Depuis la promulgation de la Loi 95- 34 du 17 avril 1995, relative au redressement des entreprises en difficultés économiques, deux amendements ont eu lieu, le premier en 1999 et le deuxième en 2003, et la réforme de cette loi est aujourd'hui encore une fois à l'ordre du jour «On ne parle plus de failli mais plutôt de débiteur», rassure le juge Issam Yahyaoui à la fin de sa présentation du nouveau projet de loi sur les entreprises en difficultés économiques devant une pléiade d'hommes d'affaires, dont plusieurs membres du bureau exécutif de l'organisation patronale, lors d'une table ronde organisée par le Patronat. Au cinquième chapitre, qui garde toujours son titre « la faillite », terme qui attise les craintes des entrepreneurs, la procédure de la faillite a été remplacée par des procédures de liquidation de l'entreprise, dont le sauvetage s'avère impossible. Ce changement de paradigme n'a pas été vu d'un bon œil par les hommes d'affaires présents qui ont fait allusion à la disparité entre la qualité des textes de loi et leur application par les parties prenantes. M. Hichem Elloumi, vice-président de l'Utica, n'y va pas par quatre chemins : «Il faut retirer le projet de loi des tiroirs de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) pour en débattre davantage ». «Eviter le bricolage !», renchérit-il, avant de recommander de s'inspirer des expériences d'autres pays, notamment les Etats-Unis avec leur «Chapter Eleven», dit-il. Les réactions des entrepreneurs dans la salle ne laissent aucun doute qu'ils se sentent marginalisés dans la confection de ce projet de loi, bien qu'ils soient, en tant que chefs d'entreprise, les premiers intéressés. L'organisation de cette table ronde est une occasion pour se rattraper et relancer le débat autour de ce projet de loi, qui a été remis en octobre 2013 à l'ancienne ANC. Après des exposés trop techniques, qui n'ont pas su capter l'attention des présents, plus attachés à leurs smartphones qu'aux discours magistraux, le débat a été relancé avec des témoignages poignants d'hommes d'affaires, victimes des dysfonctionnements et des abus qui entachent ladite loi. Au bord de l'émotion, M. Taïeb Souissi, chef d'entreprise, n'a pas trouvé sa voix pour continuer son récit de la transformation tragique de ses affaires, d'un modèle pour l'Afrique à une entreprise « pestiférée », qualifie-t-il toute entreprise classée comme bénéficiaire des mécanismes de la loi 95-34. En effet, cette loi ne protège pas l'entreprise, continue-t-il, puisque les partenaires changeront de comportements envers la société, et son chef, qui se déclare en difficulté. Les fournisseurs font la course à l'encaissement des effets et des chèques, ajoute-t-il, exigent des paiements au comptant, et la banque, pour sa part, renonce, quasi-systématiquement, à tout financement de ladite entreprise et menace de liquider les garanties réelles du débiteur. « En somme, l'entrepreneur est asphyxié et l'entreprise pestiférée », s'alarme-t-il, lui qui est passé par cette douloureuse épreuve. Le chef d'entreprise a interpellé le juge, qui représente le ministère de la Justice, qu'il faudrait agir plutôt sur les causes des difficultés des entreprises, car, selon lui, un entrepreneur n'engage pas des millions de dinars pour se mettre, volontairement et intentionnellement, en difficulté. A cet égard, il énumère la prolifération du commerce parallèle, la faiblesse de l'Etat, l'attitude des banquiers «qui ne font qu'enfoncer le clou», la lenteur des procédures, la corruption qui gangrène l'administration... Pour sa part, M Sadok Bejja, directeur général au ministère de l'Industrie, a rappelé que la genèse de cette loi remonte à une année charnière de l'histoire de l'économie tunisienne, l'année 1995, date de l'adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce et la signature de l'accord de libre-échange avec l'Union européenne. C'était alors, par essence, un instrument d'assistance des entreprises qui s'apprêtaient à faire face à une concurrence sans merci, entraînée par cette ouverture, et qui risquaient de faire partir en fumée 30% du tissu économique tunisien. Pour assurer cette transformation économique, la loi 95-34, le Programme de Mise à Niveau et le Code des Incitations aux Investissements ont été promulgués, rappelle-t-il, faisant allusion à l'approche de sauvegarde de l'entreprise adoptée à cette époque et qu'il défend bec et ongles, aujourd'hui, au vu des similitudes entre les deux passages. L'autre son de cloche des créanciers Joint au téléphone, un banquier, sous couvert d'anonymat, pointe du doigt certains entrepreneurs qui utilisent ladite loi comme un outil de blocage et d'entrave des procédures de recouvrement. A l'aide de cette loi, les débiteurs sont en mesure de suspendre les procédures judiciaires et rallonger, ainsi, les délais de deux à trois ans, selon les estimations du banquier, et la complaisance avec le juge pourrait faire perdurer la situation plus longtemps. Pis, la nomination d'un nouveau juge, suite à la mutation ou la promotion du premier, «risque de remettre les compteurs à zéro». Pour contrecarrer ces manœuvres, il plaide en faveur de la réduction des délais, «à moins d'une année pour toute l'opération». De même, l'application de cette loi spécifique devrait être complétée par les conditions de l'article 4 bis du code de Commerce qui exige la fourniture d'un rapport des trois derniers exercices, certifié par un commissaire aux comptes, afin de refléter l'image fidèle de l'entreprise, et distinguer, ainsi, les entreprises réellement en difficultés économiques et celles qui le sont «virtuellement». Sans cela, toute nouvelle loi manquera de rigueur et de transparence, soutient son collègue, très enthousiaste par l'idée de combattre la corruption et la malversation. «Lorsque la loi se transforme en une entrave au recouvrement des créances, il faut la modifier», conclut le spécialiste. Depuis la promulgation de la Loi 95- 34 du 17 avril 1995, relative au redressement des entreprises en difficultés économiques, les débats qui ont porté sur cette interrogation ont mené à deux amendements, le premier en 1999 et le deuxième en 2003, et la réforme de cette loi est aujourd'hui encore une fois à l'ordre du jour. Trois révisions en vingt ans est un record qui reflète la profondeur de la division autour de cette question. En effet, les intérêts divergents des différents partenaires de l'entreprise, la complexité de cette entité économique à plusieurs dimensions, ainsi que la turbulence qui marque son environnement ne sont pas en mesure de simplifier l'examen de ladite loi.