Après l'attaque meurtrière du Bardo, mercredi 18 mars, théories du complot et thèses conspirationnistes ont foisonné sur la toile et sur certains médias. Si la version officielle semble peu convaincante pour certains, d'autres n'hésitent pas à mettre leur grain de sel et à se faire passer pour des initiés quitte à nourrir les thèses les plus farfelues. Si à chaque attentat ses théories du complot, celui du Bardo ne déroge vraisemblablement pas à la règle. « L'attentat du Bardo n'a jamais eu lieu. Ce n'est qu'une mise en scène orchestrée par les autorités tunisiennes en coordination avec Federica Mogherini, haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne », écrivait Kaïs Maâlej sur sa page Facebook dimanche 22 mars. Selon cet ancien réfugié politique, le fait que les photos des dépouilles des touristes tués lors de l'attaque n'aient pas été rendues publiques prouve qu'aucun touriste n'est mort. En réalité, écrit-il, seuls les deux terroristes ainsi qu'un membre des forces de l'ordre sont morts lors de la fusillade. Si ce dernier a été utilisé par ses confrères comme un bouc-émissaire, les premiers ont été emmenés au musée et tués sur place par les forces de l'ordre pour faire croire à un attentat terroriste. En réalité, ce seraient selon lui, les agents de la BAT qui ont ouvert le feu à l'intérieur du musée.
L'auteur, à l'origine de cette thèse conspirationniste, n'est pas à son coup d'essai. Il est, en effet, connu pour avoir déjà nourri, sur les réseaux sociaux, ce genre de théorie sur différents autres sujets. Il ne cesse, par ailleurs, de clamer qu'une troisième guerre mondiale est imminente. Ce post Facebook a été sponsorisé, dit-il, afin d'avoir une plus grande audience et de faire propager cette idée selon laquelle les autorités tunisiennes et les renseignements américains seraient derrière la « mascarade » du Bardo.
Idem pour le journaliste controversé Maher Zid. Accusé d'être proche de réseaux terroristes et plus particulièrement d'Abou Yadh, leader du groupe Ansar Chariâa, Maher Zid a remis en question la thèse donnée par les forces de l'ordre. Dans une publication postée sur les réseaux sociaux au lendemain de l'attentat, il demande aux autorités de s'expliquer sur le nombre important de victimes de l'attentat du Bardo. « Ont-ils été tués par les armes des terroristes ou par les balles de nos forces de l'ordre ? », écrit-il soutenant que les victimes auraient pu être assassinées par les forces de l'ordre tunisiennes. Une publication qui a vite fait d'attirer l'ire du syndicat de la sûreté républicaine qui l'a appelé à s'excuser dans un délai de 24h et menaçant, à défaut d'obtenir ses excuses, de porter plainte contre lui.
Par ailleurs, le journaliste d'Al Jazeera, Fayçal al Kacim, y est aussi allé de sa théorie sur la question. Selon ses dires, les terroristes sont toujours une cible facile à chaque fois qu'un attentat est commis. Le journaliste n'exclut pas, en effet, que des appareils sécuritaires soient derrière cette attaque.
Tout comme Yassine Ayari avait tiré sur l'Armée en 2011 après la chute de Ben Ali, les forces de l'ordre sont aujourd'hui visées à leur tour. Ce genre de théories, visant à déstabiliser la version officielle donnée par les autorités tunisiennes, et donc de les affaiblir, foisonnent. Tentant d'expliquer un grand événement national choquant pour une société ou complexe à assimiler pour un citoyen lambda, les conspirationnistes, se faisant passer pour des « initiés », donnent leur version de la réalité aux profanes. Des versions plus excitantes que celles officielles, jugées non suffisamment palpitantes. Les complotistes essayant, ainsi, d'exploiter un drame national afin de servir une notoriété auprès d'un public auquel ils dévoilent une vérité, à leurs yeux plus critique que celle formulée par les officiels, politiques et médias. Ce qui se passe en Tunisie aujourd'hui ressemble à la frénésie complotiste post-11-Septembre où plus de la moitié des américains (sondage Ifop) ont préféré rejeter la thèse terroriste et accuser, plutôt, une entité sioniste d'avoir touché les deux tours jumelles du World Trade Center.
En réalité, les théories conspirationnistes, qui se nourrissent d'une division de la société et d'une certaine fragilité, ont pu fermenter à cause de l'existence de failles dans les informations officielles.Ainsi, ont été pointés du doigt les habits des terroristes, qui étaient cagoulés selon certains témoins puis habillés en civils selon les images officielles du MI. On dénonce également le nombre de terroristes, dont on en annonce officiellement 3 mais qui seraient plus nombreux selon d'autres versions. Le grand cafouillage sécuritaire qui a eu lieu ce jour-là a permis aux hurluberlus de donner vie à leurs fantasmes conspirationnistes nourris par la brèche créée par les versions contradictoires, initialement données par les forces de l'ordre en pleine opération.
Les discours conspirationnistes seraient « dangereux » selon les spécialistes du conspirationnisme car ils visent, généralement, à désigner des bouc-émissaires et sont porteurs de messages de haine et d'exclusion. En Tunisie, les bouc-émissaires sont les forces de l'ordre qu'on accuse, non seulement de ne pas avoir bien fait leur travail, mais d'être aussi partie prenante du terrorisme et, pire encore, d'être derrière l'attentat du Bardo. Alors qu'il aurait pu unifier une Tunisie déjà en proie aux divisions, l'attentat du Bardo ouvre la brèche à une exclusion encore plus improbable et c'est là que réside le vrai danger…