L'interview qu'a accordée le président de la République hier à Myriam Belkadhi sur El Hiwar Ettounsi a été beaucoup commentée. Tant attendue, cette apparition télévisée soulevait beaucoup d'espoir chez les Tunisiens qui espéraient des mesures radicales de la part de Béji Caïd Essebsi. A défaut d'annonces phares et concrètes, des réactions variées ont été exprimées par les acteurs de la scène politique, chacun interprétant les propos du chef de l'Etat à sa manière. Après une longue attente, Béji Caïd Essebsi s'est finalement adressé aux Tunisiens afin d'apporter des éclaircissements aux différentes questions politiques. La crise interne qui plombe Nidaa Tounes et la responsabilité de son directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi dans cette impasse, le maintien ou l'éviction de Youssef Chahed du gouvernement ainsi que la relation avec Ennahdha était les points fondamentaux abordés lors de cette interview. Fortement appréciée par le président de la commission de l'information à Nidaa Tounes cette interview a été considérée comme « une nouvelle page entamée par Béji Caïd Essebsi dans l'histoire de la Tunisie sans les Frères musulmans et sans les opportunistes ». Mongi Harbaoui ajoute qu'il était temps de se remettre à l'action. Une position qui, cependant, n'a pas été partagée par la majorité des politiciens.
L'un des premiers à avoir réagi à cet entretien était l'ancien dirigeant au sein de Nidaa Tounes, Lazhar Akremi. Invité de la chaîne Attessia lundi 24 septembre 2018, Lazhar Akremi a relevé l'appui dont bénéficie Hafedh Caïd Essebsi de la part du chef de l'Etat soulignant que le directeur exécutif de Nidaa Tounes jouit d'un traitement de faveur. L'avocat a, en outre, souligné la vulnérabilité de Béji Caïd Essebsi devant son fils ajoutant que c'est notamment cette faiblesse qui a rendu les propos du chef de l'Etat « douteux ». « Le jeu est fini ! Emmène ton fils jouer dans ta cour et ne t'occupe pas de Youssef Chahed ! Il existe des mécanismes constitutionnels pour évincer le chef du gouvernement ! », s'est-il exprimé.
Les propos de Lazhar Akremi ont suscité la réaction de Saïda Garrache, porte-parole de la présidence de la République, qui a rebondi sur ces déclarations. Selon Saïda Garrache, les propos de Lazhar Akremi à propos de Béji Caïd Essebsi n'engagent que lui. Elle a, de surcroît, précisé sur les ondes de Shems FM aujourd'hui que « Béji Caïd Essebsi est un homme d'Etat portant un projet sociétal, que l'histoire en témoigne et qu'il existe des parties qui veulent l'impliquer dans certains différends ». Revenant sur le lien qu'entretient Nidaa Tounes avec Ennahdha, Béji Caïd Essebsi a annoncé une rupture avec le parti islamiste. Dans ce sens, il a indiqué que bien que cette alliance soit inévitable étant donné la loi électorale actuelle, cette rupture a été commandée par Ennahdha. « Ce sont eux qui ont décidé de la rupture des relations et ont choisi un autre camp. J'espère qu'ils réussiront même si j'en doute. En tout cas, le plus important, c'est l'intérêt de la Tunisie. Pour moi, je le répète, la patrie avant les partis. Et Dieu seul sait ce que m'a coûté le consensus établi avec Ennahda. Pourtant, je l'ai fait pour préserver l'intérêt de la Tunisie », a-t-il déclaré à Myriam Belkadhi. A cela, la réaction d'Ennahdha n'a pas tardé à venir. En effet, le porte-parole du parti islamiste, Imed Khemiri est intervenu aujourd'hui mardi 25 septembre 2018 sur les ondes d'Express FM pour nier les propos de Béji Caïd Essebsi à propos de cette rupture. M. Khemiri a déclaré que contrairement à ce que le président de la République a affirmé, Ennahdha n'a pas souhaité cette rupture. M. Khemiri a également ajouté qu'Ennahdha s'attache toujours au principe du consensus ajoutant qu'il était pour établir un dialogue capable d'instaurer la stabilité gouvernementale et de remédier à la crise qui secoue le pays. Néanmoins, le porte-parole d'Ennahdha a souligné qu'un tel consensus ne signifie pas que les deux partis sont d'accord sur tous les points et que les divergences peuvent encore exister sur certains sujets.
