Le parti islamiste semble être de plus en plus isolé sur la scène politique. Les rencontres se font discrétes, quand elles existent, et Ennahdha n'a plus aucune marge de manœuvre suite aux décisions du président de la République et surtout leur prolongation sine die lors du discours du 20 septembre à Sidi Bouzid. Toutefois, quelques options restent de mise pour le parti islamiste qui paye aujourd'hui le prix d'une gestion calamiteuse depuis une décennie. Ennahdha a tenté, Ennahdha s'est débattu mais Ennahdha n'a rien pu faire, pour l'instant, pour contrer les mesures draconiennes prises par le chef de l'Etat un certain 25 juillet. Au-delà de la qualification juridique de ce qui s'est passé, Ennahdha a tenté de mobiliser de mobiliser ses troupes en faveur de son président coincé aux abords de l'Assemblée, mais ce fut un échec cuisant. Un échec qui explique, dans une certaine mesure, le fait que le parti islamiste n'a pas officiellement appelé ses troupes à participer à la manifestation « anti-renversement » du 18 septembre. Par la suite, le parti islamiste a tenté d'avoir recours aux chancelleries et aux puissances étrangères pour intervenir et mettre un terme aux actions du président de la République. Non seulement cela leur a valu d'être encore plus méprisés par une large part de l'opinion publique, mais en plus cela n'a pas été efficace. Même si les chancelleries nourrissent une certaine inquiétude, elles ne peuvent aller à l'encontre de décisions qui rassemblent l'approbation de quelque 90% de la population. Les options restantes sont donc assez restreintes. Actuellement, Ennahdha est profondément préoccupé par les termes du discours de Kaïs Saïed à Sidi Bouzid le 20 septembre. La prolongation de l'effet des mesures exceptionnelles avec la mise en place de dispositions transitoires sont interprétées comme une volonté d'abrogation de la constitution. Une lecture que beaucoup partagent mais qui n'a pas les mêmes impacts sur les différents intervenants. La suspension de la constitution représente la fin de l'existence au pouvoir du parti Ennahdha. Devant cette perspective, les choix ne sont pas nombreux. Le parti islamiste a fait le choix, le 12 août 2021, de créer une commission de gestion de la crise politique présidée par Mohamed Goumani. L'objectif de cette commission est de mettre à profit les relations et les ressources du parti pour tenter de trouver une voie de dialogue avec la présidence de la République. Le choix du président de cette commission n'est pas fortuit puisque Mohamed Goumani partage une certaine proximité, au moins idéologique, avec le frère du président Naoufel Saïd. Il a également de bonnes relations avec les autres partis politiques. Toutefois, il faut être deux pour dialoguer et le président de la République ne semble pas disposer à le faire. Kaïs Saïed a fermé, à double porte, l'issue du dialogue avec les structures existantes et particulièrement avec le parti Ennahdha. Le chef de l'Etat considère qu'il est inutile de dialoguer et de tenter trouver des solutions avec ceux qu'il considère être à l'origine de la crise. Le président de la République a même arrêté de discuter avec l'UGTT qui était considérée comme son allié, à défaut de représentation politique classique. Certains analystes considèrent même, avec raison, que Kaïs Saïed souhaite en finir avec tous les corps intermédiaires pour mettre en place son plan de nouvelle scène politique. Par conséquent, la voie d'un dialogue politique classique avec le chef de l'Etat semble bouchée. Mohamed Goumani a dû se contenter de multiplier les rencontres et les coups de fil avec d'autres composantes de la scène politique. Il est également médiatiquement présent pour transmettre un certain nombre de messages dont le principal est que le parti Ennahdha n'est pas l'unique responsable de l'échec cuisant de la dernière décennie. L'autre voie possible pour Ennahdha est celle de l'escalade, et c'est une voie bien plus réaliste que celle d'un hypothétique dialogue avec le président de la République. Etonnamment, c'est le même Mohamed Goumani qui a évoqué le sujet tout en insistant sur le fait que personne ne souhaite en arriver là. L'idée est de provoquer une réunion de l'Assemblée des représentants du peuple et de « dégeler » l'institution. En cela, Ennahdha et les autres blocs qui donneront leur accord pour participer, profitent du fait que l'ARP peut constitutionnellement tenir ses activités dans n'importe quel endroit de la Tunisie, et cela peut même se faire à distance. Mohamed Goumani, en expliquant cette démarche, a mis l'accent sur deux conditions préalables : la première est que le président de la République commence réellement à modifier la constitution en appliquant des mesures transitoires et la deuxième est qu'aucun dialogue avec les composantes politiques tunisiennes ne soit entamé. Il a même fixé une date à cela en évoquant celle du retour normal de l'activité du parlement début octobre après les vacances parlementaires. Si ce scénario se concrétise, il ne sera plus question de dialogue et on irait vers la confrontation directe et assumée. D'un autre côté, il ne faut pas oublier que la décision de geler le parlement représente le socle des décisions du chef de l'Etat. D'ailleurs, près de deux mois après le 25 juillet, il s'agit de la seule décision appliquée et palpable dans tout ce qu'il a annoncé, outre le limogeage du chef du gouvernement. C'est toute la crédibilité de Kaïs Saïed et toute son aura auprès de la population qui seraient détruites si jamais le parlement reprenait ses activités malgré lui. Par ailleurs, il a expliqué, à plusieurs reprises, qu'il considérait que le parlement était le vrai danger. Donc, une reprise des activités de l'ARP serait non seulement un affront, mais un « missile constitutionnel » dont il serait cette fois la cible. La mobilisation de la rue n'a pas marché pour Ennahdha qui a été surpris de voir un grand nombre de ses sympathisants passer de l'autre côté de la barrière. L'appel aux puissances étrangères est resté sans suite malgré les sollicitations répétées des dirigeants d'Ennahdha. Un dialogue apaisé avec le président de la République est totalement exclu dans l'état actuel des choses. Il ne reste pas beaucoup de choix réalistes pour Ennahdha pour tenter d'exister politiquement. Le dernier choix est aussi le pire.