Il est indéniable que le président de la République, Kaïs Saïed, a redistribué les cartes du jeu politique en annonçant une série de décisions et de mesures le 25 juillet. Par contre, ce qui n'a pas changé, c'est l'absence et l'inconsistance des partis supposés être modernistes et qui étaient, jusqu'à il y a quelque temps, l'adversaire naturel des islamistes. Certaines de ces formations politiques faisaient partie du soutien politique du gouvernement de Hichem Mechichi à l'instar de Tahya Tounes ou du bloc parlementaire présidé par Hassouna Nasfi. Avec plus ou moins de pudeur, certaines des personnalités appartenant à ces groupes soutiennent mordicus le chef de l'Etat dans ses actions et l'on a même vu Youssef Chahed parler de mafia et saluer les actions de Kaïs Saïed. Etre l'un des soutiens du gouvernement de Hichem Mechichi, aider à faire passer des lois parfois scélérates, concoctées loin de toute consultation et ensuite se transformer en soutien de celui qui a viré Mechichi, le tout en l'espace de quelques semaines, est une preuve s'il en fallait de la volatilité des positions de formations vides de contenu.
Dans son projet politique, divulgué et expliqué depuis la campagne électorale, le président de la République, Kaïs Saïed, a toujours montré son hostilité aux partis. Il a toujours estimé que ce type de formations, d'organisations est dépassé par le temps et par l'époque. Il n'est pas loin de penser qu'il s'agit de structures dont le seul objectif est de confisquer la volonté populaire pour ensuite la détourner au profit de certains. Les partis et les formations modernistes ont adopté une position ambigüe devant la guerre que se livraient Carthage, le Bardo et la Kasbah. Une position de profiteurs et d'opportunistes qui soutiennent le gouvernement, disent soutenir le président de la République et monnayent politiquement leur soutien au fait que Rached Ghannouchi préside le parlement. C'est une position qui leur a permis de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même sac et de s'en sortir quel que soit le vainqueur. Mais le hic c'est que cette tactique les relègue à l'arrière de la bataille politique qui se joue actuellement. Les pseudo-modernistes ne sont pas de cette bataille, ni au niveau des principes, ni au niveau des manœuvres politiciennes. Ils se trouvent enfermés dans des positions édulcorées et tièdes alors que la période exige une prise de position prononcée, en faveur d'un camp ou de l'autre. S'ils penchent vers le fait de soutenir Kaïs Saied, c'est le moment de lui fournir une vue politique sur la période à venir, en proposant par exemple une feuille de route de sortie de crise, comme compte le faire l'UGTT. Le 25-juillet est un tournant majeur de la vie politique tunisienne. Comme dans d'autres stations importantes, les modernistes sont complétement à côté de la plaque laissant la route grande ouverte aux extrêmes. La gifle des résultats des élections de 2019 a grandement affaibli nombre de partis progressistes et modernistes, le 25-juillet risque d'anéantir leur existence, définitivement. C'est une preuve de plus que la classe politique était complétement hermétique au pouls du peuple, à ses réelles inquiétudes et aspirations. Aujourd'hui, si ces partis veulent continuer à exister sur la scène, de profondes réformes sont exigées. Mais si cette volonté de changer existait, nous l'aurions vue depuis les élections de 2019 donc le pessimisme est de rigueur concernant la capacité des petits chefs de patentes politiques à se remettre en question et à présenter un discours crédible.
En s'attaquant au plus représenté des partis au sein de l'ARP, Kaïs Saïed fournit des preuves pour étayer son discours nihiliste de la campagne électorale. En montrant que le plus grand des partis est en fait, inutile, il balaye d'un revers de la main toutes les autres formations. Kaïs Saïed n'est pas dans une bataille immédiate mais dans une guerre d'usure contre le système que forment les partis politiques. Les modernistes, plus que les autres, doivent être en mesure de répondre, devant le peuple à une question simple : A quoi servent les partis politiques ? S'ils ne fournissent pas de réponse crédible, cohérente et convaincante à l'opinion publique, ils vont tout simplement disparaitre. Entre temps, ils devront se débarrasser d'une vision affairiste et hypocrite de la politique et tenter de se refaire une virginité. Le bilan de la décennie catastrophique vécue par la Tunisie depuis la révolution n'est pas uniquement à mettre sur le dos du parti islamiste Ennahdha, même s'il en est grandement responsable. Tous ceux qui ont gouverné grâce à Ennahdha, qui ont profité de leurs postes pour arranger les petites affaires de leurs sponsors, ceux qui n'ont pu rester au pouvoir que grâce à Ennahdha, ne peuvent pas aujourd'hui donner des leçons de probité et d'intégrité politique.
La noblesse et la beauté des valeurs portées par le modernisme et le progressisme politique n'a d'équivalent que la piètre prestation de ses représentants. En termes politiques, ils se sont fait doubler par Kaïs Saïed et dompter par les islamistes. En termes de valeurs et de courage politique, Lotfi Zitoun, ex-leader islamiste, les dépasse de très loin. Si un renouveau doit se produire de la main de Kaïs Saïed, il concernera aussi des partis progressistes pauvres politiquement et intellectuellement, et c'est pas plus mal.