Par M'hamed JAIBI Une ancienne mode revient en force, comme un palliatif calmant les ardeurs des uns ou des autres, c'est ce que les médias appelaient, sous Ben Ali, la «remanite» ou syndrome du remaniement ministériel. Cela est à la bouche de tous les politiques, des partis au pouvoir à l'extrême «centre» marzoukiste, chacun y allant de son «analyse» probante sur les tenants et les aboutissants de cet «impératif imminent», lequel va parfois jusqu'à annoncer le départ du chef du gouvernement. Qu'une opposition frustrée par un échec électoral cuisant souhaite le départ du gouvernement de la «majorité», cela se voit fréquemment dans les démocraties bien ancrées, mais que des voix issues des partis appuyant le gouvernement alimentent promptement ces bruits anarchiques et multiplient les explications les plus diverses et contradictoires, cela est une première proprement tunisienne. Un remaniement à géométrie variable Le remaniement «prévu» est à géométrie variable, ciblant tantôt un «libéral», tantôt un nidaïste, se donnant pour assise les «contre-performances» de l'un ou l'autre, ou mettant à l'index tout le gouvernement, dont «l'échec» serait ainsi «patent». Derrière ces anachronismes, se dressent, il faut le reconnaître, une mauvaise assimilation, au sein des quatre partis gouvernementaux, et plus particulièrement les deux grands, du concept consensuel ayant donné lieu au gouvernement Essid. Les troupes, autant à Nida Tounès qu'à Ennahdha, n'ont accepté la chose que du bout des lèvres, ce qui développe des allergies récurrentes pouvant parfois déstabiliser le discours et le fonctionnement à la base et chez des lieutenants des états-majors partisans. Un gouvernement nidaïste ? Le fait est que si les nahdhaouis se satisfont peu d'un unique ministre et quelques secrétaires d'Etat, les nidaïstes aspirent à un gouvernement qui soit «leur», qui appliquerait strictement leur programme et serait assumé par leur seul parti. Et qui ouvrirait de larges opportunités ministérielles à la pléthore de cadres politiques issus de sensibilités diverses que recèle le parti dont est issu le chef de l'Etat. L'idée d'un gouvernement de ce genre a pris du poids après l'arrivée de Mohsen Marzouk au secrétariat général et les promesses généreuses du discours qu'il développe. Ennahdha en force ! Mais facebook est partagé, et les pages pro-nahdha privilégient, elles, une entrée en force de ministres nahdhaouis, au moment même où d'autres pages attribuées à d'autres nidaïstes attaquent frontalement l'hypothèse d'un gouvernement Marzouk et souhaitent recentrer Nida Tounès dans l'optique d'une réunification de la «famille destourienne». Tout cela pour dire que nous avons affaire, en guise de «remaniement imminent», à un véritable «ovni» : objet volant non identifié, que les uns et les autres croient voir venir, selon des formes diverses, des colorations multiples et des timings fort différenciés, selon des optiques et en des endroits très différents... A un moment où la déconcentration et le chahut incontrôlé nuisent énormément à l'action nationale.