Un président ermite, pas dans le sens religieux du terme, mais celui de l'isolement et du cantonnement dans un cercle fermé, dans une idéologie inusitée. Un président qui refuse de dialoguer avec ceux qui font qu'un Etat en soit un, se voulant le chantre des formules inédites à la limite de l'irréalisable. Un président vengeur prêt à en découdre avec tous, sur tous les fronts, quitte à ce que le toit nous tombe sur la tête à tous sans exception. Un président qui carbure au complotisme, un digne représentant de l'ère post-vérité en jouant souvent sur les émotions plutôt que sur l'exactitude des faits. La démagogie n'est pas étrangère à ses déclarations où il s'attèle à exacerber les préjugés et les frustrations populaires. Ça part peut-être de bonnes intentions, de sa logique de justicier qui redressera le pays et le sortira d'un système qui a échoué, mais la méthode est bien dangereuse et la finalité est bien incertaine. En cela, le cercle de ceux qui s'opposent à la démarche « kaïsienne » ne fait que s'élargir. Même des parties qui ont soutenu le coup du 25 juillet font un pas en arrière refusant la déviation vers un pouvoir unique ou que l'utopie présidentielle soit imposée sans possibilité de dialogue ou d'opposition. La puissante centrale syndicale, par la voix de son secrétaire général, a récemment dit rejeter ce projet de démocratie de base et de comités populaires. L'UGTT n'est pas la seule, mais du côté de Carthage le tri est déjà fait. Les opposants et les contradicteurs sont des vermines, rien de moins. Et il y a deux sortes de vermines : les traitres et les corrompus ou les opportunistes qui veulent se repositionner et se rebiffent quand la démarche ne correspond pas à leurs attentes. Dans sa volonté d'imposer sa vision, qualifiée de « nouvelle édification », le président de la République use d'un discours violent et ne recule devant rien pour humilier ceux qui l'ont soutenu, mais qui émettent aujourd'hui des réserves. Lors du troisième conseil des ministres, il n'a pas dérogé à la règle. Cependant, il est monté d'un cran en lançant un appel à la vindicte populaire. Tout observateur de la scène tunisienne vous confirmera que des hordes de fans, qui ont plus du hooligan que du gentil admirateur, sévissent pour traquer, dénigrer, insulter et lyncher les critiques du chef de l'Etat, même les plus modérés. Il aurait été donc inconscient d'exciter encore plus les foules, sauf que de conscience il n'en est rien du côté du président. Il semble avoir plutôt choisi de jeter de l'huile sur le feu. Il n'est pas question ici d'exagération. La parole présidentielle compte et chaque mot doit être prononcé en anticipant ses conséquences. Appeler « les honnêtes patriotes » à faire face à « ceux qui jouent de leurs biens et de ce qui leur revient de droit », les exhorter à en « purger le pays », est du plus haut péril. Qui sont ces honnêtes patriotes qui doivent mener des purges ? comment celles-ci seront menées ? Le président ne le précise pas. Il lâche sa phrase, et ça ne peut être un impair puisqu'elle est prononcée dans le discours et consignée dans le communiqué. Si l'on s'attache à lui donner le bénéfice du doute et du malheureux malentendu, Kais Saïed se doit de s'expliquer et de dissuader clairement et publiquement ses disciples, patriotes et honnêtes, de se faire justice eux-mêmes. Parce que c'est ce que cette regrettable phrase peut laisser entendre surtout en cette période où les esprits sont échaudés à l'extrême. Afin que ce ne soit pas un signal pour que les actuels lynchages virtuels se concrétisent dans la réalité, que les « honnêtes patriotes » se mettent dans la tête de s'ériger en lieu et place des forces de l'ordre et de la justice et qu'on sorte de l'Etat de droit.