Superbe semaine avec son lot de scandales, de rumeurs et d'injures. Pour ne pas changer. Dix ans que ça dure. Que deviendrions-nous sans ces rumeurs et ces injures ? Tout le monde lance des bombes contre tout le monde et la galerie applaudit. Le feu est partout et on y ajoute de l'huile à volonté. L'Etat est en déliquescence pendant que l'on est occupé par les commérages de concierges. Tout est fait pour détourner notre regard de l'essentiel, de la gouvernance stérile, de la justice corrompue, de l'économie qui court vers la faillite et de la perte des valeurs dans notre société. Ah ces valeurs ! Nous n'en avons plus ! En matière de diversion, nous sommes des champions. Il y a chaque jour un événement qui vous fait oublier le précédent. Qui, par exemple, se souvient où en est-on arrivé dans l'affaire de l'empoisonnement présumé du président de la République à travers un courrier ouvert par sa cheffe de cabinet ? Quelqu'un sait-il s'il y a eu une suite judiciaire dans les révélations de Karim Abdessalem à propos de l'attentat de Bab Souika commis par les islamistes d'Ennahdha ? La production de phosphate a-t-elle repris ? Et les scandales touchant le premier président de la cour de cassation Taïeb Rached et l'ancien procureur Béchir Akremi, où en est-on ? La justice s'est-elle occupée de la « ghazoua » de l'aéroport par les députés d'Al Karama comme le chef du gouvernement nous l'a promis ? On n'en sait rien ! De la diversion, de la diversion, de la diversion ! Chaque semaine apporte son lot de scandales, de rumeurs et d'injures pour que l'on ne s'occupe pas de ce qui semble être important. Dans les démocraties dument établies, un scandale est systématiquement suivi d'une procédure judiciaire et il y a, souvent, un procès à la clef. Chez nous, la durée de vie d'un scandale est de deux jours et il est vite envoyé à la trappe pour être remplacé par un autre.
Dans la rubrique des rumeurs et des scandales de la semaine passée, j'en retiens trois. L'hebdomadaire Al Anwar a publié une enquête dans laquelle il revient sur la fortune supposée de Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha et président de l'Assemblée. 2,7 milliards de dinars, écrit le journaliste Foued Ajroudi. Soit l'équivalent du budget annuel de quelques ministères. Ennahdha a démenti, mais sa dénégation est inaudible. Ceux qui ont envie de croire à ce chiffre vont le croire quoique dise Ennahdha. Et ceux qui n'ont pas envie de croire à ce chiffre ne vont pas le croire quoique dise Al Anwar et tous les médias de la planète réunis. J'ai cependant une question, une seule. Comment Rached Ghannouchi gagne sa vie, lui qui n'a pas travaillé durant les trente dernières années et à l'exception de son mandat récent de président de l'assemblée ? Si ses voitures blindées ou son petit palais à Ennahli sont des cadeaux, alors c'est du blanchiment d'argent et le parquet financier devrait s'y intéresser comme il s'est intéressé à la fortune de Nabil Karoui. S'il s'agit de sa fortune personnelle gagnée à la sueur de son front, alors il doit présenter sa feuille d'impôt comme nous tous. Sauf qu'on sait tous qu'il n'a quasiment rien payé au fisc ces trente dernières années. Bref. Ça ne sert à rien ce que j'écris, le parquet financier ne va pas s'occuper de lui. Le parquet financier ne s'occupe pas des gens comme Ghannouchi, c'est-à-dire de tous ces islamistes qui blanchissent de l'argent depuis dix ans au vu et au su de tous.
La deuxième rumeur qui a fait le bonheur des réseaux sociaux cette semaine, c'est l'histoire de l'hospitalisation de Rached Ghannouchi. Il n'en est rien. La rumeur prétend que le « cheikh » est décédé. Il n'en est rien. Ce qu'il y a à noter, en revanche, ce sont les réactions autour de ce prétendu décès. Les gens, ici et là, étaient contents et joyeux et se félicitaient les uns les autres. Certains sont même allés jusqu'à lui souhaiter la vie sauve tout en restant comateux le restant de sa vie, comme c'était le cas d'Ariel Sharon. Voilà donc les valeurs de certains d'entre nous, du camp républicain, centriste et laïc. Ah ces valeurs, nous n'en avons plus ! Indépendamment de l'aspect humaniste de la chose (ça ne sert à rien d'en parler), regardons l'aspect politique. Serons-nous vraiment gagnants si Rached Ghannouchi mourrait aujourd'hui ? Pensez-vous sérieusement que son successeur à Ennahdha sera meilleur que lui ? Aussi mauvais soit Ghannouchi (et il l'est indiscutablement), il vaut mieux que son successeur, quel que soit son nom. La disparition de Rached Ghannouchi n'équivaudrait pas la disparition d'Ennahdha et encore moins des islamistes. Les islamistes sont là et bien là. Ils ont toujours été là et ils seront toujours là, car les islamistes font partie de cette société, qu'on le veuille ou pas. Souhaiter la mort de Rached Ghannouchi est à la fois inhumain, abject et idiot, puisque les islamistes ne vont pas disparaitre avec lui. Loin s'en faut, ils seront mille fois plus méchants et destructeurs ! Qu'on le sache ! Aujourd'hui, si les islamistes d'Ennahdha ne sont pas des fous furieux comme Seïf Eddine Makhlouf, Saïd Jaziri et Rached Khiari, c'est grâce à Rached Ghannouchi.
