Gouvernement et opposition sont, d'ores et déjà, unanimes sur l'impératif d'une stratégie commune de lutte contre le terrorisme, sans pour autant, jusqu'alors, avoir la bonne volonté de passer à l'action. Qu'attend-on pour mettre cette concordance au concret, en ce moment crucial où des menaces cauchemardesques d'autres frappes terroristes au cœur de la ville n'en finissent pas d'inquiéter plus d'un ? Au point d'entraîner tout un pays, encore sous le choc, dans un nouvel état d'alerte. La réponse tarde en effet à venir, cependant que nos décideurs politiques semblent rester dans leur torpeur. Et Béji Caïd Essebsi était, pourtant, on ne peut plus clair, sans équivoque : « L'Etat pourrait s'écrouler si le pays subissait une autre attaque après celle de Sousse ou du Bardo». Il a dit franchement que la Tunisie est en danger imminent. Il n'y a pas plus expressif qu'un tel message solennellement prononcé lors d'un discours télévisé diffusé samedi dernier. Il ne reste, alors, plus au gouvernement que de prendre son courage à deux mains, et que les partis politiques, la société civile et les citoyens, chacun de par sa position, s'y impliquent sérieusement. En tant qu'ONG tunisienne, le Centre d'étude de l'islam et de la démocratie a pris l'initiative de réunir, récemment, opposants et alliés du gouvernement autour d'un même objectif « pour une stratégie nationale de lutte antiterroriste ». Certes, l'enjeu est de mise. Un tel statu quo ne peut jamais persister ainsi. Et tant qu'un compromis est ressenti sur un nécessaire plan de guerre, la balle est désormais dans le camp du gouvernement pour donner le ton de l'action. Reste à savoir si notre classe politique est en mesure de relever pareil défi. Pour Khaled Chaouket, élu nidaiste à l'ARP, parti au pouvoir, il y a, visiblement, un certain déficit d'Etat. Un état de faiblesse politique qui a mis à nu une coalition gouvernementale sans poids ni expérience reconnue à ce niveau. Sa vision des choses, à l'en croire, n'est pas à la hauteur des défis auxquels fait face la Tunisie d'aujourd'hui. De même, l'hydre terroriste n'a pas été abordée avec la façon la plus rigoureuse. Forces contre-révolutionnaires D'autres parties étrangères tentent de mettre l'expérience tunisienne en échec. Ces desseins attentatoires à une démocratie naissante sont orchestrés, selon M. Chaouket, par des forces contre-révolutionnaires aux agendas extérieurs. Celles-ci n'hésitent point à déstabiliser la région du printemps arabe. D'où l'impératif d'une stratégie antiterroriste communautaire, de crainte de voir ces fanatiques nous imposer un état d'exception, loin d'un projet de société stable et modérée. M. Oussama Sghaier, porte-parole d'Ennahdha, l'aile droite du gouvernement Essid, a, pour sa part, commencé par poser des questions liées au phénomène : qu'en est-il au juste ? Quel objectif escompté ? Jusqu'où pourrait aller le terrorisme ? L'on ne peut y répondre, sans expliquer les raisons inhérentes au terrorisme, afin de pouvoir en venir à bout. Mais, pas radicalement, tant qu'il y a encore des maux sociaux (pauvreté, chômage) à l'origine d'un modèle de développement exclusif. Sur quoi se jouent les manipulations d'esprits et de comportements d'une jeunesse à la marge. A ses dires, la stratégie qu'on avait adoptée en 2001, au lendemain de l'attentat du 11 septembre à New York, n'a pas porté son fruit. De nos jours, en 2015, où le terrorisme fait rage, l'on doit tout repenser, dans le sens des réformes structurelles à entamer ici et maintenant. Ses recommandations reposent sur quatre points fondamentaux, à savoir un appareil militaro-sécuritaire soudé et renforcé, une justice indépendante fort soutenue, une coopération internationale concertée en matière de renseignements échangés, ainsi qu'un contrôle internet maîtrisé. Le leader nahdhaoui a finalement attiré l'attention sur le risque d'un recours à l'instrumentalisation politicienne qui n'aura à produire que l'effet contraire. De quoi nourrir partout la