Le droit n'est pas toujours justice. Voilà une notion difficile à comprendre mais pourtant bien réelle. C'est comme dire que très peu de chose différencie Ennahdha et Nidaa Tounes, c'est difficile mais c'est la vérité. Après toute la polémique qui a suivi le jugement en première instance de l'affaire Lotfi Nagdh, il convient de rappeler que le juge ne fait qu'appliquer des textes sur des situations. Evidemment, il y a une grande part de subjectivité de la part du juge, c'est pour la limiter qu'ils sont cinq. Bien sûr, il ne s'agit que du premier degré de juridiction, le jugement peut être repris plus tard. Certes, le juge fait son travail en son âme et conscience, mais si tous ont des âmes certains sont dépourvus de conscience. Et clou du spectacle, il s'agit d'une affaire d'opinion publique et politique. Un certain Maher Manaï croupit toujours en prison alors qu'il est prouvé qu'il est innocent, mais lui, tout le monde s'en fout.
Donc, forcément, l'application stricte du droit n'équivaut pas toujours à la justice comme on pourrait se l'imaginer de manière instinctive. Mais évitons de nous perdre dans ces considérations et restons aussi terre-à-terre que l'est la situation dans notre pays. Le très respecté juge Ahmed Souab a prononcé hier une phrase éclatante de vérité : « Si les bandits et les corrompus disent sans broncher et sur les plateaux télé qu'ils ont confiance en la justice, alors la magistrature a un problème et elle est corrompue ! ». Voilà un juge dont l'intégrité ne fait aucun doute qui avoue, sans concession, l'existence d'un problème avec la justice de ce pays. Par conséquent, tous les baltringues qui parlent d'avoir confiance en la justice et qui conseillent à la veuve Nagdh de s'armer de patience et de garder la foi devraient avoir au moins la décence de ne pas surfer sur la souffrance d'une pauvre femme qui n'a rien demandé à personne.
Passons maintenant à la politique. L'actuel président de la République, Béji Caïd Essebsi, en avait fait des tonnes sur la mort de Lotfi Nagdh. Il avait dit que ceux qui prétendent qu'il est mort d'une crise cardiaque sont des « menteurs et des infâmes ». Il avait accusé Ennahdha d'être à l'origine de ce meurtre, mais il s'est allié à eux, plus tard, pour « sauver le pays ». Il avait juré de toujours défendre la cause de Houda Nagdh mais aujourd'hui il est absent. Il est président de la République diriez-vous. Il est intéressant de rappeler la composition du comité de défense de Lotfi Nagdh, voici les noms : Béji Caïd Essebsi, Lazhar Karoui Chebbi, Abdessatar Ben Moussa, Chaouki Tabib, Abada Kefi, Lazhar Akremi, Abdelaziz Mzoughi, Saïda Garrach, Radhia Nasraoui, Abdennaceur Aouini, Bochra Belhaj Hmida, Mokhtar Trifi, Hassen Ghodhbani, Taoufik Bouderbala, Chokri Belaïd et Faouzi Ben Mrad. Outre les deux derniers noms, qui sont morts depuis, combien de ces noms se sont déplacés à Sousse hier pour le jugement en première instance ?
De l'autre côté, il y a les gens d'Ennahdha. Leur monsieur « Justice », Noureddine Bhiri, a dit hier que le mouvement ne commentait pas les décisions de justice. C'est peut-être nouveau comme décision, mais en tout cas, ce n'était pas le cas en 2014 quand le lundi 14 avril Ennahdha publiait un communiqué pour exprimer sa « consternation » suite au verdict rendu dans l'affaire des martyrs et blessés de la révolution. A l'époque, Ennahdha appelait à tenir un procès équitable qui pourrait « rétablir l'honneur des familles des martyrs ». Mais il faut dire que le pouvoir attendrit les mœurs et Ennahdha, aujourd'hui, se refuse à tout commentaire, comme une junkie refuserait une cigarette.
Enfin, il y a les têtes ! Les résidus des LPR et les anciens chanteurs d'opérette devenus journalistes engagés étaient de la fête pour célébrer la libération des assassins présumés. Il y a aussi le degré un petit peu plus évolué où l'on trouve des avocaillons pleurnichards. Eux, ils sont trop contents de retrouver enfin une tribune d'où on peut les revoir puisqu'on ne les invite même plus aux soirées chez les ambassadeurs. Soirées pour lesquelles ils venaient les premiers pour cirer le maximum de chaussures. Et puis il y a Moncef Marzouki. Après avoir vigoureusement condamné le meurtre de Lotfi Nagdh dans l'une de ses rares déclarations sensées en tant que président, voilà qu'aujourd'hui il se dit « heureux » du verdict prononcé et demande à ce que ce verdict soit « un point de départ pour mettre un terme au danger de la violence politique ». Donc, on va lyncher un gars dans la rue, on innocente les coupables en dépit de tout bon sens, et après, on dit stop à la violence ! Il faut être Moncef Marzouki pour la sortir celle là…
En gros, tout le monde a profité de la mort de ce pauvre Lotfi Nagdh. En fait, ce verdict n'est une catastrophe que pour quelques personnes dont sa pauvre femme. Mais pour le reste, tout le monde est gagnant. Maintenant, il est vrai que ce genre de nouvelles peut être décourageant pour toute personne qui souhaiterait s'engager en politique. Mais il vaut mieux être désespéré que mort, car attention : le consensus tue.