L'annonce de l'Ordre des médecins de suspendre la décision d'augmentation des honoraires médicaux a provoqué l'ire des praticiens, nombreux à exprimer leur colère. Plus que le rétropédalage, c'est la langue de bois de l'Ordre qui est pointée du doigt, qualifiée de honteuse et assimilée à un déculottage. À trois jours des élections, les médecins n'avaient vraiment pas besoin d'une telle polémique. Dimanche 5 janvier, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) publie un communiqué annonçant une nouvelle fourchette des honoraires médicaux. Face à l'inflation et au gel des honoraires depuis 2019, cette augmentation semblait légitime. Pourtant, elle a provoqué un tollé général dans la population. Beaucoup estiment que les médecins sont déjà bien rémunérés, que leur train de vie dépasse celui d'autres professions, et qu'une telle hausse est injustifiée. Mardi 14 janvier, tard dans la nuit, le Cnom publie un nouveau communiqué annonçant la suspension de la révision tarifaire. Il évoque également l'ouverture d'un dialogue pour préserver les droits de toutes les parties prenantes, notamment le droit à la santé et aux services connexes, ainsi qu'une conférence de presse prévue le jeudi 16 janvier 2025.
Des critiques sur le langage et la forme Le communiqué du Cnom est rédigé dans un arabe littéraire rébarbatif, avec une langue de bois digne de l'ère soviétique. Il ne semble pas être destiné aux médecins, majoritairement francophones, mais aux pouvoirs publics, d'autant plus que certaines tournures de phrases ressemblent, comme deux gouttes d'eau, aux communiqués de la présidence de la République qui, elle aussi, a pris l'habitude de publier des communiqués nocturnes et très tardifs. Mercredi matin, le tollé a retenti parmi les médecins et plusieurs influenceurs qui ont critiqué le communiqué du Cnom tant sur le fond que sur la forme.
Une profession déshonorée Les premiers à réagir sont les médecins eux-mêmes, qui dénoncent ce rétropédalage. Certains, incrédules, attendent un démenti, tandis que d'autres, nombreux sur les réseaux sociaux, appellent à la démission du bureau du Cnom. Ils déplorent un « déballage public de linge sale », une « débâcle » sur fond de populisme et de diabolisation des médecins. Beaucoup de commentateurs ont trouvé « honteux » le communiqué de l'Ordre, et beaucoup ont jugé qu'il « ridiculise » les médecins. Ils ont aussi souligné qu'une telle annonce, faite ainsi, discrédite le bureau sortant qu'ils ont d'ailleurs appelé à démissionner sans attendre. Les médecins ont estimé que le comportement du Cnom est une « humiliation » pour la profession. L'annonce de la conférence de presse a jeté de l'huile sur le feu ; ils ont souligné et martelé qu'il s'agit d'un sujet à discuter en interne, avec les concernés, et non devant le public et les médias.
Des voix influentes s'élèvent parmi les médecins L'ancien vice-président de l'Organisation des jeunes médecins, Aymen Bettaieb, se dit « sidéré » par la décision du Cnom, bien qu'il ne soit pas concerné par cette augmentation, exerçant dans le public. Il estime que le communiqué a suscité, « à raison », les railleries du public.
Malek, médecin assistant en psychiatrie et en psychothérapie, connu sous le pseudonyme de Malek D'Orient, qualifie le communiqué du Cnom de « honte ». De son côté, le médecin et activiste Maher Abassi appelle à la « responsabilité » des médecins, estimant que la volte-face du Cnom et le langage politisé utilisé justifient une démission collective du bureau. Il exhorte les médecins du public et du privé à s'unir, soulignant que la division et l'indifférence ont conduit à cette débâcle. « Oui, il était imprudent d'augmenter les honoraires dans cette période de populisme, les raisons avancées par le Cnom étaient ridicules. Oui, le pouvoir d'achat et le niveau de vie des médecins se sont détériorés, mais ce n'est pas une raison à avancer au grand public. Oui, les conditions de travail se dégradent, oui, la majorité des médecins ne pensent qu'à quitter le pays, oui, nous sommes détestés et méprisés par une partie du peuple. Je pense que le fait d'appeler à un vote massif ne résoudra pas le problème. Il faut un changement radical de la politique du Cnom. Le Cnom doit jouer un rôle vital dans le sauvetage de notre métier. Il faut une démission immédiate de ce bureau, sinon il faut boycotter les élections », déclare-t-il.