Le député Habib Khedher, aussi membre d'Ennahdha, est à son tour revenu sur l'interview du chef de l'Etat. Pour lui, il a estimé que Béji Caïd Essebsi a commis une grave erreur notamment en ce qui concerne la dualité du pouvoir exécutif soulignant qu'il était convaincu que la mise en place d'un pouvoir exécutif avec deux têtes assurait la réussite de la transition démocratique. Revenant, par ailleurs, à l'amendement de la Constitution, M. Khedher a jugé qu'il était impossible à présent de procéder à n'importe quel changement d'autant plus que d'essentiels intervenants, notamment la Cour constitutionnelle, ne sont toujours pas implémentés. Il a estimé, dans ce sens, que c'était un non-sens d'amender la Constitution alors que le processus de l'instauration du régime politique n'a pas été achevé. Il a préconisé de finaliser ce processus, de l'évaluer et puis de changer le nécessaire. https://www.radioexpressfm.com/assets/uploads/news/news_media/1def7835f6f7de8157413b523abc40c9fa63703f.mp3
Cette réaction est, en effet, venue en réponse aux déclarations de Béji Caïd Essebsi durant l'interview quant à un amendement de la Constitution. Le chef de l'Etat avait indiqué dans son interview qu'une modification de la Constitution ainsi que de la loi électorale s'imposait. Toutefois, il a affirmé que cette procédure ne lui incombe pas, disant que « même Moncef Marzouki, fervent défenseur de cette Constitution, a appelé à son amendement lorsqu'il s'est rendu compte de ses limites ».
Egalement membre du parti islamiste, Abdellatif Mekki a précisé par la même occasion que le président de la République avait l'intention d'exercer des pressions sur Ennahda et non pas de rompre ses liens avec le parti. De plus, la fin du consensus avec Ennahdha ne signifie en aucun cas une rupture avec Nidaa Tounes, le parti de Rached Ghannouchi étant encore attaché à ce consensus.
De son côté, le secrétaire général d'Al Jomhouri, Issam Chebbi, a précisé dans une déclaration accordée à Mosaïque FM ce mardi 25 septembre 2018, que l'interview du chef de l'Etat n'a pas réussi à restaurer la confiance aux Tunisiens en ce qui concerne le déblocage de la crise. Il a, par ailleurs, relevé une sorte de rupture politique entre Béji Caïd Essebsi et le chef du gouvernement, Youssef Chahed, étant donné que le président de la République a appelé ce dernier à s'adresser au Parlement pour un vote de confiance.
Pour la députée du bloc de la coalition nationale Hager Ben Cheikh Ahmed, Béji Caïd Essebsi n'est plus le garant de l'union nationale. Dans un post publié sur sa page Facebook, ce mardi 25 septembre 2018, la députée a considéré que le président de la République a enfreint la Constitution. C'est dans cette optique qu'elle appelle publiquement à retirer la confiance au chef de l'Etat.
Contactés par Business News, le député du bloc de la coalition nationale, Sahbi Ben Fredj ainsi que le président du parti Beni Watani, Saïd Aïdi ont tous les deux exprimé leur mécontentement face aux propos de Béji Caïd Essebsi. Désappointés, les deux politiciens ont indiqué que cette interview n'était pas à la hauteur des attentes des Tunisiens. Sahbi Ben Fredj a même qualifié l'interview de « spectacle désolant » reprochant au chef de l'Etat cette apparition télévisée.
En tout état de cause, l'interview de Béji Caïd Essebsi a généré le désenchantement de plusieurs parties qui aspiraient à voir des annonces pertinentes répondant à leurs espérances. N'apportant rien de tangible, cette interview restera une déconvenue pour beaucoup de Tunisiens qui l'ont regardée avec le souhait de voir des actions annoncées par leur président. Un président qui, vraisemblablement, a failli à redonner l'espoir et à présenter des solutions pour pallier la crise dont souffre le pays depuis des années.