Dans le film de Farès Nanaa, Lotfi Abdelli campe l'un des rôles les plus importants de sa carrière cinématographique. Un rôle où il a réussi à «acter» plutôt qu'à interpréter un personnage. Un film d'un univers particulier qui ne pardonne rien. Entretien Vous êtes à l'affiche JCC du film de Farès Nanaa, Chbebk El Janna, qui figure dans la sélection officielle des JCC, cette année... C'est un film qui m'a séduit dès la lecture du scénario ! Le réalisateur Farès Nanaa n'est pas seulement l'acteur qu'on connaît dans Maktoub, mais c'est surtout un cinéaste qui est passé par l'école des courts métrages, il connaît la chaîne de la fabrication d'un film, en commençant par le maillon technique. Je rappelle qu'il a réalisé aussi deux courts métrages qui traitent de la question du couple avec un univers particulier qui ne m'a pas laissé indifférent. Je le répète, la lecture du scénario de Chbabek El Janna m'a profondément touché et on a commencé à travailler sur cet univers très subtil où le réalisateur ne voulait pas faire dans le «m'as-tu-vu». Farès avait une histoire à raconter cinématographiquement avec une bonne maîtrise de la lumière, de l'image confectionnée par le talentueux Sofiène El Fani. Je me suis bien vu dans ce trio ! Puis on est parti dans cette délicate aventure... C'était facile à porter comme rôle ? Pas du tout ! C'était un rôle poignant pour moi... C'eût été plus facile de porter un rôle de quelqu'un d'autre... Un bandit, un fou ou un frimeur... Le genre de rôle qui extériorise... Dans Chbabek El Janna c'était un rôle qui demande un travail intérieur très profond et qui laisse à l'intérieur quelques petites séquelles... C'est le genre de rôle qui fait mal à celui qui l'interprète... Mais c'était un vrai bonheur de porter ce personnage sur les épaules. Comment situez-vous votre travail d'acteur de cinéma depuis vos débuts avec Nidhal Chatta jusqu'au film de Farès Naana...? Ce n'est peut-être pas à moi de le dire ! Mais je pense que je suis sur un chemin qui me satisfait et où je commence à faire des films internationaux... Je suis à un endroit où tout acteur rêve d'être. Le théâtre et la télévision m'aident beaucoup, puisque quand je fais de la télé, j'essaie de ne pas faire dans la médiocrité et je n'ai que de très bons retours... C'est la télévision qui vous a apporté quelque chose à donner au cinéma ? C'est tout à fait le contraire. J'ai ramené les atouts du cinéma vers la télévision... Je rappelle que j'ai fait du cinéma avant de faire de la télévision. J'ai proposé dès le début d'ailleurs à avoir une nouvelle qualité de jeu qui ne soit ni dans le débordement ni dans l'excès. J'ai ramené cette qualité de jeu du cinéma vers la télévision tunisienne. Comment cela ? Tous les rôles que j'ai assumés à la télévision le prouvent. Même si je suis dans une sitcom, je ne suis pas comique mais c'est la situation qui l'est! Moi je reste toujours un acteur! Je ne suis pas dans le «sur-jeu» je reste toujours dans le ton, juste tout comme au cinéma! Et cette justesse dans le ton je la dois aussi au théâtre et à la danse où j'ai débuté ma carrière. Pour moi un acteur est obligé d'évoluer! C'est comme ça! «Marche ou crève!» Qu'on le veuille ou pas! Parce que lorsqu'on arrive à un certain niveau on ne peut plus redescendre, on doit viser toujours la performance! Et le théâtre dans tout cela ? Le théâtre me comble ! C'est l'art où je suis complètement moi-même! Dans un film je suis toujours la vision d'un réalisateur. Quand je suis sur les planches de théâtre dans un «one man show», je suis moi-même, je suis l'auteur de mes textes. C'est ma vision du monde que j'offre au public. Dans mes one man show je fais un travail de réflexion sur notre société, j'essaie de nous décrire, nous les Tunisiens. C'est une vision avec des mots simples et libres, au public de l'interpréter sur le plan psychologique, philosophique ou anthropologique... En tout cas je ne fais pas rire les gens bêtement mais dans un one man show je dois pas être obtus et difficile. Le tout est de trouver le bon rapport entre les deux. Où est-ce que vous vous sentez le mieux, au théâtre ou au cinéma ? Je me sens bien partout : théâtre, cinéma et télévision, je suis vraiment comblé et ces trois domaines me renvoient beaucoup de succès et de récompenses à l'échelle nationale et internationale ! Comment faites-vous pour relever ces trois défis à la fois ? Il faut être extrêmement discipliné et avoir un mental de fer! C'est ce qui permet à un acteur de ne pas confondre entre cinéma, théâtre et télévision! Comment faites-vous pour que votre succès ne vous monte pas trop à la tête ? Il y a la discipline, l'éducation de base qui s'entretient tous les jours ! J'essaie de rester moi-même, de vivre comme tout autre citoyen, d'être l'enfant du quartier que j'ai toujours été même si je parcours le monde, je reviens toujours à ce bout de la Médina qui est mon quartier. Je reste le petit Lotfi Abdelli à qui je dois tout ! Mais je ne nie pas non plus que j'ai eu la chance d'avoir de bons mentors comme Nawel Skandrani ,Mohamed Driss, Raja Ben Ammar, Moncef Sayem, Fadhel Jaziri, Taoufik Jebali, Imed Jemaa, Anne Marie Sellami, Irène Tatibois entre autres... Ils constituent une famille et une école pour moi... En Tunisie, le succès d'un artiste est considéré comme un coup de chance; les gens ne pensent jamais que le succès est le fruit du travail et de la persévérance. Quel est votre meilleur rôle au cinéma ? Le premier rôle que j'ai assuré au cinéma était dans le film On man's love, de Nidhal Chatta qui n'a jamais été diffusé en Tunisie mais qui le sera bientôt. C'est le premier meilleur rôle pour moi; ensuite, et sans faire de classification, c'est celui avec Nouri Bouzid dans Making-off et celui avec Farès Nanaa dans Chbebk El Janna. Ce sont les trois meilleurs rôles dans ma carrière cinématographique. Entretien conduit par