Il est une règle de gouvernance simple dont la validité a largement été démontrée au cours de l'histoire humaine. Elle tient en quelques mots : diviser pour mieux régner. Une règle aussi basique est, semble-t-il, ignorée par le lider maximo à la sauce tunisienne, Kaïs Saïed. Cette fois, le pouvoir en place a décidé de se frotter aux syndicats sécuritaires et de leur déclarer la guerre par l'intermédiaire du fidèle ministre de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine. Mais n'allons pas croire que cette petite vendetta a été déclenchée pour mettre, par exemple, fin à l'impunité des policiers protégés par leurs syndicats ou pour couper avec les prises de position parfois loufoques exprimées par ces mêmes syndicats. Non, le ministre Taoufik Charfeddine a débuté cette croisade quand son propre nom a été souillé et quand sa propre famille a fait l'objet de railleries sur les réseaux sociaux. Tout cela s'est fait sous l'impulsion du président de la République, Kaïs Saïed, qui a, comme à chaque fois, pris le parti de son ministre.
En guerre contre la majorité de la classe politique tunisienne et contre les magistrats notamment, Kaïs Saïed a choisi d'ouvrir un autre front contre les syndicats sécuritaires. Il a même formulé le vœu pieux de les voir tous unis dans une seule et même structure tout en les cantonnant à un rôle social. Il semble être sur la bonne voie pour réaliser ce qu'il dit, mais pas dans le sens qu'il souhaite. En agissant ainsi, le pouvoir en place aura réussi à réaliser la performance d'unir contre lui l'ensemble des syndicats sécuritaires. Ces derniers ont passé des années à être déchirés par les luttes de pouvoir et d'influence. A un moment on parlait même du syndicat de telle ou telle personnalité politique ou lobbyiste influent. Aujourd'hui, ces désaccords et ces luttes intestines pourraient être relégués au second plan puisque les syndicats de police vont se concentrer et s'entraider pour lutter contre leurs autorités de tutelle. Lors d'une assemblée générale extraordinaire organisée le 6 septembre 2022, les syndicalistes sécuritaires ont même scandé des slogans hostiles au ministre de l'Intérieur. Le côté amusant et ironique provoqué par le fait de voir des policiers dénoncer « l'atteinte au droit syndical » et évoquer « une pratique caractéristique des dictatures » est vite éclipsé par la gravité des propos tenus.
Une fois de plus, Kaïs Saïed ne sait pas comment mener sa barque et choisit la confrontation musclée. Les images qui ont parcouru les réseaux tunisiens montrant des sit-in de policiers démantelés par d'autres policiers ont eu un lourd impact. A tort ou à raison, plusieurs représentants des policiers estiment que le régime ne tient qu'à leur capacité de faire respecter l'ordre établi. De vieux réflexes avaient également fait leur apparition notamment vis-à-vis des manifestations organisées par l'opposition. Aujourd'hui, ils se révoltent par rapport à ce qu'ils considèrent comme une trahison venant de leurs autorités de tutelle. Le chef de l'Etat, Kaïs Saïed, devrait savoir que la situation actuelle du pays ne supporte pas l'ouverture d'un autre front qui va rajouter de la tension et alimenter la controverse. Le président de la République devrait mesurer l'impact et la gravité du fait de placer les forces de police en opposition au pouvoir ne serait-ce que par la particularité de leur travail. Si prompt à se déplacer au siège du ministère de l'Intérieur pour annoncer ce qu'il estime être de grandes décisions stratégiques, le chef de l'exécutif ne devrait pas, en même temps, provoquer des remous et des tensions au sein du bâtiment gris de l'avenue Habib Bourguiba. Il faudrait être un fin politicien pour pouvoir sortir de cet écueil et calmer les esprits sans pour autant que l'autorité de tutelle ne soit décrédibilisée. Il est clair que Kaïs Saïed n'en est pas un.
Le président de la République répète souvent que ses adversaires politiques, qu'il ne nomme jamais, provoquent des crises à répétition pour déstabiliser le pouvoir et pour faire payer au peuple ses choix électoraux. Il met toutes les pénuries et toutes les difficultés financières du pays sur le compte de cet argument qui est pour le moins faible. Pourtant, force est de constater qu'il s'agit d'une description assez fidèle de la politique employée par le président de la République qui n'hésite pas à prendre à partie des secteurs entiers de la société ou des professions. Il est certain que le fait de s'attaquer aux policiers et à leur impunité pourrait se révéler fructueux en termes de popularité et alimenter le populisme qui fait aujourd'hui office de politique d'Etat. Toutefois, à jouer avec le feu on peut se brûler surtout qu'une issue honorable à ce conflit ne sera pas facile à trouver. Depuis son accession au pouvoir, Kaïs Saïed a montré qu'il était un homme de confrontation et de conflit et qu'il n'était pas enclin au dialogue et au règlement pacifiste. Il s'est basé en cela, notamment, sur la force de l'Etat représentée par ses forces de l'ordre. Aujourd'hui, c'est avec ces mêmes forces qu'il se trouve en conflit, avec des conséquences qui peuvent être lourdes.