Nul ne peut mettre en doute la détermination de la Tunisie à renforcer son engagement dans la voie de la libéralisation économique et notamment en matière de drainage des investissements étrangers et à assainir le climat d'affaires pour inciter le capital privé tunisien à se réorienter davantage vers les investissements à forte valeur ajouté et générateurs d'emplois. L'Etat tunisien était, il l'est toujours d'ailleurs, le principal instigateur de la libéralisation économique. Il a entamé, depuis deux décennies, une série de réformes touchant de nombreux domaines, notamment le tissu industriel à travers un plan ambitieux de mise à niveau, chose qui n'aurait pu être faite que par un arsenal législatif incitateur à l'investissement privé tant étranger que national. Seulement, le rôle incitateur de ce cadre législatif ne fait pas l'unanimité. D'aucuns le considèrent même comme encombrant et entravant. Même si le législateur prône la fameuse formule "la liberté est la règle, la restriction l'exception", il se trouve que le constat qui s'impose aujourd'hui est que l'investisseur en Tunisie est confronté à un cadre juridique rigoureux alors que ses attentes vont dans le sens d'une simplification de la législation, dont certaines prémisses se dessinent déjà, mais qui doit se poursuivre et se concrétiser encore plus. Nous rappelons qu'une étude intéressante sur ce sujet a été réalisée par Neila Chaâbane, assistante à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, et présentée lors des Journées de l'entreprise organisées par l'IACE, au mois de décembre dernier. La chercheuse revendique, qu'en Tunisie, le temps est venu de passer de la réglementation vers la régulation de l'investissement. Un constat qui puise ses sources dans une lecture méticuleuse des textes de lois en Tunisie. Pour Mme Chaâbane, l'investisseur, disposé à engager des fonds, se retrouve face à une multitude de textes posant les conditions et les modalités de réaliser son investissement. "L'investissement, qu'il soit physique ou financier est soumis à une réglementation particulièrement « pointilleuse ». L'examen du cadre juridique de l'investissement en Tunisie, n'est pas une tâche facile même pour des spécialistes du domaine. Ce cadre se caractérise par une certaine ambivalence entre liberté et rigueur ou contrainte", souligne-t-elle. Or, la liberté d'investissement est clairement affichée et proclamée par d'importants textes juridiques. Le code d'incitations aux investissements dans son article 2 dispose : « Les investissements dans les activités prévues à l'article premier du présent code sont réalisés librement ». De même, la loi sur l'initiative économique4 plus récemment rappelle avec plus de vigueur, dans son article premier que: «l'initiative économique constitue une priorité nationale à la consécration de laquelle uvrent tous les acteurs économiques et sociaux dans le cadre de la garantie du principe d'égalité des chances et sur la base de la liberté comme principe et de l'autorisation comme exception. » Cependant, la réalité dit que les investisseurs nagent dans le yaourt législatif au point que certains d'entre eux se sont vus repousser par ces textes de loi. D'après Mme Chaâbane, l'investisseur est confronté en Tunisie, à un cadre contraignant par ses sources et par son contenu. Pour réaliser un investissement, une fois sa décision arrêtée, l'investisseur doit être incontestablement bien conseillé pour se retrouver dans le dédale des textes organisant l'investissement. Les textes législatifs sont nombreux, on y trouve notamment les textes spécifiques à l'investissement (code d'incitations aux investissements) doublés des textes de droit commun (Code des sociétés commerciales, la législation fiscale avec ses différents codes fiscaux, la législation sur la sécurité sociale, la législation des changes, du commerce extérieur, douanière, les conventions internationales, ), mais aussi les modifications incessantes des textes de loi. Ainsi, l'investisseur se perd facilement dans un univers législatif ce qui de nature à ébranler sa croyance en la liberté d'investissement. Mais ce n'est pas l'unique souci de l'investisseur. " Si les textes législatifs sont nombreux, leurs textes d'application le sont encore plus. Les différentes lois citées renvoient toutes, soit à des décrets d'applications, soit à des arrêtés qui renvoient, eux mêmes parfois, à d'autres arrêtés", précise Mme Chaâbane. Et d'ajouter :" Si les décrets et arrêtés prévoient les conditions d'application de la loi, ils sont loin d'être les seuls. Il