Par Mustapha BAAZAOUI Les élections du 23 octobre 2011 ont mis à nu les familles et les groupes politiques de la Tunisie d'après-14 Janvier. La tendance traditionnelle centriste a triomphé avec le mouvement Ennahdha en tête. Ce résultat, bien qu'il traduise un choix populaire, n'était pas suffisant pour qu'il soit mandat à l'exercice de la fonction suprême du pays. La Troïka était en quelque sorte une solution d'un pouvoir à trois têtes. Une formation politique qui s'efforce de tenir les rênes du pays sans vraiment pouvoir les tenir puisque tout est au conditionnel. La Troïka et, derrière, Ennahdha : l'amateurisme politique Ce qui caractérise les nouveaux nantis de l'Etat c'est avant tout leur parcours militant. Tous étaient d'une manière ou d'une autre à l'avant-garde des opposants au régime de Bourguiba et de Ben Ali. Ils n'ont jamais résigné face à la brutalité et étaient fidèles au dernier moment à leurs principes. Leur détermination face au despotisme, à la dictature et à la corruption n'ont pas failli. Toutefois, ces diplômés ne font pas forcément des hommes d'Etat, surtout que depuis 50 ans, le régime en place n'a jamais accepté la participation de ses rivaux dans l'appareil de l'Etat. Notre classe politique en place manque par définition d'expérience et de « stage » en matière de gestion politique. Ils sont encore des opposants qui gouvernent et non pas des opposants qui ont accédé au pouvoir. Ils apprennent au jour le jour, avec tous les risques encourus. Un de leurs plus grands handicaps c'est la communication, alors que le pouvoir est, avant tout, communication par excellence. Ils n'arrivent pas jusqu'ici à gagner la sympathie d'un seul support médiatique, même les supports publics leur échappent. Et tant que les médias de masse leur échappent, ils doivent être sûrs que toutes leurs réalisations risquent de se neutraliser le lendemain. Les médias publics doivent être au service de la République, et adhérer aux objectifs du gouvernement en exercice. Dans tous les pays du monde et à n'importe quel moment, le gouvernement en exercice est seul responsable du sort de la République. En conséquence, ces médias de masse ne peuvent en aucun cas échapper aux directives du gouvernement dans le cadre du respect de la légalité et de l'éthique de la profession journalistique. Mais que ces supports publics prennent leurs distances du gouvernement et agissent comme s'ils étaient des ONG est une aberration purement tunisienne ! L'adhésion des médias publics, et de toutes les structures de l'Etat, à tout gouvernement légitime est un devoir et fait partie intégrante de l'image du pays vis-à-vis de l'extérieur. Comment peut-on réclamer le respect et la collaboration de nos partenaires alors que le gouvernement en place est constamment harcelé et ne tient pas les rênes du pays ? La gauche tunisienne, de la lutte des classes à la lutte des places Le même constat peut être réitéré sur la gauche avec une différence assez grande, c'est que la gauche tire profit de sa culture syndicale. Cette culture protège ses militants d'être incriminés si à un moment ou à un autre ils ont composé avec les anciens régimes, et ils ne se justifient même pas. La gauche n'a pas froid aux yeux quant à la complicité de certains de ses symboles avec le régime Ben Ali ou celui de Bourguiba et ne se voit même pas concernée par ce parcours? Et les exemples ne manquent pas ! Le comportement de notre gauche est aussi invraisemblable. Elle s'attribue la démocratie, et trouve un grand plaisir de s'autonommer « la famille démocratique » mais se permet de réfuter les résultats des urnes et exige la concorde « pour l'exercice du pouvoir »! Elle n'hésite pas, non plus, à être au four et au moulin. Etre représentée à l'Assemblée constituante et se comporter comme une exclue de la vie politique dans la rue. Cette qualité d'assumer le double rôle est une particularité de la gauche tunisienne. On n'a pas vu les élus de la gauche française porter les débats du Parlement à la rue, ou faire usage des difficultés économiques et sociales des Français pour mettre à genoux Sarkozy lors de son mandat ! Les événements du 9 avril le prouvent, puisque miraculeusement, tout le monde oublie « la fête des martyrs » et célèbre « la chute » de l'avenue Habib-Bourguiba ! Aucun n'a incriminé le faux et l'usage de faux de cette date. Cela me rappelle un dicton juif qui dit qu'il y a 150 manières de prouver qu'un porc n'est pas un porc ! Ce qui nous amène à constater, à for-théorie, que l'appât du pouvoir excite la gauche et la lutte des places a pris la place de la lutte des