Une fois adopté, le projet de loi organique prévoit la création d'une commission d'arbitrage et de réconciliation ainsi qu'un fonds de dépôt qui se chargera d'orienter les deniers récupérés vers des projets de développement dans les régions et zones prioritaires Dans son discours du 20 mars dernier à l'occasion de la célébration du 59e anniversaire de l'indépendance, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a annoncé une initiative concernant la réconciliation nationale qui est pour lui «une nécessité qu'il faut mener coûte que coûte». Elle vise à faire participer tous les Tunisiens, dont notamment les hommes d'affaires, à l'effort de reconstruction du pays. Il ne s'agit pas de revisiter le passé pour raviver les douleurs et remuer le couteau dans la plaie, mais plutôt, pour en tirer les conclusions en s'arrêtant sur les erreurs afin d'éviter qu'elles ne soient plus commises. Et puis, tout le passé ne devrait pas être totalement rejeté et ses acteurs complètement «sacrifiés» sur l'autel d'une justice transitionnelle encore tâtonnante. D'anciens hauts fonctionnaires, dont des ministres, se sont trouvés impliqués dans des affaires judiciaires parce que dans l'exercice de leurs fonctions, ils ont été amenés à appliquer des consignes et des recommandations parvenant d'une autorité supérieure. D'autres ont été «dégagés» par des «néo-révolutionnaires» qui ont confisqué «la révolution des jeunes» en s'autoproclamant «protecteurs et défenseurs de la révolution» pour «nettoyer l'administration». Aidés en cela par de nouveaux «inquisiteurs» qui avaient orchestré une véritable «chasse aux sorcières», ne lâchant pas de leur vindicte des fonctionnaires, pour la plupart honnêtes et consciencieux, en leur fabriquant de toutes pièces des dossiers. Ils ont droit à la dignité. Il en est de même pour un bon nombre d'hommes d'affaires accusés, à tort ou à raison, d'être des «suppôts» de l'ancien régime et «d'avoir profité de ses largesses». Interdits de voyage et mis au ban de la société, leur «honneur a été jeté aux chiens». Le pays est resté l'otage de plusieurs surenchères politiques sur ce dossier, basées sur un sentiment de revanche et attisées par une haine contre tout ce qui a un quelconque rapport avec l'ancien régime. Le temps est venu, après l'installation des institutions de la nouvelle République, d'en finir avec un dossier en passe de devenir chronique. Soutien à la réconciliation C'est pour remédier à une situation qui n'a que trop duré, marquée par l'hésitation et la crainte, que le chef de l'Etat a lancé son initiative qui revêt un caractère essentiellement politique. Elle devra être concrétisée dans une loi organique qui permettra de tourner la page du passé et ouvrira la voie à une véritable réconciliation nationale avec une catégorie d'hommes d'affaires et de fonctionnaires ayant le plus souffert de cet état de fait. Exclusion faite des personnes poursuivies pour des crimes financiers comme le détournement de fonds publics ou la corruption financière. Une fois adopté, ce projet de loi organique va réduire les champs d'intervention de l'Instance dignité et vérité (IVD) aux prérogatives qui dépassent l'entendement. Elle n'aura plus à traiter les dossiers des hommes d'affaires et des fonctionnaires «poursuivis» pour malversations qui seront, désormais, du ressort de «la commission d'arbitrage et de réconciliation» prévue par la nouvelle loi. Aussitôt lancée, cette initiative a reçu le soutien de plusieurs partis politiques dont notamment Ennahdha qui a apporté son appui à «la réconciliation nationale proposée par Béji Caïd Essebsi». Elle a également reçu l'aval d'organisations de la société civile, dont notamment l'Utica, qui considère que les poursuites engagées contre certains hommes d'affaire, interdits de voyage, ont fortement paralysé l'activité économique du pays. Après concertations avec les parties concernées, la présidence de la République a préparé un projet de loi organique qui sera discuté et adopté en Conseil des ministres avant sa transmission à l'Assemblée des représentants du peuple pour adoption. Création d'une commission d'arbitrage et de réconciliation Comprenant 11 articles, ce projet de loi organique relatif aux «dispositions particulières concernant la réconciliation dans le domaine économique et financier» stipule dans son article premier qu'il «entre dans le cadre de la préparation d'un climat approprié qui encourage à l'investissement et à la promotion de l'économie nationale. Il tend à renforcer la confiance dans les institutions de l'Etat et a pour objectif la mise en place de mesures particulières se rapportant aux exactions relatives à la malversation financière et aux crimes contre les deniers publics ». Ces mesures doivent «aboutir à la fermeture définitive de ce dossier et tourner la page du passé en vue de la concrétisation de la réconciliation nationale». Le projet de loi précise qu' il sera mis fin aux « poursuites et jugements, ainsi qu'à l'exécution des peines engagées contre les fonctionnaires publics et assimilés pour des actes de malversations financières, de crimes contre les deniers, sauf la corruption et le détournement de fonds». Il prévoit, dans son article 3, la création d'une «commission d'arbitrage et de réconciliation auprès de la présidence du gouvernement», présidé par «le représentant de la présidence du gouvernement et composé de représentants des ministères de la justice, des finances, de la Banque centrale et de l'Instance dignité et vérité». Cette commission examinera toutes les demandes des personnes concernées pour la régularisation de leur situation. Elle aura à statuer sur ces demandes dans un délai de trois mois qui pourrait être prorogé le cas échéant. Parallèlement à cela, toutes les poursuites doivent s'arrêter. Des décisions irrévocables Une fois le dossier examiné et qu'on est arrivé à une solution, un arrêté d'arbitrage est pris définissant la nature des préjudices subis et leur valeur. Un montant équivalent à celui des deniers publics spoliés ou aux bénéfices obtenus sans aucun droit, majoré de 5% pour chaque année depuis la date de jouissance, devra être déposé dans un «fonds de dépôt et conciliation qui se chargera de l'utiliser dans les projets de développement régional ou dans le renforcement des capacités des petites entreprises et dans d'autres projets économiques dans les zones prioritaires». La décision de la commission est irrévocable et elle n'est susceptible d'aucune forme de recours ni d'annulation ni encore d'abus de pouvoir. Le projet prévoit, également, une amnistie pour les crimes de change commis avant la promulgation de cette loi et qui se rapportent, notamment, à la non-déclaration des biens et des ressources à l'étranger et à la possession de devises étrangères sans les déclarer conformément aux règlements de change. Toute personne désireuse de bénéficier de cette amnistie telle qu'elle est définie dans l'article 7 doit déposer une déclaration auprès de la Banque centrale, ramener les ressources et l'argent en Tunisie et verser les devises dans un compte en dinars convertibles. Elle doit, aussi, déposer une déclaration concernant les ressources et bénéfices avec pièces justifiant le rapatriement de ces ressources et bénéfices en Tunisie. L'adoption de ce projet de loi va annuler toutes les dispositions de la loi organique 53 du 24 décembre 2013 relative à l'Instance dignité et vérité et qui se rapportent aux malversations et aux crimes financiers.