y a aussi la longue liste des circulaires, notes internes, notes communes, instructions , les dénominations divergent d'une administration à l'autre, que rencontre l'investisseur lorsqu'il commence à concrétiser la réalisation de son investissement et que l'administration lui oppose. Grâce à ces mesures, l'administration peut exiger des conditions qui ne trouvent pas leur source dans les textes qu'elles sont sensées appliquer et qui n'ont pour but que d'assurer l'exécution de la loi." Encore est-il que le calvaire ne s'arrête pas là. "Outre la problématique juridique de la valeur de cette doctrine de l'administration et même si l'investisseur ne cherche pas à la contester, il y a celui de son accessibilité et qu'il ne découvre parfois que lorsqu'il va déposer son dossier auprès des services concernés. Si la loi, le décret, l'arrêté sont publiés au Journal Officiel de la République Tunisienne, ce n'est pas le cas de la plupart de ces mesures. Il convient de réserver le cas des circulaires de la BCT qui sont publiées au JORT mais pour le reste, seules certaines administrations publient en partie leur doctrine. C'est le cas par exemple de l'administration fiscale ou celle de la douane", rajoute l'étude. Il est à signaler que l'étude réalisée par Mme Chaâbane s'est arrêtée longtemps sur la question des conditions, dites rigoureuses, d'exercice de l'investissement. L'étude a évoqué particulièrement l'exemple de l'article premier du code d'incitations aux investissements, qui, tout en ayant affirmé dans son alinéa premier que les investissements sont réalisés librement, se hâte dans l'alinéa second et troisième de limiter cette liberté en exigeant pour tous les investissements une déclaration d'investissement et pour certains d'entre eux dont la liste a été modifiée en plusieurs occasions par l'ajout de nouvelles activités19, une autorisation préalable. Un autre exemple cité par l'étude concerne l'hégémonie étatique sur le secteur financier, qui demeure sans conteste l'un des secteurs les plus contrôlés en Tunisie. L'investissement dans le secteur financier, malgré l'intervention de législations récentes et malgré son importance pour l'économie, est largement contrôlé. Des secteurs comme la promotion immobilière, les hydrocarbures, le domaine minier, et la liste, paraît-il, est loin d'être exhaustive, sont exclus du régime de la liberté et même ceux qui bénéficient du régime de liberté sont assortis de conditions qui en limitent, au final, largement la portée. Il s'agit là, selon les propos du Mme Chaâbane, d'une ambiguïté qui ne peut que nuire au climat de l'investissement puisque l'entrepreneur qui décide de tenter l'aventure de l'investissement est confronté à une pléthore de textes et de conditions et aux organes chargés de veiller au respect de ces conditions. Elle atteint son comble avec la diversité des organismes intervenant en matière d'investissement (API, APIA, FIPA, de l'ONTT, du ministère des Finances, de l'Industrie, de l'Equipement ), selon le secteur. Bref, on se perd ! S'il est vrai que l'Etat ne veut pas lâcher la bride aux investisseurs, plusieurs cas de dépassements ont été enregistrés, il est crucial, que l'on veuille ou pas, pour les pouvoirs publics de simplifier le cadre législatif et réglementaire et surtout d'alléger les formalités qui jalonnent les différentes étapes de concrétisation d'un investissement. Il ne peut plus revenir sur le choix de libérer l'investissement, mais il ne doit pas non plus continuer à le freiner par des formalités et des procédures multiples et compliquées. Pour y parvenir, l'étude recommande de clarifier la situation : ou l'investissement est libre, ou il est soumis à un agrément. En plus, il convient de limiter le nombre des organismes intervenant en matière d'investissement, d'associer, dans le cadre d'un organisme consultatif, les opérateurs économiques dans l'élaboration des textes juridiques relatifs à l'investissement. In fine, il est plus que nécessaire de multiplier les expériences de consultation nationale avant d'entamer l'élaboration des textes pour cibler les réformes à entreprendre. Avec les atouts qu'elle renferme, la Tunisie ne doit pas, à travers la législation, tomber dans l'excès inverse. D'un côté, la liberté est le principe proclamé mais il est tout de suite assorti de limites puisque les investissements doivent satisfaire aux conditions d'exercice prévues par la législation et la réglementation en vigueur. Et c'est là exactement où les pouvoirs publics sont appelés à trancher sur la question. Walid Ahmed Ferchichi