Un énième bras de fer entre le syndicat de l'enseignement secondaire et le ministère de l'Education inquiète parents et élèves en cette fin d'année. Déjà lors de la dernière année scolaire, la crise était telle qu'elle avait pris des proportions démesurées. Celle-ci commence mal, vraiment mal, surtout pour les milliers d'élèves pris en otage de cette épreuve de force.
« Les enseignants ont le droit de poursuivre leur militantisme afin de concrétiser leurs revendications légitimes », répète partout le coléreux secrétaire général de la Fédération de l'enseignement secondaire, Lassâad Yaâcoubi. Parmi les revendications figurent la retraite et les primes spécifiques, vient après la situation des établissements éducatifs. C'est donc pour asseoir la légitimité de leurs revendications que les enseignants ont décidé, tout bonnement, de boycotter les examens du premier trimestre en poursuivant les cours normalement. Pas d'exams pour les élèves ! Les petits cancres peuvent s'en réjouir, les autres qu'ils prennent leur mal en patience. D'ailleurs, ils n'ont pas trop le choix, le syndicat en a décidé ainsi. Ainsi, après avoir décidé de retenir les notes l'année dernière suscitant l'indignation de l'opinion publique, voilà que le syndicat a fait en sorte de prendre les devants pour celle-ci, en supprimant les épreuves du 1er trimestre.
Lassâad Yaâcoubi et ses compères justifient leur action par un désistement du ministère de tutelle et suite à l'échec des négociations. Vendredi, le secrétaire général était à Sfax à la rencontre des enseignants syndiqués, les encourageant à poursuivre la lutte. Dans son discours, il hausse le ton et promet au département de l'Education une année scolaire semée d'embuches, si jamais il ne venait pas à plier. « Nous irons bien loin jusqu'à la réalisation de nos revendications. Nous n'allons pas renoncer ! ». Yaâcoubi est très fâché parce que le ministère a proposé lors des négociations une augmentation de 10 dinars, selon lui. Mais il se rattrape en affirmant que le problème est plus grand puisque « les écoles n'ont plus les moyens de subvenir à leurs besoins et qu'on ne peut plus acquérir ni craie, ni feuilles, ni produits de nettoyage ». En effet, la situation dans les établissements éducatifs tunisiens est plus que critique et la responsabilité incombe à l'Etat pour trouver des solutions et prendre des mesures concrètes. Sauf que voilà, il ne faut pas se cacher la face, les revendications du syndicat sont en premier lieu pécuniaires, la dégradation des établissements ou autres soucis sont relégués au second plan et font office de prétexte.
Pour Lassâad Yaâcoubi, aucune ligne rouge n'est à respecter quand il s'agit des revendications des enseignants. Pas même l'intérêt de milliers d'élèves acculés à subir, victimes collatérales d'une surenchère qui ne semble pas trouver de dénouement. A chaque rentrée, le syndicat monte au créneau, profère des menaces et les réalise dans une sorte de jusqu'au-boutisme déconcertant. En réaction au boycott des examens, élèves et parents ont exprimé leur indignation, dénonçant le flou qui règne autour du calendrier des examens et la perturbation de l'année scolaire. L'Association tunisienne des parents et des élèves avait rendu public, un communiqué exprimant son inquiétude quant à cette décision, ainsi que l'implication des élèves dans ce conflit. L'association a considéré que seuls les élèves paieront la facture de tous ces tiraillements appelant à la reprise du dialogue afin de résoudre les problèmes… Rien n'y fit, puisque le blocage persiste et que les élèves n'ont toujours pas passé les épreuves du 1er trimestre. Le ministre de l'Education, Hatem Ben Salem ne compte pas céder d'une once, pour le moment. Il le dit et le répète, les négociations sont toujours ouvertes et le département n'est pas revenu sur les accords conclus. Mais, et il y a un mais, rien ne justifie que le syndicat se désiste de l'accord concernant le calendrier des examens et des vacances. « Cet accord doit être respecté ! », s'exclame-t-il quand on lui pose la question. Hatem Ben Salem a condamné le boycott des examens par les enseignants expliquant qu'élèves et parents sont sanctionnés par cette décision. « Le syndicat ne peut décider seul et modifier le calendrier des examens. Un calendrier a été établi depuis le mois de septembre et constitue une sorte de contrat entre le ministère et les syndicats. Donc cette décision est rejetée !». Le ministre n'en démord pas quand il évoque les revendications incessantes de son partenaire social : « Les avantages déjà consentis au syndicat des enseignants du secondaires sont importants. Cela s'élève à plus de 50 millions de dinars et jusque-là on pouvait assumer. Toutefois, ils demandent aujourd'hui une prime spéciale qui vaut des centaines de millions de dinars. Nous tenons au dialogue, mais il y a des revendications réalisables et d'autres non ! ».
Dimanche 2 décembre, la Fédération de l'enseignement secondaire a publié un communiqué où elle dénonce un complot ourdi par le département de l'Education afin de faire échouer le boycott des examens. D'après la fédération, le ministère de l'Education tente d'empêcher le déroulement normal des cours à travers le harcèlement des directeurs des établissements. « Le ministère pousse les directeurs et les directrices à fermer les établissements pour empêcher les cours de se dérouler normalement selon les emplois de temps ordinaires. Les pressions exercées sur les directeurs viennent en réponse à la réussite du boycott ». La Fédération a dénoncé ces pratiques appelant les enseignants à être présents quotidiennement dans les établissements pour défendre leur droit au travail, ainsi que le droit des élèves aux études, affirmant que les agissements du ministère démontrent que l'intérêt des élèves est le dernier de ses soucis.
Les grèves et autres actions des enseignants pour des revendications purement salariales, l'état misérable de l'infrastructure des établissements éducatifs (et ceci pas seulement dans les régions reculées), les réformes qui tardent à se concrétiser forment un tout qui a contribué au dépérissement du système éducatif tunisien. Les enseignants qui devraient se trouver au cœur des solutions constituent aujourd'hui, de par les blocages successifs, une source de problèmes en plus. L'enseignement public, cheval de bataille de la Tunisie moderne, est désormais en berne. De nombreux parents l'ont compris et chaque année le nombre d'élèves inscrits dans les écoles privées augmente. On préfère se saigner, s'endetter, pour certains, que de risquer de compromettre l'avenir de son enfant. En l'absence d'un engagement de tout le secteur éducatif et de l'Etat, la situation ira en empirant. Aujourd'hui, au point où l'on en est, c'est à un dialogue de sourds qu'on assiste.