L'actualité dramatique qui nous parvient de Gaza nous a fait oublier, en partie, notre actualité nationale. En cette fin d'année, les débats tournaient habituellement autour de la loi de finances de l'année prochaine pour tenter de déterminer à quelle sauce nous allons être mangés. La loi de finances proposée par le gouvernement pour l'année 2024 est dans la même lignée que les précédentes, même si elle prétend se placer sous le thème politique brandi par le président de la République : nous devons compter sur nos propres moyens. En attendant de réactiver la production des phosphates ou de –soyons fous- penser à un nouveau modèle de développement efficace et inclusif, c'est dans les poches des citoyens que l'Etat ira chercher ces fameux « moyens ». Plusieurs professionnels, comme ceux du tourisme, des cafés, des bars et cabarets ou encore les fabricants de fromage et de dérivés laitiers seront amenés à mettre la main à la poche pour participer au financement de la compensation. Pour l'Etat, il n'est plus question de repenser la distribution de cette compensation et de faire en sorte qu'elle soit plus équitable, argument brandi avec force il y a tout juste un an. Aujourd'hui, la priorité est d'imposer de nouvelles taxes pour rassembler cet argent, quitte à ce que les consommateurs de ces denrées et services en payent le prix. L'on pourrait penser qu'il s'agit là d'un sacrifice ponctuel qui nous aiderait à nous émanciper du grand méchant FMI qui ne souhaite que nous imposer ses diktats. Toutefois, il est important de rappeler que ce même Etat nous avait assuré que le programme présenté au FMI était 100% tunisien et qu'il était le fruit du travail acharné de centaines d'experts tunisiens. Certains ministres s'offusquaient même du fait que l'on suggère que le FMI ait imposé certaines mesures. Le 15 octobre passé, l'accord avec le FMI au niveau des experts aura fêté un an d'existence et le président tunisien ne parle que de diktats et d'impérialisme financier. Le seul à rester droit dans ses bottes sur la question est Samir Saïed, ministre de l'Economie et de la Planification. Il finira par le payer en se faisant limoger. L'ordre intimé par Kaïs Saïed de compter sur nous-mêmes en matière financière et économique prend un autre coup lorsqu'on constate que la loi de finances 2024 prévoit d'acquérir un financement étranger de l'ordre de 16,4 milliards de dinars, une somme jamais atteinte ! Pour rappel, l'année dernière, l'Etat comptait encore sur un financement venant du FMI. Il aura fini par remplacer la première tranche de l'accord avec le Fonds par un prêt de l'Afreximbank à plus de 10% de taux d'intérêt, une première en Tunisie. Pour 2024, le ministère des Finances n'a pas mis comme hypothèse le fait d'obtenir un accord avec l'institution de Bretton Woods. Toutefois, il ne suffit pas de vouloir pour combler les déficits. L'Etat prévoit tranquillement un financement extérieur dont il ne connait pas, lui-même, l'origine. Sachant que le même Etat n'a pas réussi, ni en 2022 ni en 2023, à atteindre ses objectifs de financement extérieur. La priorité est donc donnée au financement intérieur qui atteint des proportions gigantesques. On dépeint comme une réussite le fait que l'Etat siphonne les fonds des banques privées tout en leur jetant la pierre. En recevant son chef du gouvernement le 23 octobre 2023, Kaïs Saïed a évoqué le rôle des institutions financières et leur « contribution au soutien des efforts de la nation pour faire face aux défis. La préservation de l'indépendance de la prise de décision nationale, sans soumission aux diktats extérieurs, doit être un objectif commun ». Il serait donc du devoir des banques de la place de financer l'Etat tunisien dans une espèce d'injonction messianique dénuée de sens. Les banquiers devront redoubler d'imagination pour présenter cela à leurs actionnaires. L'avantage avec les slogans imposés à l'économie c'est que cela occulte les conséquences d'une telle politique. Plus de place pour parler d'effet d'éviction ou autres. Notons, en passant, que l'Etat emprunte à tout va sans présenter de garantie, chose que Kaïs Saïed reprochait aux dirigeants de la BNA lors de sa fameuse visite. Pour faire que les méchantes banques fassent amende honorable, on leur imposé une nouvelle taxe sur les revenus imposables de 4%, en guise de contribution exceptionnelle... La philosophie de ce projet de loi de finances 2024 n'a donc pas changé : l'Etat accumule ce qu'il lui faut comme argent pour financer un budget expansionniste, et les autres –entreprises, institutions financières, citoyens, etc- n'ont qu'à se débrouiller. Pour créer de la richesse et pour libérer les potentiels qui existent en Tunisie, il ne faut pas chercher des mesures dans cette LF 2024. On y invoque cette vieille mesure d'exonération d'imports et taxes pendant quatre ans pour les entreprises nouvellement créées, mais on fait mine d'ignorer le fait que le problème réside dans le climat d'investissement. C'est une année difficile sur les plans financier et budgétaire qui s'annonce en 2024. Nous l'abordons la fleur au fusil avec un slogan vide de substance pour l'instant : comptons sur nous-mêmes.