A l'actualité de la semaine, des fuites de toutes parts. S'il n'y a pas d'inondations à cause de pluies diluviennes, on a droit à un déluge de bêtises politiques et judiciaires qui font dire à tout un chacun « finalement, c'était mieux avant, sous la dictature ! ». Il y a une semaine, dans ces mêmes colonnes, je saluais la fermeté du chef du gouvernement après avoir limogé Abid Briki, ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance qui a menacé de démissionner. L'autoritarisme bien dosé de Youssef Chahed était celui d'un chef, un vrai. Et la Tunisie a besoin d'un chef, un vrai. J'aurai dû me taire, car Youssef Chahed n'a été chef que pour 72 heures. Le temps d'un week-end. Le successeur désigné Khalil Ghariani cède aux pressions, jette l'éponge et son « chef » le suit dans la foulée et renonce carrément à tout le département ministériel. Face à l'UGTT, cette centrale syndicale toute puissante dont est issu Abid Briki, le chef du gouvernement a préféré se déculotter en supprimant tout bonnement le ministère. Que va-t-on faire demain si le ministre de la Défense renonce à son poste ? Imagine-t-on supprimer le ministère de l'Education si Néji Jelloul cède aux pressions mille fois plus puissantes que celles subies par Khalil Ghariani et Youssef Chahed réunis ?
L'idéal serait au fait de supprimer la présidence du gouvernement et le poste de chef du gouvernement qui n'a de chef que le nom. Un pays comme le nôtre a besoin d'un chef, un vrai, et la place de ce chef est le palais de Carthage et non la Kasbah. Or, au vu de la constitution actuelle telle qu'elle nous a été « imposée » par Sonia Ben Ali Toumia, Aymen Zouaghi et Habib Ellouze, il n'est pas possible d'avoir un chef à Carthage et un « chefton » à la Kasbah. Le premier possède la légitimité électorale mais n'a pas les prérogatives officielles du chef, le second possède bien les prérogatives officielles, mais vu qu'il est désigné par les chefs de partis, il ne pourrait jamais avoir le charisme et l'autoritarisme du chef. Tant qu'on n'a pas admis que notre constitution est défaillante et ne permet pas de gouverner, tant que nous continuerons à avoir des problèmes politiques majeurs handicapant toute possibilité de réforme et d'essor. Partant de là, on multipliera les déculottées. La dernière date de ce week-end avec cette photo honteuse de négociations entre les représentants du gouvernement et les syndicats de l'enseignement en l'absence de Néji Jelloul. L'UGTT a imposé le retrait du ministre et le gouvernement a accepté. En matière de déculottées, on peut difficilement faire plus humiliant.
Le 15 novembre 2016 est une date noire dans les annales de la justice tunisienne. Ce jour-là, on a décidé de libérer les assassins présumés de feu Lotfi Nagdh, lynché à mort le 18 octobre 2012. Son lynchage était filmé, ses lyncheurs étaient authentifiés, mais la justice a décidé que le martyr n'avait pas d'assassin. Polémique, scandale, soutiens de toutes parts y compris des juges eux-mêmes qui trouvent le verdict déséquilibré, mais cela n'a rien changé à la donne. Cinq mois après, en dépit de l'appel, les coupables continuent à jouir de leur liberté. Le 15 juin 2016 est une autre date noire dans les annales de la justice tunisienne. Le chef du bureau de poste de la ville de Tozeur, Ahmed Ben Othman reçoit un coursier missionné par le substitut du procureur de la République près du Tribunal de Tozeur pour récupérer du courrier. A défaut de présenter une procuration spécifique, et conformément à la loi, l'agent postal refuse de remettre le courrier. Le substitut du procureur furieux, le fait alors convoquer puis le fait traduire devant le juge cantonal qui émet immédiatement un mandat de dépôt. Quelques heures plus tard, M. Ben Othman est arrêté et placé en garde à vue. Polémique, grosse polémique. Les postiers entrent en grève générale en soutien à leur collègue détenu injustement. Médias, politiques, syndicats,avocats et même magistrats dénoncent l'arbitraire. Une semaine après, le postier est libéré. Neuf mois après, on n'a toujours pas d'écho sur une quelconque sanction du substitut en dépit de son zèle avéré. Le3 mars 2017 est encore une date noire dans les annales de notre justice. Trois ministres de Ben Ali sont condamnés dans l'affaire dite de Mariah Carey à six ans de prison ferme. Dans cette même affaire, un coursier dont le seul crime est d'avoir remis les tickets du concert, a subi la même condamnation ! Un jour plus tôt, Habib Ben Yahya ancien secrétaire général de l'Union du Maghreb Arabe, ancien ministre des Affaires étrangères, ancien ministre de la Défense, est condamné à cinq ans de prison ferme. Son crime ? En sa qualité de ministre de la Défense, il a signé en 1997 les documents permettant la cession d'un terrain militaire à Zine El Abidine Ben Ali (à l'époque président tout puissant de la République) pour construire sa résidence principale à Sidi Dherif.