classes dans son discours. La dernière est cette alliance « militante », sans scrupule, avec les familles destouriennes et RCDistes dans le seul objectif «stratégique » d'abattre le gouvernement de la Troïka (Ennahdha) ! D'ailleurs, la Troïka est sérieusement menacée par les éclatements et les dissidences qui secouent le CPR et Ettakatol? Et notre gauche oublie que ce discours a largement contribué à sa défaite aux élections du 23 octobre et va certainement regretter ces délabrements de la Troïka et ne doit pas se frotter les mains parce que ça ne fait que renforcer la crédibilité d'Ennahdha qui demeure la seule formation politique solide et scindée. Destouriens et RCDistes, de l'arrivisme à l'arrivisme Beaucoup commencent à croire que la « Révolution » est en quelque sorte un projet de retapage de la société et du régime politique. L'asthénie de la dynamique de la justice de transition et la lenteur, et l'absence même, ou le flou, dans le suivi des dossiers de la corruption ont fait croire aux barons du «Destour» et du RCD que ce peuple a déjà oublié leur parcours et leurs responsabilités dans le désastre que vit notre pays. Ils ne réalisent pas que la ruine est tellement profonde que leurs poursuites ou leur traduction devant les tribunaux n'est vraiment pas une priorité. Laisser les vrais problèmes du pays et s'occuper de la chasse aux sorcières est une autre subversion qu'il faut éviter, du moins à court terme. Les dossiers et les chantiers qui nécessitent des réformes et parfois des refontes ne se comptent pas… Mais toutes ces catastrophes n'ont pas suffi aux anciens du régime de les dissuader à prétendre à un rôle dans la construction de la nouvelle Tunisie, et quel culot ? L'école bourguibienne et celle de Ben Ali a magistralement réussi à mettre en place une élite de l'arrivisme et des quémandeurs du pouvoir, n'importe quel pouvoir. L'homme d'Etat modèle est un spécialiste dans la machination, les complots, les manœuvres et les manigances. Une classe politique armée de ces compétences n'aurait certainement pas de place dans le chantier de la nouvelle Tunisie. Il convient à ses « patronnes » de prendre congé, de s'éclipser et de se faire oublier au moins le temps que notre société soit désinfectée des abcès qu'ils ont laissé derrière. Mais celui qui a une obsession ne peut guère la dissimuler comme le dit le proverbe en arabe dialectal : «Illy fih tabba ma tetkhabba». Et le peuple dans tout ça ! Le peuple tunisien a toujours prouvé qu'il est en avance de phase sur son élite. D'ailleurs, son élite, qui a durant toute sa vie réclamé la démocratie, a prouvé qu'elle est incapable de la pratiquer. Est-ce que vous avez déjà vu les élus d'une Assemblée s'entre-déchirer dans la rue? A quoi donc auraient servies les élections et les institutions? Est-ce que la liberté de la presse conduit à déplumer le gouvernement en place et exhiber le pays à chaque occasion et à tout instant sur les plateaux des TV à travers les ondes des radios ? Est-ce que défoncer le gouvernement et s'entretuer à ciel ouvert contribue à embellir l'image de notre pays et participe à sa construction ? Est-ce que ce charabia et ce grabuge démocratique va nous amener les touristes et attirer les capitaux étrangers ? Est-ce que l'homme d'Etat « démocrate » s'oblige à poser nu pour satisfaire la vanité de son opposition ? Est-ce que l'opposition fait de la politique pour rempoter les prochaines élections ou pour mettre à genoux le gouvernement légitime, et transitoire en plus? A l'inverse, le peuple tunisien se comporte de la manière la plus démocratique au monde. Tous les citoyens commercent, travaillent, se déplacent et s'échangent les idées dans les cafés, les marchés et dans tous les lieux publics sans grandes difficultés. Il ne participe pas à des batailles rangées, chères à nos révolutionnaires. Il réclame le respect de la loi plutôt qu'il ne regrette l'absence de la police. Il se plaint de la cherté de la vie, mais sait pertinemment que c'est un Tunisien qui profite de la situation. C'est le boucher, le poissonnier, l'épicier, le vendeur de fruits et légumes, le transporteur, le mécanicien… tous profitent de l'effritement des organes de contrôle de l'Etat, celui-ci n'est responsable que par son absence et non par sa dictature ! Il sait aussi que malgré la légitimité des sit-in et des revendications, il y a trop de manipulations et d'argent sale derrière, qui participent à empirer une situation économique et sociale déjà puante. Mais une chose est certaine, ce peuple va encore une fois surprendre ceux qui doutent de son quotient intellectuel!