Par Nizar BAHLOUL On se regarde, on s'observe et on essaie de deviner quelles sont les cartes de l'adversaire. Un adversaire coriace qui a plus d'un tour dans son sac. L'adrénaline monte, l'adversaire semble confiant, rassuré et déterminé. Il faut le bluffer, question de le déstabiliser. Alors bluffons. Bluffons les nôtres, question de leur donner de la confiance. Bluffons les autres, question de casser leur détermination. Plus c'est gros, plus ça marche. Plus tu bluffes, plus tu as de chances de gagner. La Tunisie, en attendant de devenir un ring de boxe (cela ne saurait tarder), ressemble à une salle de poker où l'odeur de la sueur, mélangée à la puanteur du tabac, donne un air nauséabond, vue de l'extérieur. A Ennahdha Ils sont les rois de la diversion et du bluff. A la différence de tous les autres partis, les militants et dirigeants d'Ennahdha sont très disciplinés. Ils mènent les pires guerres fratricides entre eux, mais rien ne transparait. De dehors, on les voit unis menant un seul discours. Et quand on mène un seul discours, on arrive à convaincre, ou plutôt à bluffer, les troupes. Le bluff reste la stratégie classique, quand on n'a pas de bonnes cartes en main. Le dernier bluff en date est celui de la privatisation de la Télévision nationale. Depuis quelques jours, on ne parle que de cela. Partout dans le monde, et à l'exception de quelques très rares pays, il y a des télévisions publiques qui ont une mission bien déterminée de service public. Comme son nom l'indique, un service public est là pour servir le public. Mais, grâce à son bluff, le gouvernement Ennahdha a laissé croire aux siens qu'un service public doit servir le pouvoir. Et ça a marché! Le «peuple» fait, depuis des mois, un sit-in devant la Télé pour anéantir ces médias de la honte qui desservent le pouvoir. Et personne ne s'interroge sur le «gouvernement de l'ombre» qui paie le séjour pension complète de ces sit-inneurs. Face à la résistance des «journalistes-militants» de la Télé, Ennahdha a sorti une autre carte, celle de la privatisation. Encore un bluff, car aucun (absolument aucun) investisseur n'est assez fou pour racheter cet établissement. Pourquoi le ferait-il? Il suffit de lire le rapport de la Cour des comptes pour s'enfuir. Et pourquoi achèterait-on un «média de la honte», ayant une sale image, quand on peut s'offrir un média neuf ayant une image vierge? Mais comme les dirigeants ont parlé de privatisation, les «perroquets» ont tous péroré derrière : «il faut privatiser, allons vers un référendum!». Plus c'est gros, plus ça marche! Les RCDistes Ils sont là, ils sont encore là, ils ne veulent pas quitter, ils ne veulent pas lâcher. Les bluffeurs d'entre eux ont réussi à se refaire unevirginité. On les appelle les «RCDistes» propres et on les voit au palais du gouvernement et de la présidence à Carthage. Encore quelques mois de bluff et on pourrait les voir occuper des postes de ministres et jouir de toutes les largesses du pouvoir. Les autres, ceux qui n'ont pas retourné leur veste, on les appelle les «RCDistes» sales. Il faut les faire taire, en les menaçant d'exclusion de l'action politique, sans autre forme de procès. Parmi les reproches qu'on faisait à Ben Ali, c'est l'exclusion de ses opposants en usant des lois, voire même de la Constitution, et ce gouvernement de «révolutionnaires propres» est en train de faire pareil. Si le gouvernement est sérieux avec ses propos d'exclure les RCDistes, c'est qu'il est donc en train de bluffer tout le monde en nous parlant de justice indépendante, d'Etat de droit et de légalité. Dans une démocratie véritable, les opposants, on les combat avec les urnes et non avec des lois. Béji Caïd Essebsi On attendait sa proposition depuis des semaines, comme on attend un messie venu sauver son peuple. On l'a annoncé pour mercredi, puis pour jeudi et, finalement, son appel tant attendu a été rendu public vendredi en fin de journée. A le lire, il n'y a quasiment rien de nouveau par rapport à sa déclaration du 26 janvier. Béji Caïd Essebsi veut donner l'image du vieux renard de la politique et, en bon vieux renard, il sait qu'il faut bluffer. Sa déclaration du 26 janvier a été bluffante, mais sa durée d'utilisation était limitée dans le temps. Il fallait lancer ensuite l'idée d'un grand parti rassembleur capable de contrecarrer la troïka, question de laisser les gens en haleine. L'idée était séduisante et tout le monde attendait la suite pour cette semaine. Finalement, c'était du bluff, il n'y avait rien de concret dans son appel du vendredi 20 avril. Et c'est reparti pour le prochain tour! Faut-il continuer à croire en BCE ? Lui qui, le 23 octobre 2011, n'a rien vu venir du raz-de-marée islamiste ? Ou faut-il faire confiance à la politique des étapes bourguibienne où le bluff et l'efficacité font bon ménage ? Au CPR Abderraouf Ayadi est publiquement humilié. Trois hauts responsables de la présidence de la République quittent le palais de Carthage, à bord de leurs limousines, pour assister à une conférence de presse dont l'objet est de limoger le secrétaire général du CPR. Le même qui, durant les années de plomb, a subi les turpitudes de Ben Ali, lorsque ces mêmes hauts responsables ont pris la poudre d'escampette pour aller vivre en France. Comme un Kleenex, il a été jeté après utilisation au motif qu'il était indiscipliné. Les gars de la présidence, grassement payés par le contribuable, n'ont pas mieux à faire que de se mobiliser contre Abderraouf Ayadi. Le limogeage du SG du CPR devient une priorité nationale! Abderraouf Ayadi est un bon bluffeur, il a laissé miroiter qu'il a, de son côté, l'essentiel des militants du CPR. Après son limogeage, il laisse entendre qu'il pourrait créer un nouveau parti qui videra le CPR. Que vise-t-il? A quoi pense-t-il le matin en se rasant? Quoi qu'il en soit, la galerie est occupée par le match opposant l'ancien «exilé» devenu président à l'ancien persécuté devenu déchu. Le reste de l'opposition Pas assez mûre, pas encore majeure pour jouer au poker. Le reste de la population