Kaïs Nouira, professeur radiologue, très apprécié par ses pairs, s'étrangle de colère également. Il a publié un long texte et une vidéo de cinq minutes pour s'exprimer. « Si l'augmentation avait été validée, elle aurait dû être communiquée via des courriers ou des e-mails aux médecins concernés, afin de préserver la dignité et l'image de la profession. Est-ce que vous avez vu une telle publication de la part des avocats ou des experts comptables ? Une concertation préalable avec le ministère de tutelle aurait été indispensable pour garantir le respect des procédures et éviter toute controverse inutile. Toutes ces étapes cruciales n'ont pas été respectées, ce qui a conduit à cette situation désastreuse. Nous ne pouvons plus tolérer cet amateurisme et ce manque de responsabilité. Ce genre de gestion ne sert ni les intérêts du corps médical, ni ceux des patients, ni même l'image de notre profession. Il est impératif d'opérer un changement profond au sein du Conseil National de l'Ordre des Médecins. La moindre des choses, et quand on fait une telle gaffe qui nuit de façon profonde à notre corporation, ON DEMISSIONNE ! »
Une critique acerbe de l'expert Yassine Kalboussi Yassine Kalboussi, expert santé à la Banque mondiale, estime que le Cnom a « abandonné son rôle pour se transformer en club de médecins en préretraite ». Il ajoute que le Cnom se contente de collecter de l'argent auprès de ses membres, sans avoir de vision claire sur la structure du système de santé, le financement du secteur, la qualité des services, les droits des patients, ou les abus de certains médecins en matière d'évasion fiscale ou de pratiques non professionnelles. « La question la plus importante pour le Cnom en 2025 est de savoir comment empêcher les élections à distance et en ligne, et organiser des élections dans un hôtel à Tunis en seulement une demi-journée, avec comme condition de candidature d'être inscrit à l'Ordre depuis au moins dix ans. Ainsi, les jeunes médecins ne votent pas, et seuls les dinosaures peuvent se présenter. Avec une telle mentalité, il est normal d'arriver à la situation et à la farce actuelles », conclut-il.
Les influenceurs tunisiens réagissent Loin des médecins, plusieurs influenceurs tunisiens n'ont pas été tendres avec le communiqué du Cnom. Karim Baklouti Barketallah déclare : « Les médecins, certains ou beaucoup d'entre eux, se sont soulevés contre le rétropédalage du conseil de l'Ordre quant à l'augmentation du prix de la consultation. Et ils ont raison, vu que ce conseil semble privilégier le léchage de bottes à la défense de ses membres. Ce que fait le Cnom n'est qu'une illustration que le mal est bel et bien dans ceux qui courbent l'échine au premier coup de vent. #honteux ». Le producteur et influenceur Mehrez Belhassen, alias Big Trap Boy ou Extravaganza, est très virulent : « J'imagine que tous ceux qui ont lu le communiqué publié hier par l'Ordre des médecins ont revu leur attitude à l'égard des diplômés en littérature. Au moins, la communauté littéraire sait écrire des communiqués où l'on baisse le pantalon tout en gardant un semblant de dignité pour sauver la face. Les littéraires savent comment s'en sortir en disant "qu'on est nuls, mais nous ne sommes pas seuls". Il est temps de redonner leur dignité aux littéraires alors que l'on croyait qu'ils étaient complètement inutiles pour l'avenir de l'humanité ».
Un utilisateur de Facebook, Ramzi Mejri, propose une nouvelle définition de l'acronyme Cnom : C – Confusion : Le Cnom entretient une confusion constante dans ses décisions. N – Négligence : Il néglige les attentes des professionnels de santé et les besoins des patients. O – Opacité : Le Cnom manque de transparence dans ses décisions. M – Mépris : Il semble mépriser les revendications légitimes des médecins.
Des pressions politiques en toile de fond Face à la polémique, le Cnom décide une conférence de presse pour expliquer sa démarche. Cependant, comme le souligne un médecin sous couvert d'anonymat : « Quelles que soient les explications que vont donner son président Ridha Dhaoui et son secrétaire général Nizar Ladhari, le mal est fait. Le communiqué du 14 janvier 2025, avec son rétropédalage et sa langue de bois honteuse, est injustifié. » Si le Cnom a suspendu l'augmentation des honoraires, c'est probablement sous la pression des pouvoirs publics, notamment du président de la République, qui refuse toute augmentation pour limiter l'inflation, actuellement à 6,2%. Pourtant, la révision des honoraires est légitime, les tarifs étant gelés depuis 2019, alors que l'inflation a souvent dépassé 7% ces dernières années et a même atteint les deux chiffres pour certains produits alimentaires. « C'est plus facile à dire qu'à faire. On ne peut pas résister à un régime populiste qui a mis la justice à sa botte et qui a jeté en prison plusieurs représentants de corporations. On se rappelle encore comment il a jeté en prison le doyen des médecins vétérinaires, le président du syndicat des boulangers, ou encore provoqué un putsch à la grande Utap », justifie un médecin politisé.
Un bureau entre le marteau et l'enclume Le bureau directeur du Cnom se retrouve dès lors pris entre deux feux : d'un côté, la pression de la population et des pouvoirs publics ; de l'autre, les attentes de ses affiliés qui l'ont élu pour défendre leurs intérêts. Le timing de cette polémique est particulièrement mauvais, intervenant à quelques jours des élections prévues le samedi 18 janvier. Jamais dans l'histoire des médecins, un bureau sortant n'a fait face à un tel orage à la fin de son mandat. Quel que soit son bilan réel, son image est désormais ternie par ce communiqué de rétropédalage et cette langue de bois honteuse. Sans aucun doute, cette polémique occupera une grande partie du temps de parole samedi, au détriment de sujets plus importants. La polémique autour du Cnom et de sa décision de suspendre l'augmentation des honoraires médicaux a mis en lumière les tensions entre les médecins, l'Ordre et les pouvoirs publics. Alors que les élections approchent, cette crise risque de laisser des traces durables dans la profession médicale. Les médecins attendent désormais des réponses claires et des actions concrètes pour restaurer la confiance et défendre leurs intérêts légitimes.