Dernier sujet qui a fait l'actualité cette semaine, la sortie de l'excellent ouvrage de Mohamed Ennaceur, ancien président de l'Assemblée et ancien président de la République par intérim. Voilà donc un homme d'Etat de 87 ans qui écrit ses mémoires. Dans un pays où l'on lit et l'on écrit si peu, ceci est un événement en soi. Si Zine El Abidine Ben Ali avait fait pareil, la Tunisie serait dans une meilleure posture et beaucoup (mais beaucoup !) auraient fermé leurs gueules. Ses mémoires de plus de six cents pages se laissent lire facilement et agréablement. Style fluide, français impeccable, fais accrocheurs, témoignages saisissants. Chacun s'attardera sur ce qu'il voudra dans cet ouvrage. Pour ma part, je m'arrête sur le déchirement de la famille de Nidaa au lendemain des élections de 2014. Cette famille a oublié l'ennemi commun, Ennahdha, et s'est occupée à s'entredéchirer. Course au pouvoir et peaux de banane étaient le maître mot dans ce parti. L'implosion ne pouvait que suivre. Le témoignage de l'intérieur de Mohamed Ennaceur donne un éclairage des plus utiles sur l'Histoire récente de notre pays. La sortie du livre de Mohamed Ennaceur est un événement. Cela aurait dû être un événement. Il se trouve cependant que ce qu'a écrit l'ancien président a déplu à certains qui se sont empressés de l'injurier sur les réseaux sociaux. Des gens incapables de rédiger un paragraphe sans faute et dont le parcours politique est rempli d'échecs l'accusent d'être un menteur et de chercher le buzz ! Voilà où on en est ! On traite un homme d'Etat de 87 ans qui a écrit un livre de six cents pages comme on aurait traité un Facebooker en mal de célébrité qui a écrit un post de six lignes ! Ah ces valeurs, nous n'en avons plus ! Pour combattre les islamistes, pour pouvoir prétendre à gouverner le pays, pour réussir aux échéances politiques, il faut un minimum de tact, un minimum de culture, un minimum de savoir-vivre et un minimum de valeurs. Mohamed Ennaceur a publié ses mémoires, car c'était son devoir de le faire. Très peu d'hommes politiques ont fait comme lui. Très, très peu. Même pas Béji Caïd Essebsi ! On devrait le féliciter et le remercier d'avoir partagé avec nous ses témoignages. Au lieu de quoi, on est en train de le dénigrer ! A lire également Samir Dilou : Mohamed Ennaceur n'aurait pas dû publier des « hypothèses » sur un sujet aussi grave ! Qu'aurait-il dû faire à propos de ce jeudi noir ? Ne pas faire part de ses impressions ? De sa perception des choses ? S'autocensurer ? C'est comme ça qu'on écrit l'Histoire à vos yeux ? L'ouvrage de Mohamed Ennaceur a eu un effet secondaire que l'auteur ne soupçonnait certainement pas. Il a révélé la famille centriste laïque, et principalement Tahya Tounes, en prouvant que celle-ci est dénuée de valeurs. En réagissant comme elle l'a fait, cette famille a montré qu'elle est en manque de valeurs et que, de ce fait, ne peut pas gouverner le pays. En aucun cas ! Mes regrets Monsieur Mohamed Ennaceur pour cet accueil fait pour votre excellent ouvrage ! Ce sont nos concitoyens, c'est même notre famille, et ils sont comme ça ! On n'y peut rien ! Cette famille a quand même le mérite d'attirer notre attention sur une chose : notre priorité ne devrait plus être de combattre les islamistes et la pauvreté, notre priorité devrait être de rétablir les valeurs dans ce pays !