Il n'y a eu ni enrichissement personnel, ni mort d'homme, ni même victime. Toutes ces affaires sont purement politiques déclenchées au lendemain de la révolution. Règlement de comptes ? Ça y ressemble ! La justice peut-elle se permettre des règlements de compte ? Non et au grand jamais non ! Pas dans une démocratie, pas dans un Etat qui se respecte en tout cas. Mais comme notre Etat est dirigé par un chef qui se déculotte devant un syndicaliste, il n'est pas surprenant de voir un juge régler ses comptes avec un homme d'Etat. Les ministres condamnés ont servi l'Etat. Quand bien même ils auraient eu à servir un dictateur (de gré ou de force ou par intérêt), ils ont quand même servi l'Etat. Samira Khayache, alors ministre de l'Equipement, a mouillé sa chemise pour goudronner des routes vers des régions désenclavées. Tijani Haddad a mouillé sa chemise pour remplir des centaines d'avions de touristes. Kamel Haj Sassi a mouillé sa chemise pour aider des milliers de pauvres. Habib Ben Yahya est réputé avoir été un des meilleurs MAE de l'Histoire du pays. La justice doit être au-dessus de tout le monde et tout le monde se doit d'être égal devant la justice. Ceci est un principe immuable et indiscutable. Seulement voilà, s'agissant des affaires politiques de l'ancien régime, nous avons choisi la voie de la justice transitionnelle et non la justice ordinaire et ceci a été énoncé dans une loi en bonne et due forme. Le hic, c'est que l'on n'est pas allé au bout de notre idée et on a mis une revancharde sélective à la tête de l'appareil devant assurer cette justice transitionnelle. Cet appareil a donné la parole à des victimes, des pseudo-victimes et des mythomanes et zappé les anciens responsables de l'Etat par qui beaucoup d'abus de divers genres ont transité. Si l'on devait mettre en prison des hommes d'Etat et des coursiers pour des tickets de concert, continuons dans la même logique et mettons en prison les procureurs qui ont fermé les yeux sur les abus, les journalistes qui n'ont pas relayé les abus, les inspecteurs de finances qui n'ont pas contrôlé fiscalement Ben Ali et sa famille… Tant qu'on est dans la revanche, allons jusqu'au bout de la logique et mettons tout le monde en prison !
En 2011, on a amnistié des terroristes qui ont du sang sur les mains. En 2013, on a laissé échapper le terroriste avéré Abou Iyadh. En 2016, on a libéré les lyncheurs filmés de Lotfi Nagdh. En 2017, le « révolutionniste » Moncef Marzouki criait haut et fort qu'il faut libérer au bout de six mois de prison seulement les terroristes tunisiens partis en Syrie. Mais quand il s'agit des hommes d'Etat ayant servi sous la dictature, on se rappelle soudain de la primauté de la justice ! Un peu de cohérence ne nous ferait pas de mal. Si l'on veut de la justice réelle, allons franchement dans cette voie et remettons les terroristes en prison, traduisons les fuyards devenus ministres devant la justice, contrôlons les chefs de partis sur les origines de leurs financements. Une justice à la tête du client est intenable. On ne peut pas laisser échapper un terroriste qui veut ouvertement casser l'Etat et condamner à de la prison ferme un ministre qui a réellement servi l'Etat. C'est INTENABLE ! Le pays va mal et son économie chancelle. Continuer comme ça, c'est prendre le risque réel de tout faire éclater et de voir la dictature revenir par la grande porte. Est-ce ça qu'on veut ? Béji Caïd Essebsi est conscient de la gravité de ce dossier et de ses conséquences incommensurables. C'était une de ses promesses électorales que de résoudre ce problème. Il a imaginé une Loi de réconciliation nationale et c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Seulement voilà, cette loi n'est pas passée. Au vu de la justice transitionnelle qui boite et qui ne cessera jamais de boiter tant que Sihem Ben Sedrine est à sa tête, au vu des partis-pris flagrants de certains magistrats, au vu de la situation économique du pays, il devient urgent de remettre cette loi sur le tapis et de pousser Béji Caïd Essebsi à tenir sa promesse.