La scène politique est en train de vivre un ensemble d'événements en marge de la décision de l'instance constitutive du parti Ennahdha de maintenir l'article premier de la Constitution dans sa version originale. On peut citer, à titre indicatif, le mouvement des gouverneurs et des délégués, l'interview avec le journal Le Monde du ministre de l'Intérieur, Ali Laârayedh, la rencontre de Rached Ghannouchi avec les responsables des médias locaux, l'adoption du programme économique et social du gouvernement pour l'année 2012, l'ouverture de la campagne de recrutement dans la fonction publique, ainsi que la rencontre annoncée pour le lundi 02 avril de Cheikh Rached Ghannouchi avec 400 hommes d'affaires. Ces actions ne constituent-elles pas la start-up de l'action du gouvernement composé autour d'Ennahdha et la fin de la phase d'observation ? Le parti Ennahdha a habitué les observateurs de la scène politique en Tunisie par la multiplication des manœuvres avant d'entrer en action, période de stage en gouvernance oblige. Histoire aussi de tester les réactions sur le terrain avant de plonger, pour une meilleure estimation des risques. Ce parti, tronc vertébral de la Troïka au pouvoir, s'est donc donné 100 jours pour définir les éléments de sa stratégie d'action, avant de se décider à se lancer sur le terrain, en essayant de mettre tous les atouts de son côté et de réduire, au maximum, le champ d'opposition à son programme. Ainsi, il est clair que le check-up a diagnostiqué une peur évidente de l'instauration de la Chariâa, aussi bien chez l'élite à l'intérieur du pays que chez les partenaires de la Tunisie à l'étranger, des difficultés dans la communication avec les médias, des réserves et de l'attentisme chez les hommes d'affaires, certaines faiblesses dans les relais régionaux et locaux de l'administration gouvernementale, et bien d'autres signes dont il faut tenir compte lors de la définition du programme d'action du gouvernement, en 2012, année charnière pour évaluer ses prestations. En guise de réponse à ce diagnostic, Ennahdha a dressé un plan d'action dont le signal de départ était l'annonce faite le 25 mars dernier par son instance constitutive de maintenir l'article premier de la Constitution dans sa version originale. Cette décision a été prise suite au constat clairement exprimé par Cheikh Rached Ghannouchi, lors de sa conférence de presse du 26 mars lorsqu'il avait dit que ‘le peuple est divisé concernant l'application de la Chariâa' et, notamment, ‘l'élite n'est pas avec l'application de la Chariâa. Or, une société ne peut pas avancer sans l'apport de son élite'. Cette décision vient également en réponse aux réserves exprimées à l'étranger par rapport à la question de la Chariaâ. En effet, si le parti Ennahdha et le gouvernement Jebali ont trouvé des échos quasi-favorables à l'étranger, c'est parce que leurs dirigeants n'ont cessé de multiplier les assurances concernant l'aspect civil de l'Etat et, même, à travers la lecture du programme électoral du mouvement Ennahdha, qui ne parle nullement de l'application de la Chariâa. En plus, dans la rue, les manifestations du camp civil s'étaient multipliées avec une grande présence populaire et une large couverture médiatique. Ennahdha ne saurait prétendre que ‘la Chariâa est une réclamation de la société', comme l'ont laissé entendre quelques uns de leurs dirigeants. D'où la décision de convoquer l'instance constitutive du parti, pour trancher solennellement la question et la médiatiser à l'échelle internationale d'une manière qui lève toutes les équivoques. Par ailleurs, ce n'est pas un hasard si le ministre de l'Intérieur, Ali Laârayedh, a accordé une interview au journal ‘Le Monde', pour annoncer que ‘l'affrontement avec la fraction radicale des salafistes est inévitable', dans la foulée de la décision concernant la place de la Chariâa dans la Constitution. Le parti Ennahdha et le gouvernement Jebali veulent capitaliser dessus, pour atténuer les réserves de l'étranger. En plus, signe de l'importance de ce moment pour le mouvement Ennahdha, c'est Rached Ghannouchi, lui-même, qui prend les rênes de l'action. Il a déjà appelé, jeudi 29 mars, les responsables des médias à une rencontre cordiale pour discuter franchement de la situation prévalant dans le pays et le rôle des médias. Ghannouchi est conscient que l'affrontement ne sert pas les deux camps. Malgré toutes les critiques des responsables gouvernementaux concernant l'acharnement des médias, ils ne peuvent pas ignorer les hauts chiffres d'audience du journal de 20 heures de la télévision nationale. Vaudrait mieux calmer le jeu en cette phase où le gouvernement, son gouvernement, lance son programme économique et social pour 2012. Il ne s'agit pas uniquement de ménager les médias, il y a également un besoin d'amadouer les hommes d'affaires, très prudents et ne voulant pas se lancer dans l'investissement. Or, il n'y aura pas de création d'emplois sans la création de projets. D'où l'intérêt d'impliquer cette catégorie de la population, quitte à faire des transactions avec ceux qui ont été impliqués avec le régime déchu, comme l'a déjà annoncé le ministre des Finances. A ce niveau et vu que les propos du chef du gouvernement provisoire n'avaient pas abouti, c'est le Cheikh Rached, en personne, qui s'attelle à la tâche. Il a donc appelé à une rencontre avec 400 hommes d'affaires pour le lundi 02 avril, afin de les tranquilliser. C'est surtout pour acquérir la confiance de ces catégories sociales que le dirigeant d'Ennahdha s'affiche au devant de la scène. Il veut montrer à tous que les positions exprimées par le gouvernement Jebali ne le sont pas par compromis avec les partis CPR et Ettakatol. Mais, le parti Ennahdha défend les mêmes valeurs libérales, démocratiques et tolérantes. Rached Ghannouchi avait déjà proclamé ça à son retour, les avait répétées pendant la campagne électorale et il tient à les rappeler lors de l'exercice du pouvoir. Concernant les musulmans rigoristes, les salafistes jihadistes, Rached Ghannouchi est, également, sur le front. Il était à la cité El Khadhra à Tunis, vendredi 30 mars, pour défendre le projet civil de l'Etat. Au-delà du dépassement constaté des recommandations du ministère des Affaires religieuses concernant l'éloignement du débat politique dans les mosquées, le leader d'Ennahdha est descendu sur le terrain pour combattre les salafistes sur leur terrain. La mosquée de la cité El Khadhra est l'un de leurs fiefs à Tunis. Il est clair que c'est l'heure de la grande bataille pour la réussite du programme économique et social du mouvement Ennahdha et du gouvernement de la Troïka. C'est Rached Ghannouchi, lui-même, qui descend sur le terrain pour haranguer ses troupes et leur montrer la voie à suivre.