provocation et la haine. De son avis, la fermeture des mosquées ne se décide pas dans l'improvisation, de crainte de laisser croire que l'Etat mène une guerre contre la religion. La famille, les médias et l'école sont aussi appelés à être productifs, à même d'ancrer davantage l'identité arabo-musulmane, loin de toute forme de discours extrémistes. La politique délirante n'a pas de chance L'élan de l'acculturation et d'aliénation identitaire est la résultante, pour partie, d'une socialisation déracinée accompagnée d'un comportement impulsif. Sans la liberté d'agir, ni le droit de s'exprimer, tout verse dans la violence. D'après l'économiste Mohsen Hassan, chef du bloc parlementaire de l'UPL, le dessèchement des sources de culte (mise à l'écart d'Ezzitouna), n'a, depuis les années 60, cultivé que l'ignorance, l'obscurantisme et le fanatisme religieux. L'anémie culturelle, l'extrême pauvreté et la déperdition scolaire se conjuguent pour façonner un profil terroriste exemplaire. La déception du présent ne conduit que vers l'inconnu. Le dirigeant de l'UPL ne s'est empêché de lancer ses critiques quant à la manière dont s'est comporté le gouvernement Essid face à l'attaque de Sousse, lui reprochant d'avoir pris, sous l'effet du choc, des décisions précipitées qui ne sauraient nullement résoudre le problème. En temps de guerre, une telle politique délirante n'a pas de chance, commente-t-il. La solution, selon lui, se résume en vraie unité nationale fédératrice, une extrême vigilance sécuritaire et des constantes politico-diplomatiques basées sur la coopération extérieure et la politique de voisinage. « La relation avec nos frères algériens est une ligne rouge. De même, la représentation tunisienne sur le sol libyen est plus que nécessaire, notamment en termes de renseignements », a-t-il insisté. Un document de stratégie « bien fourni » Sur autant de points, la position des uns et des autres fusionne en un ensemble cohérent. Même son de cloche entendu dans le camp de l'opposition. M. Mohamed Abbou, fondateur du Courant démocratique, a donné un aperçu de l'histoire noire du terrorisme, phénomène qui n'est pas aussi nouveau en Tunisie. Sans, pour autant, mâcher ses mots : « Notre pays demeure, malheureusement, exportateur des escadrons de la mort ». Cela, a-t-il ajouté, ne date pas d'hier, c'est le cumul dépressif d'un triste tableau des faits dictatoriaux au fil des ans. Quoi qu'il en soit, il est encore temps pour se rendre à l'évidence : l'extrémisme n'est pas un phénomène isolé, mais bien nourri des lois contre-nature. D'où, prône-t-il en douze points préventifs, l'impératif d'une stratégie de lutte antiterroriste, sans aucune instrumentalisation politique du phénomène. Avec pour idées-forces qu'il avance comme compléments de plan : réforme militaro-sécuritaire, encadrement de nos forces armées et leur assistance matérielle, adoption de la loi antiterroriste, bonne gouvernance et respect des droits de l'homme, refonte des établissements pénitentiaires, maîtrise de contrôle internet et diplomatie intelligente (reconnaissance des deux gouvernements en Libye). Pour le CPR, cette « armature » stratégique de guerre, qui a déjà fait l'unanimité de deux camps, a été alors formulée en document d'appui que le parti de l'ex-président de la République Moncef Marzouki a envoyé au gouvernement de Mehdi Jomâa qui l'a, à son tour, remis à son successeur Habib Essid. Il s'agit, dit Tarek Kahlaoui, membre du parti, d'un document exhaustif portant les moindres détails sur les activités des jihadistes et leur mobilité sous nos cieux. « Dans une récente lettre ouverte à Béji Caïd Essebsi, nous avons attiré l'attention sur l'importance d'un tel document qui pourrait ainsi servir de référence de base pour une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme.. », fait-il valoir. Pour une fois, l'objectif est plutôt commun. Rare, d'ailleurs, qu'on voie pareilles visions aussi convergentes entre coalition dirigeante et opposition souvent contraignante.