querelles politiques ne sont pas bien loin… Il y a un Etat et un Etat parallèle.
Pendant que l'économie bat de l'aile et que la crise Covid vient raviver les braises d'un marasme politique qui consume la maigre activité des entrepreneurs, le pouvoir balaye d'un revers de main des mesures sanitaires étouffantes…qu'il a lui-même instaurées. Protocoles sanitaires, interdiction de déplacement entre les gouvernorats, couvre-feu, distanciation sociale, fermeture des lieux de loisirs, des salles de spectacle et des cafés et restaurants la moitié de la journée… En gros, si vous invitez toute votre famille à diner chez vous, vous transgressez les règles, mais si le pouvoir politique rassemble des milliers de personnes entassées dans la rue, lui, ne risque absolument rien. Les transgressions institutionnalisées par le pouvoir ne devraient pas choquer. Au contraire, on s'en vante même, allant jusqu'à exagérer leur ampleur. Le pouvoir dit aux citoyens « faites ce que je dis ne faites pas ce que je fais ». Dans quelques jours, les députés du même parti, qui sont au même pouvoir, convoqueront le ministre de la Santé au Parlement pour l'auditionner sur la situation sanitaire et l'accuseront d'avoir mal géré la crise et d'avoir failli à faire appliquer les mesures qu'ils ont eux-mêmes transgressées…en ayant, eux, l'autorisation légale pour le faire… Oui, car il y a Covid et Covid parallèle.
L'ancien chef du gouvernement Elyes Fahfakh a été poussé à la démission à cause d'une affaire de conflit d'intérêts. On a placé Hichem Mechichi pour lui succéder. Le même Mechichi qui s'obstine à garder quatre ministres sur lesquels planent des soupçons de conflits d'intérêts et de corruption bloquant par la même un remanient ministériel qui traine depuis plus de deux mois dans un contexte des plus délétères. Il y a, en effet, corruption et corruption parallèle
En véritable Marie-Antoinette des temps modernes, Rached Ghannouchi, grand et puissant chef du Parlement, dit aux citoyens « Si vous ne trouvez pas de pain, mangez des croissants ! » Ou plus littéralement, si vous ne trouvez de travail en tant que docteurs, apprenez un nouveau métier. Un doctorat en biologie ou en médecine ? Plus aucun intérêt, apprenez plutôt le tricot, la plonge, la manche…ou même le trottoir, si vous en avez les moyens. Il est dérisoire de le préciser, mais ces propos ont été prononcés par le chef du parti responsable d'avoir alourdi l'administration tunisienne en embauchant en masse ses sympathisants. Naturel, puisqu'il y a emploi et emploi parallèle. Droits…et droits parallèles.
Dans ce pays, dans lequel des scandales surréalistes se succèdent sans que l'on puisse avoir le temps de réagir ou de s'indigner, le plus gros problème demeure une absence totale de confiance. Cette crise de confiance touche l'Etat, ses institutions, le pouvoir…et l'avenir de ce pays. Les gouvernants estiment que le peuple n'est pas suffisamment majeur pour être digne d'etre considéré et de connaitre la vérité. En réalité, eux-memes ne sont pas suffisamment majeurs pour se montrer à la hauteur de la responsabilité placée en eux...