Par Amel Zaïbi A trop vouloir informer, tout dire, courir derrière le scoop et faire le buzz on en vient à commettre l'irréparable. Entendre par là : diffuser une information grave, capitale pour le déroulement de l'enquête au moment où il ne le faut pas. Résultat : toute la mobilisation et les efforts des autorités de recherche et d'investigation pour connaître la vérité s'avèrent vains et contre-productifs. A propos de l'attentat d'El Kantaoui, des dépassements médiatiques de ce genre ont été constatés avec regret. Encore une fois. A croire que les regrettables précédents attentats et les sessions de formation en matière de couverture médiatique des attentats terroristes n'ont pas servi à grand-chose. La compréhension des médias et des journalistes a été pourtant sollicitée pour ne pas entraver les enquêtes et pour ne pas divulguer dans la précipitation des informations qui risquent de se retourner contre les forces de l'ordre qui sont en première ligne de la guerre contre le terrorisme. L'information a fusé hier des ondes d'une radio privée indiquant que les plongeurs de la protection civile ont réussi à récupérer le téléphone portable du terroriste d'El Kantaoui ; ce dernier l'aurait jeté à la mer juste après avoir passé un coup de fil et avant de passer à l'acte tragique. Cette information n'aurait jamais dû être divulguée au public. Le téléphone est une pièce à conviction et les appels enregistrés dans la puce cellulaire peuvent aider les enquêteurs à trouver la trace des complices, voire les commanditaires du carnage, et éventuellement organiser efficacement, c'est-à-dire secrètement, leur arrestation. Divulguer une telle information au moment où le pays est mis en branle pour trouver le moindre indice, la moindre faille, peut facilement être interprété comme une volonté délibérée d'alerter les terroristes et partant de faire capoter le travail des enquêteurs et de la justice. Autre dérapage : le ballet des soi-disant témoins devant les caméras et aux micros des radios. N'aurait-il pas été plus judicieux, plus rigoureux, plus crédible, de fournir leurs « données » aux autorités sécuritaires ? A noter qu'en temps de guerre, la manipulation est une arme redoutable, il convient donc d'en tenir compte et de ne pas tout prendre pour de l'argent comptant, comme dit l'adage. Loin de nous la moindre intention de défendre la censure, encore moins l'autocensure, mais la liberté d'expression est aussi une responsabilité. Dans cette guerre déclarée contre le terrorisme chaque journaliste, tout comme chaque citoyen tunisien, est un soldat, l'arme (stylo, souris, caméra, appareil photo) à la main. Sa mission est de défendre sa patrie et ses concitoyens tout en informant l'opinion publique sur ce qui se passe autour d'elle, attirer son attention sur les risques qui menacent sa sécurité et l'aider à comprendre pour mieux réagir et contribuer à sa propre protection. Mais il ne s'agit en aucun cas de se substituer aux enquêteurs ou, plus grave encore, de fournir, à travers les médias, même sans le vouloir, des informations sous forme de messages codés qui puissent servir d'une manière ou d'une autre les intérêts des réseaux terroristes. A ce titre, il y a lieu de s'interroger sur le rôle de la Haica qui, tout comme les autres instances et institutions, est concernée par la guerre contre le terrorisme. Il est grand temps que tout un chacun prenne conscience de la gravité de la situation et de sa contribution effective dans cette guerre que tous les spécialistes qualifient de longue et douloureuse.