La Tunisie fête, lundi 25 juillet 2016, le 59ème anniversaire de la proclamation de la République par Habib Bourguiba, le 25 juillet 1957. Comment est né le régime républicain en Tunisie et dans quelles circonstances ? Et quel cheminement a suivi ce système depuis son instauration ? Retour sur les moments ayant précédé et suivi cette décision historique et déterminant pour l'avenir du pays. Des péripéties bonnes à savoir, notamment pour les jeunes générations qui n'ont pas une idée concrète d'un événement exceptionnel, à plus d'un égard.
Au départ des tractations pour l'indépendance de la Tunisie, rien ne laissait prévoir un changement au niveau du statut du régime politique dans le pays et qui était régi, jusque-là, par celui de monarchie absolue.
En effet, alors que le leader Habib Bourguiba faisait un retour triomphal à La Goulette le 1er juin 1955, le Premier ministre et président du Conseil tunisien, Tahar Ben Ammar, signait à Paris le3 juin 1955, avec le ministre français des Affaires étrangères Christian Pineau, le protocole confirmant l'indépendance de la Tunisie. A relever qu'avant la proclamation effective de l'indépendance, on enregistrait le17 septembre 1955, pour la première fois depuis 1874 ans, un gouvernement composé exclusivement de Tunisiens.
C'est le 20 mars 1956 qu'un nouvel accord abroge le traité du Bardo de 1881 et reconnaît la Tunisie comme étant une monarchie constitutionnelle entièrement souveraine. Puis, par petites touches, la nouvelle classe gouvernante mettait en place les signes précurseurs du régime républicain. Les premières élections législatives de l'histoire tunisienne ont été organisées, donnant lieu à une large victoire au Néo-Destour, puis de l'élection d'Habib Bourguiba en tant que président de la première Assemblée nationale tunisienne, avant d'être nommé Premier ministre le 11 avril 1956.
Il faut reconnaître que le pouvoir effectif avait été déjà affaibli par le protectorat français à partir de 1881, mais c'est après l'indépendance de la Tunisie, proclamée en 1956, que les beys perdent définitivement leur pouvoir, qui est déjà passé de fait, dans les mains du parti du Néo-Destour d'Habib Bourguiba. L'éphémère Royaume de Tunisie proclamé en 1956, est très vite chassé par la république, proclamée à son tour le 25 juillet 1957. Elle abolit ainsi tout pouvoir monarchique. Le processus a suivi, toutefois, un certain cheminement et des étapes allant crescendo selon l'approche préférée et fétiche du Leader.
Trois jours seulement après l'indépendance, une assemblée constituante est élue en application du décret du 29 décembre 1955 pris sur proposition du Premier ministre Tahar Ben Ammar. Elle a pour but d'élaborer une nouvelle Constitution que le souverain Lamine Bey s'engage alors à promulguer sans modification. Nommé Premier ministre en 1956, Habib Bourguiba acceptait dans un premier temps de gouverner sans régner. Au cours des premiers mois de son gouvernement, il manifestait au souverain une certaine considération et menait son action gouvernementale dans la pure tradition de la cour beylicale, imposant la délibération des décrets en Conseil des ministres et leur présentation à la sanction du souverain lors de la cérémonie du sceau qui se déroule au palais beylical tous les jeudis.
C'est ainsi que le bey apposait son sceau sur un certain nombre de décrets réformateurs qui versaient, tous, dans le sens de l'évènement du régime républicain. Qu'on en juge : -31 mai 1956 : abolition des privilèges des princes et princesses ; -2 août 1956 : définition du régime juridique de la nationalité ; -13 août 1956 : mise en place du Code du statut personnel qui donne aux femmes un statut émancipé dans le monde arabo-musulman -6 septembre 1956 : institution de l'Ordre de l'Indépendance; -18 juillet 1957 : abolition du régime des Habous privés et mixtes représentant plus du tiers des terres cultivables en Tunisie.
Une semaine plus tard, soit le 25 juillet 1957, la monarchie était abolie par la constituante. Bourguiba en était désigné président provisoire dans l'attente de l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, promulguée le 1er juin 1959 Pourquoi cette option pour le régime républicain, alors que Bourguiba semblait attaché, ou du moins respectueux, de celui monarchique représenté par la dynastie des Beys husseinites ?
Une conjonction de plusieurs facteurs se trouverait à l'origine de cette option qui a changé le cours de l'histoire de la Tunisie. Les observateurs et les historiens répertorient un certain nombre de causes dont notamment : -Les Tunisiens n'ont jamais perdu de vue que la dynastie n'est pas authentiquement tunisienne avec un fondateur, Hussein Ier Bey, qui serait un «renégat chrétien d'origine grecque ». En réalité, il est un Koroghlu, c'est-à-dire qu'il est issu du mariage d'un Grec converti à l'islam et d'une Tunisienne ; -La dynastie husseinite est « faible parce que commandée par des monarques souvent vieux et impotents -La dynastie s'est compromise avec l'occupant français « pour la sauvegarde d'un semblant de pouvoir » -Naceur Bey, menaçant d'abdiquer en 1922 si les revendications destouriennes ne sont pas entendues par le résident général Lucien Saint, se voit répliquer par celui-ci : « Cinq minutes suffisent pour ramener le drapeau qui flotte sur votre palais, le remplacer par celui de la république et pour annexer votre pays à l'Algérie ! -En 1943, les généraux Henri Giraud et Alphonse Juin déposent Moncef Bey.
Ainsi, constatant que la dynastie représente plutôt un frein à l'émancipation de la société tunisienne, la classe politique conduite par le Néo Destour et son chef charismatique, Bourguiba, qui va s'atteler à la construction d'un Etat moderne s'articulant autour de trois principaux axes, en l'occurrence politique et social, culturel et éducatif.
Sans perdre de temps, les principales institutions ont été tunisifiées comme la sûreté intérieure et extérieure, la magistrature, l'information, l'appareil diplomatique et l'administration. Les nouveaux corps des gouverneurs et des délégués sont créés et les fonctionnaires français sont remplacés par des fonctionnaires tunisiens. Et bien que l'islam reste la religion d'Etat, le pouvoir des chefs religieux est grandement réduit.
Depuis, ce régime a connu, sous le règne de Bourguiba et de Ben Ali, de nombreuses entorses avec un pouvoir despotique, dictatorial allant jusqu'à imposer la présidence à vie avec Bourguiba et une approche similaire de facto avec Ben Ali suite à des amendements successifs, sur mesure, de la Constitution.
Après l'avènement de la Révolution du 14 janvier 2011 et l'instauration d'un pouvoir transitoire avec un Marzouki dépassé par les événements et dominé par Ennahdha, les élections de fin 2014 ont amené ce qu'on appelle la Deuxième République présidée par Béji Caïd Essebsi qui s'acquitte de sa mission dans le cadre d'une Constitution qui ne lui confère pas de très larges prérogatives.
Mais jouant sur son personnage charismatique, BCE semble empiéter, à maintes reprises, sur ladite Constitution alors qu'il justifie ses comportements par la sauvegarde de l'intérêt supérieur du pays qui exige, parfois, des initiatives à titre exceptionnel ou des propositions dont on citera, notamment, celle de la réconciliation nationale économique et financière et de la formation d'un gouvernement d'union nationale qui lui ont valu et lui causent, encore, les réactions les plus mitigées.