Depuis son indépendance, la Tunisie a pu compter sur des organisations nationales, syndicales et professionnelles, puissantes qui ont joué un rôle de balancier avec le pouvoir en place. Ces organisations sont aujourd'hui partagées entre celles qui se débattent à cause de dissensions internes, celles qui sont totalement absentes et d'autres qui sont en situation de mort clinique. C'est un triste spectacle qu'a donné l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) lors des travaux de son conseil national qui ont pris fin le 8 septembre 2024. D'abord, la centrale syndicale a pris la décision de décréter une grève générale dans le secteur et la fonction publics tout en laissant le soin à l'instance administrative nationale d'en fixer la date et les modalités. En réalité, cette décision faisait déjà pratiquement consensus dans les rangs des syndicalistes tant le dialogue social est inexistant et tant les accords passés ne sont pas respectés par l'Etat. La grève générale, aussi importante soit elle, n'était pas vraiment un objet de discorde. Par contre, un autre sujet a déchainé les passions et suscité les éclats de voix lors de ce conseil national. Plusieurs participants, soutenus par des régions entières et des corporations, ont demandé à ce que le mandat actuel du bureau exécutif de l'UGTT soit écourté et ne dépasse pas fin 2025. Les débats ont tourné autour de la fameuse décision d'amendement de l'article 20 du règlement intérieur de l'UGTT permettant à plusieurs membres du bureau exécutif actuel d'entamer un troisième mandat. Ce vote avait eu lieu à Sousse, en plein Covid, lors d'un congrès exceptionnel organisé à cet effet. Le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi, a dû présenter des excuses aux composantes de la centrale avouant que l'amendement de l'article 20 était une erreur. D'autres membres du bureau exécutif ont tenu le même discours comme Anouar Ben Kaddour. Mais pour beaucoup, le mal est fait, d'autant plus que les excuses présentées n'ont été accompagnées d'aucune décision. La position de l'UGTT au niveau national était affaiblie depuis belle lurette. On pourrait remonter à la présentation d'une initiative de dialogue avec d'autres organisations qui avait été totalement ignorée par le président de la République. D'autres remontent à la position de l'UGTT vis-à-vis des décisions du 25-Juillet. Toutefois, avec les divisions et les dissensions internes récemment constatées, l'UGTT a rarement été aussi faible et son impact sur la marche des choses dans le pays est réduit. Il reste que l'UGTT s'en sort mieux que d'autres organisations nationales qui avaient un certain poids auparavant. L'Ordre des avocats fait partie de ces organisations qui sont actuellement sous le feu des critiques. L'Onat a été sévèrement critiqué sur la scène nationale après sa lenteur quant à une réaction envers les agissements de l'Instance des élections qui a refusé d'appliquer les verdicts prononcés par le tribunal administratif. Le communiqué, qui a enfin été publié tard dans la soirée du 5 septembre 2024, était faible et évasif, à tels points que certains acteurs de la vie publique en Tunisie ont dit que l'ordre aurait mieux fait de s'abstenir. Ce n'est là que le dernier épisode d'une série de désillusions liées à cette organisation. La Maison de l'avocat a été attaquée par deux fois par les forces de l'ordre pour procéder à l'arrestation d'avocats : Sonia Dahmani et Mehdi Zagrouba. L'avocate Sonia Dahmani croupit toujours en prison et fait face à plusieurs mauvais traitements comme la privation de vêtements ou les fouilles corporelles poussées. Elle aura eu droit à une ligne dans le dernier communiqué de l'Onat. Quant à Mehdi Zagrouba, il est avéré qu'il a également subit des mauvais traitements et des actes de torture lors de son arrestation, mais pour l'instant, il n'y a aucune conséquence. Tout cela est arrivé pendant que Hatem Mziou est le bâtonnier de l'Ordre des avocats. Il avait succédé à Brahim Bouderbala qui est devenu président de l'Assemblée des représentants du peuple. Récemment, plusieurs internautes ont mis en doute la neutralité du bâtonnier quand ils ont découvert que ce dernier avait « liké » une des publications de Riadh Jrad, farouche défenseur du régime, en train de parrainer le chef de l'Etat. Pour ce qui est de l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche (Utap), les choses sont pliées depuis longtemps. Le président de l'Utap, Noureddine Ben Ayed, a été imposé à la tête de l'organisation avec la complicité et la bénédiction du pouvoir en place. Il a délogé Abdelmajid Ezzar, islamiste notoire. Depuis, l'organisation représentant les agriculteurs a continué à avoir les mêmes revendications et à alerter quant à la difficulté de la situation des agriculteurs, mais sans rien obtenir de concret. L'essentiel est que l'Utap est tout à fait en phase avec le pouvoir en place et adopte même ses éléments de langage. Dans un communiqué publié à la suite de l'annonce de la liste finale des candidats, l'Utap affirme que « le peuple tunisien est le seul qui doit choisir, et qu'il n'y a pas de place pour une tutelle d'au-delà les océans car le peuple est libre et est le seul à avoir le choix ». Un communiqué poétique qui suggère un alignement inconditionnel avec le pouvoir actuel.
Une autre organisation a dépassé les précédentes et se trouve en situation de mort clinique, c'est l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica). Certes, l'organisation patronale n'est pas connue pour son courage en termes politiques, sauf sous la présidence de Wided Bouchamaoui à une époque où le pays avait besoin de ses vraies forces vives. Mais aujourd'hui, l'Utica n'est même plus capable de défendre les intérêts de ses affiliés. Les entreprises croulent sous le poids d'une pression fiscale phénoménale, le tissu composé de PME tunisiennes se détériore de jour en jour, les taux de croissance réalisés sont ridicules, mais tout cela ne semble pas émouvoir une Utica moribonde. Quand la légitimité du leadership d'une organisation est contestée, voire clairement entamée comme c'est le cas de l'Utica, cela impacte toute l'organisation et la met complément à genoux. L'organisation patronale devait organiser son congrès en janvier passé, mais cela n'a pas eu lieu et la légitimité du président actuel, Samir Majoul, est remise en question par de larges pans de l'organisation elle-même. Le mutisme du président de l'Utica et le statuquo installé paralysent donc l'organisation des patrons, qui ne joue plus son rôle et se trouve en situation de mort clinique.