Suite au vote de la Loi fondamentale portant sur l'Organisation provisoire des pouvoirs publics, la priorité, annoncée par différents responsables au sommet de l'Etat, avait été mise sur l'élaboration des lois encadrant les médias, la magistrature, mais surtout celle relative à la mise en place d'une Instance indépendante chargée de l'organisation des élections. Partant du principe théorique selon lequel l'Assemblée constituante devrait achever ses travaux en un an, afin de laisser place aux prochaines élections prévues par la future Constitution, l'élaboration de ladite loi devrait se faire dans les plus brefs délais. Près de neuf mois après la tenue des premières élections « libres et transparentes » en Tunisie, aucun projet n'a encore été soumis à l'Assemblée constituante et le flou qui règne sur le contenu de la loi portant sur l'Instance électorale a créé une méfiance grandissante quant à la volonté du pouvoir en place à organiser ces prochaines élections, et éventuellement les suivantes, dans les meilleures conditions et en toute transparence. Le 26 avril et le 11 mai derniers, le chef du gouvernement et le président de l'Assemblée constituante avaient, tour à tour, annoncé leur intention d'adopter la loi portant sur la création d'une Instance électorale indépendante et permanente, dans les meilleurs délais. Une version officieuse de la loi, élaborée par des experts désignés par le gouvernement, avait, par ailleurs, été diffusée sur les réseaux sociaux et suscité de nombreuses critiques. Si la paternité de cette version n'a pas été confessée par le gouvernement Jebali, l'hypothèse du ballon d'essai est fortement envisageable et correspond à un procédé fréquemment employé par le pouvoir en place, Ennahdha en particulier. Cependant, à ce jour, aucune version « officielle » n'a encore été proposée à l'Assemblée constituante, ce qui inquiète particulièrement les représentants de la société civile, mais également des organismes internationaux, tels que le Centre Carter, basé en Tunisie afin d'observer le processus de la transition démocratique en vue des prochaines élections. Ainsi, le Centre Carter, qui avait déjà fait part, en mai dernier, de ses recommandations concernant la lenteur des travaux de l'Assemblée constituante, le manque de concertation avec la société civile et surtout le manque de transparence qui entoure l'ensemble de ces travaux, a publié cette semaine un rapport dans lequel il appelle de nouveau « au lancement rapide de consultations élargies » en vue de l'adoption d'une loi établissant l'Instance électorale. Dans ce rapport, et sur la base de la version officieuse du projet du gouvernement fuitée fin avril, le Centre Carter rappelle que d'autres propositions ont, depuis, vu le jour, notamment celle de l'ATIDE (Association tunisienne pour l'intégrité des élections), publiée le 29 mai dernier et présentée à la commission de l'Assemblée, et celle élaborée conjointement par l'UGTT, la LTDH et l'Ordre des avocats, présentée le 2 juin. Il apparait, à l'étude de chacune de ces propositions, et comme le souligne le Centre Carter, que ces propositions ont de nombreux points communs, tels que « le caractère indépendant et permanent de la future Instance électorale, son autonomie financière, le nombre de ses membres, ainsi que l'absence de représentants de partis politiques en son sein ». Le point de divergence essentiel concerne ainsi le mode de sélection des membres qui vont constituer cette instance. Sabina Vigani, la directrice du bureau du Centre Carter en Tunisie, a souligné, lors d'une conférence de presse tenue mardi 10 juillet 2012, qu'il n'existait pas de standards internationaux en la matière et que, selon les pays, les modèles d'Instances électorales varient « entre une composition politique, technique ou mixte », précisant que chacun des modèles a ses avantages et ses inconvénients. La recommandation du Centre réside donc dans la nécessité d'établir une transparence totale pour la désignation de ces membres, par des audiences publiques, afin de « renforcer la légitimité de la future instance ». Il apparait cependant que le principe de la transparence et de l'appropriation par les citoyens des différentes étapes du processus démocratique et de l'établissement des différentes instances, n'a pas été assimilé par le gouvernement, ni par l'Assemblée constituante, ce qui pourrait jeter le discrédit sur les décisions prises au sommet de l'Etat. L'exemple a été donné pour les deux autres secteurs nécessitant un encadrement et l'adoption d'une loi les régissant, celui des médias et celui de la magistrature. En l'absence de ces lois, et de la transparence requise pour ce type de processus, les décisions prises par le gouvernement concernant les nominations à la tête des médias publics ou encore la révocation d'un certain nombre de magistrats ont fait l'objet de nombreuses polémiques par le rejet des représentants des corps de métier concernés. Le sujet de la transparence fait l'objet, en ce sens, d'un débat houleux entre des représentants de la société civile, réunis dans le groupe « OpenGovTn » et les élus de la Constituante. Des promesses ont été faites, de la part de plusieurs députés siégeant à l'Assemblée, dans le sens de cette transparence revendiquée, mais celles-ci n'ont que très peu été suivies d'actes concrets. Un bras de fer qui s'est durci depuis la décision du même groupe de porter plainte contre l'Assemblée constituante, mais aussi suite aux propos de Lobna Jeribi sur Ettounissiya TV, affirmant que ce principe de transparence ne peut s'instaurer entièrement, dans l'immédiat, sans un changement de culture de part et d'autre. Mabrouka Mbarek, députée CPR, a quant à elle, fait part des pressions qu'elle subissait de la part d'autres élus, et des reproches que ces derniers lui exprimaient, pour avoir diffusé des informations jugées « secrètes ». L'aspect politisé de l'élaboration des instances précitées, dont celle organisant les élections, a également été déploré par différentes parties. La dernière déclaration de Mustapha Ben Jaâfar, affirmant que cette Instance serait adoptée avant le 6 août prochain, a été décriée par des représentants de l'opposition comme un dépassement des prérogatives du président de l'Assemblée constituante. Ahmed Néjib Chebbi a ainsi déploré le fait que ces décisions soient prises et annoncées unilatéralement, sans en référer à l'ensemble des élus. Le Centre Carter estime, pour sa part, que les dates (dont celle des prochaines élections) ne peuvent être fixées alors que la proposition du gouvernement n'a pas encore été publiée et que les consultations et les débats entourant cette future proposition n'ont pas encore été prévus. De nombreux observateurs craignent à ce sujet que la loi ne soit adoptée dans l'urgence, sans transparence, et que l'Instance ne soit composée de membres dont l'impartialité, la neutralité, la compétence et l'intégrité feraient défaut… jetant ainsi le discrédit sur la prochaine Instance et donc sur les élections à venir. Crédit dessin : Hic - El Watan Algérie. Monia Ben Hamadi