Par Abdelhamid GMATI Des experts, dont des anciens militaires, estiment que Daech contrôle de plus en plus de villes libyennes et s'approche de nos frontières. D'aucuns s'interrogent sur la capacité de cet «Etat islamique» : comment cette nébuleuse terroriste, dont on estime les effectifs à 30.000 hommes (et femmes), peut-elle livrer des combats en Syrie, en Irak et en Libye et contrôler durablement des régions entières ? C'est justement là que se trouve la stratégie de Daech : «Provoquer des ralliements d'individus ou de cellules locales déjà existantes qui agissent alors sous son étendard». Pour séduire, il est fait référence à la religion, en s'appuyant sur un passé glorieux, en promettant une place de choix au paradis et surtout en se basant sur la pratique de la «Ghanima» (butin) : «Ce que tu acquiers par la force est à toi, fidèle soldat du seigneur». Une pratique qui attire des centaines de milliers de jeunes, démunis, sans perspectives et sans repères. Cela en plus de soutiens financiers immédiats. C'est ainsi que des milliers de jeunes Tunisiens se sont trouvés embrigadés. On a avancé le chiffre, confirmé par notre ministère de l'Intérieur, de 3.000 Tunisiens formant le nombre le plus importrant de volontaires étrangers au sein de cette organisation. Vendredi dernier, deux ressortissants tunisiens devaient être expulsés de Roumanie pour propagande en faveur de «l'Etat Islamique». Jeudi, les unités de lutte contre le terrorisme, en collaboration avec les forces de sécurité de Hammam-Lif, ont arrêté dix membres du réseau d'envoi des jeunes dans les régions en guerre. Selon un communiqué du ministère de l'Intérieur, les suspects sont tous adeptes de l'idéologie «takfiriste», et sont en relation avec d'autres individus appartenant à des groupes terroristes en Syrie. Parmi eux, un combattant revenu de Syrie. Oui, mais comment sont-ils formés et embrigadés ? On sait depuis déjà un certain temps le rôle primordial des mosquées et des imams autoproclamés qui n'ont cessé d'appeler au jihad, au meurtre, à l'apostat, à la division. On sait aussi les actions de lavage de cerveau entreprises dans des jardins d'enfants illégaux. Et alors qu'on croyait que l'Etat avait repris le contrôle de ces lieux de culte et d'éducation, on apprend que le ministre des Affaires religieuses n'exercera aucun contrôle sur le contenu des prêches durant le mois de Ramadan. «Nous avons accepté que les imams soient libres de choisir le contenu de leurs prêches à condition qu'il s'agisse d'une liberté responsable respectant les principes de modération». Comment saura-t-il que ces principes seront respectés ? Dans le cadre du concours national d'entrée dans les écoles d'ingénieurs, on a proposé à l'épreuve de français un sujet demandant aux candidats «de faire une brève dissertation pour donner leur avis personnel à propos du jihad et pour répondre si le jihad est, oui ou non, contre la modernité et la liberté de conscience !». Les jeunes n'en reviennent pas, eux qui pensaient devoir répondre à des questions de technologie de pointe. Le parti islamiste Ettahrir devait tenir, hier, son congrès à la coupole d'El Menzah. Sur une immense banderole on pouvait lire : «L'Afrique du Nord, la base d'un grand Etat». Ce parti n'a jamais caché ses intentions d'en finir avec l'Etat, la République et la démocratie. Seule la «Umma» compte pour lui, un grand Etat regroupant l'ensemble des pays islamiques. Exactement ce que prône Daech. Il y a bien entendu les réseaux sociaux utilisés à satiété par les terroristes et leurs adeptes. Mais nos chaînes de télévision ne sont pas en reste. Un coup d'œil sur la programmation durant le mois de Ramadan est édifiant. Il y aura, certes, des émissions de divertissement, de jeux, d'humour, des feuilletons et toute une panoplie d'émissions religieuses. Mieux : on aura droit, comme chaque année, à des feuilletons historiques. Les quelques images des bandes-annonces se rapportent à des combats, des tueries, du sang. Sur une séquence du feuilleton programmé par Watania 1, une femme se fait un plaisir d'enfoncer sa dague dans le corps d'un ennemi. Inutile de parler de l'apparence des personnages : cheveux en bataille, longues barbes hirsutes, regards méchants et sanguins. Exactement, comme apparaissent les miliciens de Daech. Inutile aussi d'insister sur cette récente émission de notre première chaîne nationale mettant en scène un exorciste. Inutile donc de s'interroger sur l'approche de Daech de nos frontières. Il y a déjà une fabrication de jihadistes, de daechistes